Lettre d’un survivant de la première vague
J’entends de beaux esprits affirmer qu’il vaut mieux attraper le Covid en démocratie ; qu’il vaut mieux se contaminer à l’envi au nom de la vie. Après plus de 30 000 morts en France et près d’un million de morts dans le monde, la déroute des sachants de la médecine face à cet être minuscule n’a décidément pas suffi à calmer des arrogances installées.
Je crois que sous les étoiles lumineuses de la belle Europe qui m’offre l’hospitalité depuis plusieurs années déjà, la philosophie, en d’autres temps, a su se faire plus modeste, l’art plus intelligent et généreux, la désinvolture plus discrète. D’où parle-t-on donc ? Cette tournure de questionnement a peut-être encore tout son sens aujourd’hui face à cette pandémie. Et à partir de quelle réalité parle-t-on ? Celle de gens socialement déjà installés dans des bulles résidentielles et territoriales protégées ? Celle de gens qui n’ont pas leurs habitudes de table dans les bars populaires mais dans des restaurants et brasseries distinguées où les prix affichés permettent largement d’amortir les coûts de la distance sociale imposée ? Ou celle de ceux qui se bousculent dans les métro et RER, voyagent coude à coude en classe économique, se serrent dans le bus 38 ou la ligne 4 du métro ? Est-ce à partir de la réalité de celles-ci et ceux-là qui subiront le déficit encore plus abyssal du budget de la sécu ?
Je vais laisser à d’autres aujourd’hui la tâche de faire la sociologie de ces prises de parole très médiatiques et trop entendues, si sûres de leur gai savoir et de leur bonne aura et au mépris des violences qu’elles peuvent produire sur des personnes passées par cette terreur. Les Pinçon-Charlot et leurs héritiers auraient sans doute beaucoup de choses à dire. Et Bernard Stiegler n’est certes hélas plus de ce monde, mais ses livres survivent pour rappeler combien la bêtise peut se faire savante.
J’ai subi dans mon corps et dans mon être le plus profond, la violence de ces désinvoltures qui hélas ne cessent de péro