Société

J’entre dans ma 25e année de télétravail

Journaliste

Vous découvrez par la force des choses le télétravail ? Le journaliste JD Beauvallet le pratique depuis 25 ans. Il a même connu les modems qui faisaient gripfffuigrrrrriiiiiiiiipfuiiiiii.

Au milieu des années 90, je décidais de quitter mon bureau parisien pour m’installer en Angleterre. Entre moi et Albion, c’était une vieille histoire, entrecoupée par ces années parisiennes pendant lesquelles je participais au lancement, puis au rayonnement du magazine Les Inrockuptibles, dont je gérais depuis 1986 le territoire musical. La proximité, la prépondérance, l’effervescence de la musique telle que la vivent les Anglais me manquaient : je craignais d’être un jour à Paris contaminé par le cynisme, le côté blasé de tant de journalistes musicaux. Il me fallait revenir à cette immersion chez les disquaires, dans les salles de concerts.

Mon père, à qui j’expliquais mon projet, fut catégorique : « sitôt tu seras hors de portée de vue, tu seras oublié, puis remplacé ». Je ne suis même pas certain qu’en 1995, le mot « télétravail » existait déjà. Les outils de communications étaient rustiques, aujourd’hui désuets ou disparus : le fax, le facteur ou le téléphone. Fixe + mobile, pour une minorité. Internet était encore balbutiant, le Wifi inconnu et le haut-débit un sujet de recherche. Presque personne ne possédait alors d’adresse e-mail.

Pour se relier à internet, il fallait greffer un modem entre un ordinateur et une prise murale de téléphone. Se connecter prenait alors plusieurs minutes, garantissait pas mal de frustration, coûtait une fortune et faisait un long et sinistre bruit, comme un jingle fourni par l’orchestre de l’enfer : gripfffuigrrrrriiiiiiiiipfuiiiiii. Mon père ne connaissait pas internet et son téléphone « portable » tenait dans une petite valise.

Son cycle de réunion était aussi métronomique qu’un album de Kraftwerk. Il était pour lui hors de question de se passer du contact humain, du rituel lénifiant de la réunion, où les gâteaux secs restent sur la table une fois que les sujets sont épuisés et que plus personne n’a quoi que ce soit d’intéressant à ajouter. Mon père n’a jamais surfé, ni à Biarritz, ni sur un Macintosh comme on disait alors.

Il


JD Beauvallet

Journaliste, Critique

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