Université

Il faut défendre le Conseil national des universités

Professeure de littérature américaine

Nombreux sont ceux qui aujourd’hui regardent le Conseil national des universités comme un organe obsolète. Ils ajoutent que sa suppression serait toutefois vécue par les enseignants comme une « hérésie ». Le choix des mots n’est pas anodin : défendre le CNU n’est pas être un censeur orthodoxe, réaffirmant une foi doctrinale qui se passerait d’arguments – en voici quelques-uns, qui ne sont pas des moindres.

Le serpent de mer de la suppression du Conseil national des universités (CNU) revient à intervalles réguliers et s’inscrit le plus souvent dans le contexte d’une transformation radicale de l’Université et du statut des enseignant.e.s-chercheur.e.s, quelles que soient les dénégations des promoteurs de la disparition de cette instance nationale.

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Au moment où les enseignant.e.s-chercheur.e.s et les chercheur.e.s affirment avec force leur attachement à des instances d’évaluation composées majoritairement d’élu.e.s, il n’est sans doute pas anodin que le CNU soit à nouveau la cible de voix marginales. Il n’est sans doute pas anodin non plus que cette nouvelle charge intervienne au moment où se tiennent les sessions de qualification et d’attribution du trop faible nombre de CRCT (Congés pour recherche et conversion thématique) aux enseignant.e.s-chercheur.e.s qui en demandent. Plusieurs éléments de cette mise en cause du CNU sont discutables : les éléments de langage, la mise en cause de la procédure de qualification, les autres missions du CNU passées sous silence (attribution de promotions, de primes et de congés pour recherche) et, le présupposé que le CNU ne protège ni ne garantit le statut de fonctionnaire d’État des enseignant.e.s-chercheur.e.s.

Commençons par les éléments de langage, qui ne sont jamais innocents. On le sait, la langue est malléable et les mots ont un poids dont on ne peut les délester à peu de frais. Ici ou là, on lit que la suppression du CNU serait considérée comme une « hérésie » par beaucoup d’universitaires français. Le choix d’un tel mot ne saurait être totalement le fruit du hasard et en dit long sur la manière dont les détracteurs du CNU considèrent les universitaires. L’hérésie est ce qui s’oppose au dogme et à l’orthodoxie et, dans un sens plus atténué, à l’opinion généralement admise. Affirmer que la suppression du CNU serait vue comme une hérésie revient à suggérer que les défenseurs du CNU se poseraient en censeurs, portés qu’ils seraient par une foi et une croyance dénuées de tout fondement scientifique ou rationnel. Par extension, ils seraient figés dans une posture passéiste : on nous rappelle à plusieurs reprises que le CNU est « une institution qui date du XIXe siècle », comme pour insister sur son caractère dépassé, faisant fi, au passage, des évolutions de cette instance nationale, en particulier à partir de 1945.

Il y aurait donc, d’un côté, les conservateurs accrochés à un système obsolète et attachés à un concours national et de l’autre des précurseurs « en phase avec les évolutions récentes », c’est-à-dire avec une logique de « marché du travail » fondée sur « la rencontre entre une offre et une demande ». Là aussi les mots ont leur sens et parler de marché du travail sous-tend une vision entrepreneuriale, à l’opposé d’une conception ouverte de l’Université comme lieu sanctuarisé, affranchi d’une logique, précisément, de marché.

Poser en modèle enviable des pratiques de négociation revient, de fait, à rejeter le principe même du recrutement de fonctionnaires d’État.

Penser l’Université en termes d’offre et de demande, et le formuler dans ces termes, c’est ouvrir largement la porte à un calque entre le système de l’entreprise et un « marché universitaire » (l’expression, martelée comme un mantra, voudrait fonctionner comme force de loi à laquelle il serait vain de vouloir s’opposer) qui pourrait être assorti, de « négociations ». Poser en modèle enviable des pratiques de négociation revient, de fait, à prôner une concurrence entre les enseignant.e.s-chercheur.e.s et à rejeter le principe même du recrutement de fonctionnaires d’État.

Bref, cela revient à appeler de ses vœux un marché qui, si on pousse la logique jusqu’au bout, aboutirait à un fort accroissement des disparités entre les enseignant.e.s-chercheur.e.s, dans le droit fil des préconisations du GT2 (Groupe de travail 2) pour la LPPR (Loi de programmation pluriannuelle de la recherche) et contribuerait à une inégalité de traitement des enseignant.e.s-chercheur.e.s sur le territoire national. Cela n’irait certainement pas dans le sens d’une amélioration des conditions de travail et de recrutement, lequel est déjà mis à mal non pas par le CNU mais bien par le nombre insuffisant de postes mis au concours, ce qui a pour résultat un alourdissement considérable de la charge de travail pour les enseignant.e.s et enseignant.e.s-chercheur.e.s dans de nombreuses filières alors même que nombre d’excellents candidats se retrouvent sans poste.

Le CNU n’est en rien responsable des politiques de ressources humaines qui pâtissent des réformes successives subies par l’Université. En revanche, en dépit des affirmations lues ici ou là, il reste une instance garante du statut des enseignant.e.s-chercheur.e.s et de l’examen impartial de l’ensemble des demandes dans une même discipline. La qualification aux fonctions de Maîtres et Maîtresses de Conférences ou de Professeur.e.s des Universités par les pairs, est et doit rester la reconnaissance nationale de l’aptitude à l’exercice des missions d’enseignant-chercheur. C’est aux sections qu’il incombe de s’assurer que les candidats présentent les garanties nécessaires à l’exercice de la profession, par une appréciation précise des dossiers qui leur sont soumis.

La qualification par le CNU est une spécificité française, ce dont ses détracteurs lui font grief au prétexte qu’ailleurs on ferait autrement, argument spécieux s’il en est.

Cette reconnaissance nationale permet plusieurs choses. Contrairement à un recrutement par tenure track ou par les mal-nommés CDI de mission, elle permet un recrutement sur les mêmes bases pour tous : la qualification est la garantie, tant pour les universités que pour les candidats eux-mêmes, de l’aptitude à occuper les fonctions de MCF ou de PR en ce qu’elle est l’unique étape nationale préalable au concours de recrutement sur des postes de la fonction publique d’État, en ce qu’elle est collégiale, faite par les pairs, composée majoritairement d’élu.e.s qui représentent la diversité des approches et des disciplines au sein d’une même section. C’est précisément parce qu’elle est la seule étape nationale qu’elle est très étroitement liée au statut de fonctionnaire d’État. Supprimer la qualification aboutirait à laisser l’ensemble du processus aux seules universités, sans le filtre du CNU qui garantit non seulement la qualité scientifique des qualifié.e.s mais encore l’égalité nationale devant le concours.

La qualification par le CNU est une spécificité française, ce dont ses détracteurs lui font grief au prétexte qu’ailleurs on ferait autrement, argument spécieux s’il en est, sauf à penser la nécessité d’une standardisation des systèmes au mépris d’exceptions et de différences qui n’ont pas à rougir de la comparaison. Cette procédure spécifique à notre pays n’arrête d’ailleurs pas les candidats étrangers (d’Europe et d’ailleurs) qui souhaitent intégrer l’Université française tant pour son attractivité scientifique[1] que pour les garanties offertes par un statut de fonctionnaire d’État. Si la très grande majorité des enseignant.e.s-chercheur.e.s y sont attaché.e.s, c’est parce qu’ils et elles savent que l’examen et l’appréciation des dossiers par une instance nationale est la condition nécessaire et le gage d’un statut commun à tous. La préconisation de CDI de mission et de tenure tracks, indépendants du CNU et laissés à l’appréciation locale, annoncent bien, eux, la destruction du statut national.

Enfin, cette garantie se joue également à travers les autres missions du CNU, que les contempteurs de cette instance passent le plus souvent sous silence, alors même qu’elles sont une partie essentielle du travail des sections. Les contingents de promotions et de CRCT confiés au CNU (et aux établissements) sont largement insuffisants pour permettre à tous les enseignant.e.s-chercheur.e.s d’avoir une carrière à la hauteur de leurs attentes et de leur travail. L’examen des demandes d’avancement et de CRCT par l’instance nationale garantit là encore dans une large mesure un traitement équitable des demandes sur l’ensemble du territoire et endigue en partie les effets de conjonctures locales renforcés par l’« autonomie » des universités.

Les modalités d’attribution de la PEDR (Prime d’encadrement doctoral et de recherche) sont un exemple parfait de dérégulation sur le plan national.

On le voit bien dans l’attribution de la PEDR (Prime d’encadrement doctoral et de recherche), distribuée in fine par les universités et pour laquelle le CNU n’est que consultatif, son rôle consistant à répartir les demandes selon un contingent proportionnel au nombre de demandes et réparti ainsi : 20% de dossiers dans le groupe « A », 30% dans le groupe « B » et 50% dans le groupe « C ». À charge pour les universités d’attribuer ou non les primes en tenant compte ou pas de l’avis des sections du CNU. Le résultat est que l’attribution des primes par les établissements est inégalitaire à plusieurs titres : pour un classement en « A » par le CNU, si la majorité des collègues se voient effectivement attribuer la prime localement, certains ne l’obtiennent pas pour des raisons qui restent souvent obscures. Les inégalités sur le territoire sont par ailleurs manifestes : certaines universités font le choix de n’attribuer la prime qu’aux enseignant.e.s-chercheur.e.s classé.e.s en « A », d’autres à ceux classés en « A » ou « B ».

Le montant de la prime varie considérablement d’une université à l’autre, alors même que la prime se veut la reconnaissance d’une implication semblable de tous les candidats dans la production scientifique, l’encadrement de la recherche, la diffusion et les responsabilités scientifiques. Elle peut également varier d’un corps à l’autre, la prime attribuée aux Professeur.e.s étant parfois plus élevée que celle accordée aux Maîtresses et Maîtres de Conférences, en fonction des politiques et des moyens locaux.

Les modalités d’attribution de cette prime sont un exemple parfait de dérégulation sur le plan national : alors que le CNU effectue un travail respectueux de la qualité des dossiers, mais aussi de la diversité des universités sur le territoire et même si la plupart des universités respectent l’avis du CNU, dont les sections travaillent pour cette mission comme pour toutes les autres dans une perspective nationale d’égalité de traitement de tous les candidats, sa dévolution aux universités aboutit à la mise en place de critères locaux, soumis à des considérations qui les rendent souvent bien opaques, comme en témoignent certaines anomalies locales sanctionnées par les tribunaux et signalées au ministère par la CPCNU (Commission permanente du Conseil national des universités) lors de son dernier mandat.[2]

L’appréciation de l’ensemble de la carrière des enseignant.e.s-chercheur.e.s qui en font la demande auprès du CNU s’inscrit dans une tradition de collégialité à laquelle nous sommes toutes et tous très attaché.e.s.

C’est dans l’attribution des avancements de carrière et des CRCT que s’observe ce souci d’égalité sur l’ensemble du territoire, indépendamment de la taille ou du prestige des universités, indépendamment de labels dits d’excellence qui postulent qu’il y aurait des enseignant.e.s-chercheur.e.s stars et des universités plus excellentes que d’autres. C’est là une posture qui méconnaît la richesse des formations et de la recherche dont font preuve toutes les universités françaises et ce en dépit de conditions d’exercice du métier très variables et inégalitaires d’une université à l’autre.

L’examen par le CNU des dossiers de candidatures à une promotion ou un CRCT garantit là encore un statut national et une impartialité que seule une instance composée d’enseignant.e.s-chercheur.e.s issus d’une palette large d’universités françaises et d’écoles de pensées représentatives de toutes les disciplines des différentes sections est en mesure de défendre. L’appréciation de l’ensemble de la carrière des enseignant.e.s-chercheur.e.s qui en font la demande auprès du CNU pour obtenir un CRCT ou une promotion par des pairs s’inscrit dans une tradition de collégialité à laquelle nous sommes toutes et tous très attaché.e.s.

Alors oui, on « a encore besoin de sections nationales qui siègent plusieurs jours pour garantir la qualité attendue » et pour reconnaître, par le truchement de CRCT et de promotions le travail des enseignant.e.s-chercheur.e.s. Le CNU est une instance essentielle pour l’examen collégial des missions d’enseignement et de recherche par des pairs des disciplines. Il garantit une égalité de traitement sur l’ensemble du territoire, dans la diversité des sections qui le composent et qui se déclinent en une multiplicité de disciplines qui font la richesse des enseignements et de la recherche et qui contribuent à un patrimoine intellectuel dont peuvent s’enorgueillir nos universités.

Oui, le CNU s’oppose résolument à une doctrine néolibérale dans laquelle sa suppression s’inscrirait, favorisant une doctrine de l’économie et du « marché ».

Le CNU est une instance attachée au statut de fonctionnaires d’État, indépendante des pouvoirs locaux et donc garante d’impartialité dans l’examen des dossiers qui lui sont soumis sur la base du volontariat. Le CNU est et doit rester une instance collégiale attachée à œuvrer à une Université forte de ses richesses et de sa diversité scientifique et disciplinaire. Il est et doit rester une instance garante du statut national des enseignant.e.s-chercheur.e.s et de leurs conditions d’exercice quel que soit leur champ de spécialité, quelle que soit leur université de rattachement.

Le CNU est un organe vraiment indispensable qui permet de limiter les dérives éventuelles de clientélisme au sein des recrutements, des promotions et de l’attribution d’un temps nécessaire à une recherche dont la qualité n’a pas à faire ses preuves. Et oui, il s’oppose résolument à une doctrine néolibérale dans laquelle sa suppression s’inscrirait, favorisant une doctrine de l’économie et du « marché », dont on souhaite rappeler qu’il sert d’argument souverain et répété inlassablement lorsqu’il s’agit de mettre en cause le CNU.

La mise en concurrence des enseignant.e.s-chercheur.e.s entre eux par le biais de dispositifs dérogatoires tels les tenure tracks et les CDI de mission, l’accroissement d’une gestion des carrières locales, par la conception d’un « marché », et des universités entre elles, dans une rupture d’égalité de traitement qui affecte non seulement les personnels, mais aussi les étudiant.e.s relèvent bel et bien d’une logique néolibérale qui s’accompagne de méthodes « managériales » (terme utilisé dans les rapports et préconisations des groupes de travail sur la Loi de programmation pluriannuelle de la recherche), à l’opposé de la conception d’une université ouverte, lieu d’indépendance et de liberté intellectuelle. En revanche, les sections du CNU et l’immense majorité des enseignant.e.s-chercheur.e.s rappellent leur attachement aux missions nationales du CNU, instance garante d’équité, d’impartialité, d’expertise et de collégialité dans l’appréciation des différents aspects de la carrière des enseignants-chercheurs.

 


[1] Le manque d’attractivité des universités françaises pour les chercheurs étrangers est l’un des arguments phares avancés pour le développement des tenure tracks. Or le constat sur le terrain est tout autre. Nombre de chercheur.e.s et enseignant.e.s-chercheur.e.s étrangers se portent candidats à des postes de Maîtres et Maîtresses de Conférences ou de Professeur.e.s des Universités tous les ans ou bénéficient de chaires pour des séjours moyens ou longs dans nos universités. Enfin, le nombre de thèses en co-tutelle démontre également l’attractivité scientifique de l’Université française.

[2] Lire à ce sujet le bilan de la mandature 2015-2019 de la CPCNU consultable sur le site du Ministère dédié.

Sylvie Bauer

Professeure de littérature américaine, Université Rennes 2

Notes

[1] Le manque d’attractivité des universités françaises pour les chercheurs étrangers est l’un des arguments phares avancés pour le développement des tenure tracks. Or le constat sur le terrain est tout autre. Nombre de chercheur.e.s et enseignant.e.s-chercheur.e.s étrangers se portent candidats à des postes de Maîtres et Maîtresses de Conférences ou de Professeur.e.s des Universités tous les ans ou bénéficient de chaires pour des séjours moyens ou longs dans nos universités. Enfin, le nombre de thèses en co-tutelle démontre également l’attractivité scientifique de l’Université française.

[2] Lire à ce sujet le bilan de la mandature 2015-2019 de la CPCNU consultable sur le site du Ministère dédié.