Éducation

Lutter contre l’autocensure scolaire, une exigence démocratique, sociale, économique

Politiste

La question de la méritocratie en France renait chaque année face au manque criant de diversité des profils étudiants dans l’enseignement supérieur qui, malgré les politiques successives, perdure depuis vingt ans. C’est contre la représentation que les jeunes ont d’eux-mêmes qu’il faut se battre. Confondant leurs origines sociales, géographiques et de genre avec aspirations raisonnables, ils n’imaginent même pas de candidater aux parcours les plus prestigieux. Il est temps de les inciter à élargir leurs horizons.

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Une partie de la jeunesse française s’interdit le droit de rêver.

Au collège et au lycée, un grand nombre d’élèves d’origine modeste ne s’autorise pas à aspirer à des études longues ; des jeunes d’Île-de-France, du Lot, de Mayotte, à viser des établissements de la capitale ou des métropoles ; des filles, à s’engager dans des carrières scientifiques.

Les barrières sont géographiques, sociales, économiques, mentales. Le phénomène n’est pas marginal, il est massif, mesurable et mesuré. L’enjeu est démocratique. L’assignation à résidence sociale, spatiale et de genre abîme la société et les individus. Elle nourrit les inégalités devant la vie, ces inégalités profondes mises en lumière par Didier Fassin [1].

Le cercle vicieux des aspirations ajustées à la baisse

La question de la méritocratie en France est l’objet de débats biaisés par quelques totems qui suscitent un attachement aussi vigoureux chez les uns que l’est le rejet qu’ils provoquent chez les autres, et par des désaccords de vocabulaire.

S’attacher à lutter contre l’autocensure, c’est s’attaquer à un phénomène social dont le caractère problématique devrait faire consensus. Sauf chez ceux qui prôneraient un ordre social figé, dans la lignée des conservateurs disciples de Durkheim, tel un Paul Lapie craignant en 1904 que l’école gratuite et obligatoire instaurée par la IIIe République puisse inspirer aux élèves des « ambitions excessives » et les détourner « des carrières où les engagerait soit l’hérédité, soit le jeu naturel des forces sociales [2] ». Une conception entrant en opposition avec les fondements même de notre démocratie, qui exige une mobilité et une fluidité sociales véritables, et qui souffre de leur absence.

La réalité factuelle des phénomènes d’autocensure scolaire a été mise en lumière et mesurée par plusieurs travaux. À niveau scolaire égal, les élèves d’origine modeste ne s’autorisent pas les mêmes parcours. Quelle est la part prise par cette autocensure dans le fait qu’aujourd’hui,


[1] Didier Fassin, De l’inégalité des vies, Fayard, Collège de France, coll. « Leçons inaugurales », 2020.

[2] Paul Lapie, « L’École et les Écoliers », 1904.

[3] Repères et références statistiques. Enseignements. Formation. Recherche, Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance, Ministère de l’Education nationale et de la Jeunesse, Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, 2019.

[4] Nina Guyon, Élise Huillery, « Choix d’orientation et origine sociale : mesurer et comprendre l’autocensure scolaire », LIEPP, Sciences Po, décembre 2014.

[5] Cécile Bonneau, Pauline Charousset, Julien Grenet, Georgia Thebault, « Quelle démocratisation des grandes écoles depuis le début des années 2000 ? », Institut des Politiques publiques, 2021.

[6] Rapport de recherche « Analyse comparée des filières sélectives de l’enseignement supérieur en Île-de-France dans le domaine des sciences humaines et sociales. Paris Dauphine, Sciences Po, Licences sélectives de l’Université Paris I », sous la coordination scientifique de Marco Oberti, Observatoire sociologique du changement, Sciences Po, septembre 2020.

[7] Parmi les exemples donnés dans le rapport : « En 2015, lorsque vous tapiez “CEO” (« PDG ») dans un moteur de recherche aux États-Unis, il fallait aller jusqu’à la 96e photo pour y trouver une femme… sans compter qu’il s’agissait d’une image de Barbie CEO en tailleur minijupe. »

[8] Elyès Jouini, Clotilde Napp, Georgia Thebault et Thomas Breda, « Pourquoi l’égalité entre les sexes n’efface pas les ségrégations dans les filières scientifiques ? », The Conversation France, 10 janvier 2021.

[9] Rapport de la mission Haute Fonction Publique, sous la direction de Frédéric Thiriez, janvier 2020.

Agathe Cagé

Politiste

Notes

[1] Didier Fassin, De l’inégalité des vies, Fayard, Collège de France, coll. « Leçons inaugurales », 2020.

[2] Paul Lapie, « L’École et les Écoliers », 1904.

[3] Repères et références statistiques. Enseignements. Formation. Recherche, Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance, Ministère de l’Education nationale et de la Jeunesse, Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, 2019.

[4] Nina Guyon, Élise Huillery, « Choix d’orientation et origine sociale : mesurer et comprendre l’autocensure scolaire », LIEPP, Sciences Po, décembre 2014.

[5] Cécile Bonneau, Pauline Charousset, Julien Grenet, Georgia Thebault, « Quelle démocratisation des grandes écoles depuis le début des années 2000 ? », Institut des Politiques publiques, 2021.

[6] Rapport de recherche « Analyse comparée des filières sélectives de l’enseignement supérieur en Île-de-France dans le domaine des sciences humaines et sociales. Paris Dauphine, Sciences Po, Licences sélectives de l’Université Paris I », sous la coordination scientifique de Marco Oberti, Observatoire sociologique du changement, Sciences Po, septembre 2020.

[7] Parmi les exemples donnés dans le rapport : « En 2015, lorsque vous tapiez “CEO” (« PDG ») dans un moteur de recherche aux États-Unis, il fallait aller jusqu’à la 96e photo pour y trouver une femme… sans compter qu’il s’agissait d’une image de Barbie CEO en tailleur minijupe. »

[8] Elyès Jouini, Clotilde Napp, Georgia Thebault et Thomas Breda, « Pourquoi l’égalité entre les sexes n’efface pas les ségrégations dans les filières scientifiques ? », The Conversation France, 10 janvier 2021.

[9] Rapport de la mission Haute Fonction Publique, sous la direction de Frédéric Thiriez, janvier 2020.