Les continents tourmentés du nazisme

Ne t’attarde pas à l’ornière des résultats
René Char, Feuillets d’Hypnos 2.
Il était une fois un historien du nazisme qui était insatisfait des cônes d’ombre laissés par sa démarche. Il avait consacré ses premiers travaux à l’étude d’une cohorte de jeunes militants élitaires nazis, nés entre 1900 et 1910, pratiquement tous docteurs d’université, souvent juristes, mais aussi linguistes, historiens, philosophes, géographes ou littéraires, qui avaient peuplé et formé les organes de répression du Troisième Reich, Gestapo, SD (Service de sécurité de la SS) et RSHA (Office principal de la Sécurité du Reich). Au moment de se lancer dans cette étude, les outils de l’histoire sociale, qui formalisaient et quantifiaient, parurent constituer une impasse dans la démarche. Tel que le sujet était formulé, chercher l’extraction sociale de ces militants relevait de l’évidence ou du truisme.
Les outils de l’histoire culturelle et notamment de cette histoire culturelle de la grande Guerre qui avait tenté d’explorer l’expérience enfantine et le cadre normatif dans laquelle elle s’était agencée, et ceux de cette histoire de la déchirure religieuse qui restituait les univers émotionnels des acteurs sous la plume de Denis Crouzet, paraissaient mieux adaptés. Ce sont par ailleurs ces derniers travaux qui fournirent les outils nécessaires à l’analyse de l’insondable violence que déploya la cohorte en question dans le génocide par fusillade des Juifs d’Union Soviétique et dans les politiques de lutte contre les partisans qui dévastèrent les sociétés rurales d’URSS et d’Europe orientale.
Faire du nazisme un système culturel de désangoissement ; faire de la violence des centaines de villages incendiés (villageois compris) par les unités de la Wehrmacht et de la SS en Biélorussie un langage réfractant ce système culturel avait – et c’était là le nœud de l’insatisfaction – un coût : en saisissant le système culturel, on perdait l’acuité de l’observation des individus et des réseaux ;