Rediffusion

Construire la ville résiliente : le véritable enjeu des municipales

Politiste

Plus les élections municipales de 2020 approchent, plus elles concentreront toute l’attention des partis et des analystes, obsédés par la recomposition des équilibres politiques du pays. Au risque de ne pas percevoir la véritable dimension nationale de ces élections : l’occasion donnée à certaines villes de faire exemple, et de prendre le virage d’un monde dans lequel elles doivent devenir le cœur du vivre-ensemble, de la cohésion sociale et de la préservation des ressources. Rediffusion du 12 septembre 2019.

Les élections municipales de 2020 sont désormais, et seront pendant quelques mois, au cœur des préoccupations de toutes les écuries politiques. Qui investir ? Quelles alliances nouer ? Quels rapports de force à droite, à gauche, au centre, aux extrêmes en vue de la présidentielle de 2022 ? Quel premier parti pour la France ? Qui pour prendre la tête des grandes métropoles ? La République en marche (LREM) a de longue date mis en branle son processus d’investiture, avec une commission nationale dédiée, des noms lâchés au fil de l’eau, et plusieurs mécontentements publiquement exprimés.

Le Parti socialiste a lui-aussi sa commission, tout comme les Républicains, qui semblent toutefois avoir fait de l’attentisme leur principale stratégie. Faire les « bons » choix de personne pour tenter de gagner, ou éviter de perdre, des élus locaux, telle paraît être la principale, si ce n’est l’unique, préoccupation des principales forces en présence. Loin, bien loin de ce que devrait être l’enjeu prioritaire de ce scrutin : construire la ville résiliente.

L’inéluctable recomposition du paysage politique local

L’analyse des résultats de ces élections ne manquera bien sûr pas de passionner les spécialistes de sciences politique et électorale. Le schéma traditionnel d’élections municipales venant sanctionner dans les urnes les premiers mois ou années de l’exercice du pouvoir d’un Président de la République et de son gouvernement sera en effet nécessairement perturbé par le fait que les élus locaux se présentant avec le soutien ou sous l’étiquette LREM n’ont pas été élus, il y a six ans, avec les couleurs de ce parti.

En 2014, la gauche était revenue à son plus bas niveau depuis trente-cinq ans en contrôlant moins de 40% des villes de plus de 9 000 habitants et en perdant cent quatre-vingt-seize de ces municipalités ; on pouvait clairement acter d’un vote-sanction. En 2020, on pourra certes dénombrer les municipalités dont des élus LREM prendront la tête. Mais il sera peu évident d’imputer des pertes de villes au parti, même dans les cas où des équipes en place investies sous l’étiquette LREM connaîtront une défaite. De fait et même si les urnes lui étaient globalement peu favorables, LREM aurait la possibilité, au soir du 22 mars, de ne revendiquer que ses conquêtes sans avoir à rendre compte de ses défaites.

De fortes incertitudes planent également sur la configuration du second tour. En 2014, le nombre inédit de triangulaires (et même de quadrangulaires) découlait du grand nombre de municipalités dans lequel le Front national avait pu – et avait choisi – de se maintenir à l’issue du premier tour. En 2020, verra-t-on les duels (sous des formes LREM – Rassemblement national) revenir en force, ou les Républicains, le Parti socialiste, le Parti communiste, la France Insoumise reprendront-ils assez de couleurs par rapport aux européennes, et EELV aura-il préservé le même état de forme que lors de ce scrutin, pour accrocher la barre des 10% ? De Paris à Carpentras en passant par Marseille, certains choix de soir du premier tour ne devraient pas manquer de surprendre.

Il ne fait aucun doute que les appareils, sur l’ensemble du spectre politique, se sont depuis longtemps lancés dans de savants calculs électoraux. Peut-être même affutent-ils déjà en coulisse leurs « éléments de langage ». Mais il paraît beaucoup moins évident que les manches aient été, dans les sièges des partis, suffisamment remontées pour trouver des solutions à la hauteur des défis que devront relever, quelles que soient les équations politiques locales, les villes moyennes, les grandes villes et les métropoles françaises dès demain et dans les trente prochaines années.

Ils sont nombreux ceux qui feront des élections municipales de 2020 un scrutin national, référendum contre un tel et une telle, confirmation d’une pôle position, rampe de lancement en vue de la prochaine élection présidentielle. Ce qui n’aura pour les Français aucun sens.

Ce qui aurait du sens, au contraire, c’est de bâtir pour ces élections une vision partagée d’une ville française des années 2020, créatrice de lien social, accueillante pour tous les âges et toutes les populations, économiquement et socialement dynamique, adaptée à toutes les conséquences du changement climatique et contribuant à lutter contre celui-ci, protégeant la santé de ses habitants et notamment des plus fragiles, et proposant un habitat accessible à tous.

La ville au cœur du vivre-ensemble et de la préservation des ressources

Oui, il y a une dimension nationale aux élections municipales de 2020 : créer une dynamique permettant au plus grand nombre des municipalités de prendre le virage d’un monde dans lequel la ville doit être le cœur du vivre-ensemble, de la cohésion sociale et de la préservation des ressources.

Penser (aussi) au niveau national la résilience urbaine, ce n’est pas nier les spécificités locales. D’abord parce qu’on ne peut construire de projets cohérents pour des villes sans leurs habitants, leurs commerçants, leurs associations, leurs élus locaux. Ensuite, parce que chaque ville peut, pour les autres, jouer le rôle d’un laboratoire local.

Le prochain maire de Marseille aura à résoudre de toute urgence et prioritairement le défi de l’habitat insalubre et dangereux. Ce ne pourra être en continuant de poser des cautères sur une jambe de bois. Ça devra être en élaborant avec les citoyens des projets urbains pour les quartiers du centre historique qui offrent à chacun un logement digne. C’est-à-dire des projets urbains qui anticipent les conséquences du vieillissement de la population, du changement climatique, qui intègrent des lieux partagés de qualité, qui rendent fluides l’arrivée de nouveaux habitants et le départ d’autres, qui connectent parfaitement ces quartiers aux autres quartiers de la ville, qui y impulsent des activités économiques viables et durables, qui soient des intégrateurs sociaux.

Les Marseillais pourraient donner à cette occasion, à des échelles jamais développées en France, une large place à l’habitat partagé, au décloisonnement du chacun-chez-soi, aux parcours de vie dans les espaces de circulation. Portés par une équipe municipale ambitieuse et dynamique, de tels projets urbains feraient de Marseille un modèle et une référence pour les municipalités qui, dans les prochaines années, se consacreront à la réhabilitation de leurs centres historiques.

Autre territoire, autre défi. La maire sortante et très probable future candidate Anne Hidalgo a annoncé, pour Paris, vouloir mettre en œuvre un programme de forêts urbaines. Ce peut être une formidable opportunité pour les équipes municipales des principales métropoles françaises d’observer les bénéfices environnementaux mais aussi les difficultés en termes de circulation, de perspectives architecturales, d’entretien des nouveaux espaces qui ne devraient pas manquer de surgir avant de se lancer à leur tour dans de telles réalisations.

À l’autre bout de la Seine, Le Havre, dont les programmes de réhabilitation et les investissements dans l’université et la culture des vingt dernières années sont largement salués, devra relever dans la prochaine décennie le double défi de la mixité sociale, en renforçant la mixité au sein de chacun de ses quartiers mais aussi à travers la consolidation d’une classe moyenne[1], et de l’attractivité pour stabiliser sa démographie. Les choix qui seront faits à l’échelle de cette ville portuaire violemment confrontée au siècle dernier à la désindustrialisation pourraient demain constituer des références d’un urbanisme porteur de cohésion sociale pour d’autres territoires.

Bien sûr, les villes françaises trouveront également en dehors de nos frontières leurs inspirations. On ne peut d’ailleurs que les inciter à s’ouvrir à ce qui se fait partout dans le monde. Alors que la distribution d’eau en bouteille permet en France, lors des vagues de canicule, de protéger les populations les plus fragiles de la déshydratation, l’interdiction dans San Francisco de la vente et de la distribution de bouteilles d’eau en plastique au sein des administrations, dans l’espace public et lors de tous les événements, doit nous interroger sur notre capacité à adopter de meilleurs choix, c’est-à-dire des choix qui permettent de protéger la population contre les conséquences du changement climatique tout en limitant l’impact de nos comportements sur ce  même changement.

S’agissant d’un tout autre défi, les initiatives prises par Montréal, ville qui regroupe la plus grande part des populations issues de l’immigration internationale au Québec et a joué en 2015 et 2016 un rôle crucial dans l’accueil des réfugiés syriens, méritent également d’être regardées de près par les villes françaises qui accueillent des migrants. Pour ne prendre qu’un exemple, en développant en 2017 un projet pilote dans lequel plusieurs grandes entreprises montréalaises se sont engagées à offrir un travail temporaire rémunéré à des immigrants qualifiés, la capitale du Canada a su, malgré la taille réduite du programme, créer une dynamique d’intégration simplifiée des immigrants au marché de l’emploi.

Innover, partager, s’inspirer

Inclusion à l’échelle des quartiers et des villes, bienveillance entre les voisins et entre les âges, lutte collective contre l’isolement et l’exclusion sociale, maintien de la vitalité ou revitalisation des centres historiques, préservation des ressources, réponses concertées et solidaires aux crises climatiques… Toutes les villes françaises, dans le respect et par la valorisation de leurs spécificités et de leurs forces, doivent s’engager dans une dynamique d’innovations urbaines aux impacts concrets sur la vie et le bien-être quotidiens des habitants.

C’est à l’aune de cette grille de lecture qu’il faudra interpréter les résultats des élections municipales de 2020. Bien sûr, l’échelle d’un projet de résilience urbaine est celui d’une ville et ce sont les projets portés par chaque équipe municipale nouvellement élue qui décidera du visage des villes, demain, sur chaque territoire. Les enjeux sont toutefois tels qu’ils méritent que partout en France des dynamiques de transformation soient lancées, non seulement au service d’une collectivité, mais également comme des modèles, des pilotes, des ressources mises à la disposition de toutes les autres.

Cet article a été publié pour la première fois le 12 septembre 2019 dans AOC.


[1] Maryse Verfaillie, « Le Havre – Porte Océane », Les Cafés Géographiques, septembre 2018.

Agathe Cagé

Politiste

Notes

[1] Maryse Verfaillie, « Le Havre – Porte Océane », Les Cafés Géographiques, septembre 2018.