L’aveuglement des clercs – sur une prétendue « sacralisation de la vie » (1/2)
Le 26 juin dernier, une radio publique diffusait un reportage sur le défi que constituait l’organisation d’élections municipales en situation d’épidémie virale. Le taux de participation n’allait-il pas s’effondrer ? Trouverait-on assez de citoyens volontaires pour remplir toute une journée les fonctions de président et d’assesseurs, lesquels vérifient pour chaque électeur son identité, lui font signer la liste d’émargement et tamponnent sa carte électorale ? Une dame était interrogée qui avait accepté d’être assesseur dans un bureau de vote de Nancy. Le reporter lui demanda si elle avait peur. Elle répondit à peu près en ces termes : « Oh, vous savez, il faudrait autre chose que ce virus pour me faire renoncer à mes devoirs civiques. Le vote, c’est la vie ! »
On ne pouvait, semble-t-il, qu’admirer les propos de cette femme. Un démon intérieur me suggéra cependant de changer les mots qu’elle avait utilisés de la façon suivante : « Vous savez, il faudrait autre chose que le risque de contaminer mes proches pour me faire renoncer à mes devoirs civiques. Le vote, c’est la vie ! »
La reformulation que je propose est parfaitement légitime. On ne peut ignorer aujourd’hui qu’en s’exposant au virus et en le laissant se loger dans les cellules de son corps, on compromet sa santé, certes, mais aussi, et bien davantage, suivant le stade atteint par l’épidémie, celle de peut-être deux à quatre personnes. L’âge de la dame n’était pas mentionné mais à supposer que ses parents fussent encore vivants et qu’elle les fréquente, c’était la vie de deux personnes âgées qui se trouvait soudain placée sur un plateau de la balance. Et ce qui apparaissait au mieux pour un acte de courage, au pis pour une fanfaronnade, devenait du même coup un choix éthique douloureux qui méritait mieux qu’un slogan en forme de défi. Entre le bien public et les attachements privés, on ne décide pas à la légère[1].
Mais la pensée me vint que cette personne ne savait peut-être pas qu’une épidémie est