La politique économique, maillon faible de l’action climatique
Cette dernière décennie, la France est entrée de plain-pied dans l’ère des dérèglements climatiques. Sur l’ensemble de ses territoires, dans les outre-mer comme dans l’Hexagone, les impacts du réchauffement global se sont faits plus intenses : des températures moyennes annuelles de plus en plus élevées, des canicules et des sécheresses plus longues ou encore des tempêtes plus intenses, comme avec la tempête Irma dans les Caraïbes en 2017 ou encore Alex dans les Alpes à l’automne dernier. En 2021, l’association German Watch classait la France au 27e rang des pays les plus touchés par les évènements climatiques extrêmes sur les vingt dernières années. Selon les scientifiques du GIEC, ces tendances devraient s’amplifier à l’avenir en France comme à l’échelle du globe.
Emmanuel Macron n’a jamais fait de mystère quant à sa volonté de faire du climat l’un des enjeux de son quinquennat. À peine élu, il était apparu sûr de lui et incisif sur la scène internationale, tançant dès juin 2017 son homologue américain, le climatosceptique Donald Trump, et organisant en décembre de la même année le premier One Planet Summit pour le climat à Paris. En France, les premières heures du quinquennat étaient, elles aussi, marquées par un volontarisme prometteur. Emmanuel Macron avait convaincu l’écologiste Nicolas Hulot, maintes fois convoité par ses prédécesseurs, de sauter le pas pour devenir ministre d’État de l’environnement. Nicolas Hulot qui, tout juste trois mois après son arrivée au gouvernement, présentait son Plan climat et la promesse d’une grande loi.
Les éléments d’un récit politique fructueux pour le climat étaient ainsi en place dès les premiers mois : un ministre populaire, une présence accrue à l’international, une première loi limitant à long terme l’extraction des hydrocarbures en France, un premier plan de fermeture des centrales à charbon, de développement des voitures électriques et de rénovation des bâtiments. Et enfin, l’engagement d’une hausse historique de la taxe carbone. Promesse était donc faite d’une rupture dans l’action climatique et d’un mandat qui placerait la France à l’avant-garde internationale de la lutte contre les dérèglements.
Mais, quatre ans plus tard, qu’en reste-il ? Quatre lois climatiques, un insignifiant record. Des ambitions déclinantes au cours du quinquennat. Un débat parlementaire réduit à la portion congrue. Et des émissions de gaz à effet de serre qui ne baissent qu’à peine, ou au gré d’une crise sanitaire et économique majeure. Quatre ans plus tard, ne demeure en réalité que le constat d’un insupportable gâchis : le récit politique d’un président aura, une fois encore, supplanté la construction d’un avenir en commun.
Une loi « Climat et Résilience » obsolète
La loi dite « Climat et Résilience » actuellement discutée à l’Assemblée nationale est l’un des symptômes de cet immense gâchis : elle est obsolète avant même d’être votée.
Obsolète, d’abord, sur le plan climatique. Cette nouvelle loi française ambitionne en effet d’atteindre en 2030 un niveau d’émissions de gaz à effet de serre 40 % plus bas qu’en 1990. De son côté, l’Union européenne souhaite désormais viser une baisse de 55 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, pour atteindre la neutralité carbone au plus tard en 2050 et ainsi respecter l’Accord de Paris. En somme, avec cette loi, la France entérine un retard accumulé depuis 30 ans.
Obsolète, ensuite, sur le plan politique. Les mesures proposées à ce stade par le gouvernement ne permettent en effet pas d’atteindre son objectif, tant s’en faut. L’étude d’impact de la loi, effectuée par le ministère de l’Environnement, identifie une baisse des émissions de gaz à effet de serre à peine plus élevée que 30 %. Cette quatrième loi vient d’ailleurs essentiellement renforcer – ou parfois simplement confirmer – des dispositifs déjà prévus par les trois lois adoptées cette dernière année et demie : la loi Énergie et Climat de novembre 2019, la loi d’Orientation des Mobilités, dite LOM, de décembre 2019 et enfin la loi relative à l’Économie circulaire et au gaspillage de janvier 2020. Une loi de plus qui ne parvient pas à faire sensiblement progresser l’action de l’État et qui illustre au contraire les insuffisances des précédentes. Celles-ci déjà ne permettaient pas de tenir l’objectif – pourtant dérisoire – d’une baisse de 40 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030.
Obsolète enfin pour ce qu’elle emprunte à des pratiques politiques vieillottes. Cette loi aura une fois de plus été le théâtre d’un dévoiement du débat public. On ne retrouvera en effet dans le texte proposé par le gouvernement que très peu l’ambition, pourtant réelle, des mesures issues du travail des 150 citoyens tirés au sort qui composaient la Convention citoyenne sur le climat. Une convention dont la vocation était pourtant précisément d’associer les citoyens à l’élaboration d’un plan d’action climatique d’envergure pour la France.
Par ailleurs, la décision du gouvernement d’engager une procédure accélérée pour l’examen du texte au Parlement réduit les chances d’une amélioration sensible du projet de loi. Enfin, cette nouvelle loi sur le climat, très tardive dans le quinquennat d’Emmanuel Macron, ne permettra pas à la majorité en place d’en assurer la mise en œuvre ni le suivi pourtant nécessaire. Une temporalité problématique mais déjà employée par l’ensemble des présidents français depuis 20 ans : aucune des lois structurantes pour le climat n’aura été votée avant la mi-mandat.
Le tabou de la transformation de l’économie
Si Emmanuel Macron a finalement échoué à bâtir une politique climatique ambitieuse et efficace, il n’aura pas été le seul. Avant lui, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande, tous élus au XXIe siècle, ne sont jamais parvenus à renforcer l’action climatique de la France ni à réduire – de manière structurelle en tout cas – les émissions de gaz à effet de serre du pays. Tous ont pourtant porté un discours ambitieux – un temps au moins – et fait montre de volontarisme en France comme sur la scène internationale. Mais à la difficile construction d’une réponse politique au changement climatique, chacun aura finalement préféré le refuge du récit politique. Un constat qui nous invite à en interroger les causes.
Ne nous méprenons pas, le récit politique est un outil utile à la lutte contre les dérèglements climatiques. Il permet de susciter l’adhésion des Français. Il permet de définir une perspective de long terme et de promouvoir un programme d’action sur le quinquennat. Il permet enfin de rendre compte des actions menées et d’en mesurer les effets. Mais ce récit n’est pas l’action. Il la précède et l’accompagne, mais il ne peut en aucun cas la supplanter.
Rappelons-le, depuis plus d’un siècle l’essentiel de la hausse de concentration des gaz à effet de serre dans l’atmosphère est d’origine anthropique. Ce qui provoque le réchauffement moyen des températures du globe trouve sa source dans les activités économiques humaines : ce que nous produisons, ce que nous consommons. L’action climatique consiste ainsi à mener des transformations plus ou moins lourdes des activités économiques, de production et de consommation. Des transformations qui mobilisent à des échelles différentes les citoyens, les entreprises et les territoires, mais dont les États demeurent les principaux chefs d’orchestre au travers de leur habilitation à définir les contraintes réglementaires et fiscales, ainsi que les critères d’investissements publics qui accompagnent et structurent la vie économique des pays.
Ainsi le rendez-vous manqué d’Emmanuel Macron avec l’Histoire de la lutte contre les dérèglements climatiques, révèle une problématique politique ancienne : l’incapacité d’Emmanuel Macron – et de ses prédécesseurs – d’accepter que les transformations nécessaires à la réduction des émissions de gaz à effet de serre nécessitent une mutation des politiques économiques et industrielles menées par l’État.
Une faiblesse qui se traduit d’ailleurs par des erreurs de diagnostic. En France, deux secteurs sont responsables de la moitié des émissions : les transports et l’agriculture. Le premier, dynamisé par la construction automobile et aéronautique, émet plus de gaz à effet de serre aujourd’hui qu’il y a 30 ans. Le second, centré autour de l’élevage, ne voit plus ses émissions de gaz à effet de serre baisser depuis 15 ans. Ils sont pourtant les deux secteurs les plus épargnés par les politiques de réduction de gaz à effet de serre passées et actuelles. Dans un secteur comme dans l’autre, on ne réduira jamais assez les émissions de gaz à effet de serre sans modifier le contenu des activités.
La conversion du secteur automobile à la voiture électrique est une solution nécessaire sans être suffisante. Il faudra s’employer à réduire l’usage de la voiture – notamment en zone urbaine – et donc préparer les constructeurs à trouver un modèle économique reposant sur une moindre production de véhicules chaque année. Une transformation similaire doit s’opérer dans le secteur agricole où l’élevage représente plus de la moitié des émissions du secteur. Dans chacun des deux secteurs, l’État doit établir une stratégie de long terme permettant d’accompagner ces transformations en soutenant les entreprises dans leurs conversions d’activités, mais aussi en garantissant aux employés la continuité des parcours professionnels et des revenus.
Or c’est cet accompagnement des transformations que se sont refusés à engager les gouvernements successifs depuis 20 ans. Réprouvant l’« écologie punitive », préférant les « écogestes » des citoyens, chaque gouvernement aura opté pour un discours trompeur où les citoyens-consommateurs sont considérés à la fois comme les mieux placés pour agir mais aussi comme les premiers opposants aux mesures les plus ambitieuses.
L’expérience de la Convention citoyenne sur le climat aura eu le mérite de prouver le contraire. Fournir aux citoyens une information de qualité et pluridisciplinaire, et leur laisser le temps d’un débat serein, voilà la recette pour définir et accepter des mesures utiles et parfois radicales. Car si les citoyens ou territoires peuvent « faire leur part », en organisant leur transition personnelle ou en participant à des projets de transitions locaux, c’est bel et bien à l’État que revient à la fois la responsabilité et à la fois le pouvoir de définir des règles du jeu cohérentes, afin d’accompagner les acteurs économiques.
En effet, on ne peut pas à la fois augmenter la taxe carbone sur les carburants sans obtenir l’engagement des constructeurs à réduire les consommations des véhicules. On ne peut pas à la fois dire qu’il faut en finir avec le diesel et maintenir 16 milliards d’euros (MD) de rabais fiscaux sur le diesel pour l’industrie, l’aviation et le transport routier. Enfin, on ne peut pas construire un récit de l’excellence climatique et déverser sans conditions, à la première crise venue, des dizaines de milliards d’euros sur les secteurs les moins vertueux. En 2008, les banques, qui auront continué de financer les infrastructures d’extraction et de transport de gaz et pétrole. En 2020, les constructeurs automobiles, dont les ventes de SUV, véhicules lourds et polluants, ont explosé.
La politique économique au service de la lutte climatique
Aligner la politique économique de la France sur les objectifs climatiques fixés par la science ne sera pas évident, d’autant plus quand les décideurs qui se sont succédés depuis plus de vingt ans n’ont jamais caché leur résistance. Une part de celle-ci compose l’héritage culturel des mouvements et partis politiques. Une culture politique sclérosée par une longue tradition économique reposant sur l’extraction massive de ressources naturelles et la surproduction, mais aussi sur un entre-soi au sein des appareils d’État peu propice à une modernisation rapide de l’action étatique.
D’autre part, l’effet potentiellement dévastateur à relativement court terme de certains impacts des dérèglements climatiques sur l’économie française demeure un impensé de la politique française. Agir pour réduire les émissions de gaz à effet de serre du pays et augmenter la résilience des territoires et activités économiques, c’est aussi donner à la France et à ses populations la possibilité d’un avenir. En effet, la résolution de la crise économique induite par la crise sanitaire actuelle semble aujourd’hui devoir passer par des investissements publics toxiques pour le climat. Il en était de même en 2009 lors de la précédente crise économique mondiale. Des mesures décidées dans l’urgence, sans prendre en compte le fait que les dérèglements climatiques engendreront une succession de crises tout aussi graves. C’est en tout cas l’alerte répétée des scientifiques du GIEC.
Ainsi, pour déployer un projet de transformation de l’économie en phase avec les exigences climatiques, une renouvellement culturel au sein de l’État semble incontournable. D’une part, l’ouverture de postes – habituellement réservés aux membres des grands corps d’État – à une plus grande diversité académique et à un horizon plus large de compétences permettrait une meilleure compréhension des enjeux ainsi qu’une plus grande agilité à y répondre. D’autre part, la restauration d’une relation de confiance, symétrique, entre citoyens et décideurs autoriserait une adhésion plus large aux projets de transformations et faciliterait leur mise en œuvre.
Si la route est encore longue vers la neutralité carbone, il est certain qu’elle passera en France par une révolution culturelle profonde au sein des milieux politiques.
NDLR : Cyrille Cormier a récemment publié Climat, la démission permanente aux éditions Utopia