Défendre l’Europe par temps troubles
En ces heures troublées où chacun de nous est mis à l’épreuve, le temps qui nous est imparti nous permet encore de faire face à l’avenir avec une conscience claire.
Martin Luther King, dernier appel, 28 août 1963
Pour les Ukrainiens, l’agression russe sur leur sol, soit par des moyens dits « hybrides », soit par les lourds moyens de l’invasion militaire, ne comporte aucune équivoque. C’est une guerre totale, de nature impérialiste, qui n’appelle qu’une réaction : la résistance totale et organisée. Pour nous, Européens éloignés du théâtre des opérations, cette agression est le moment d’affirmer un soutien inconditionnel et total à la résistance intérieure ukrainienne.
Mais, pour nous, elle est aussi synonyme d’un trouble. Quelle en est la nature ? Sur le bruit de fond de la guerre qui interrompt toute pensée, nous croyons qu’il est de notre devoir de s’interroger. Pourquoi ? Parce que nous n’avons pas d’autre choix : cette interrogation porte sur le temps troublé qui nous enveloppe et risque de nous échapper. Et parce que l’interrogation qui ne naît pas de cet événement est rendue plus pressante par celui-ci. Interroger le trouble qui nous saisit, c’est accepter de faire face à l’avenir de l’Europe et des Ukrainiens en Europe, sans se donner l’illusion de la « conscience claire » dont pouvait se prévaloir Martin Luther King, et sans le confort d’une fuite tranquille dans les schémas périmés du passé.

Disons d’abord que l’agression a un effet de sidération qui nous projette ailleurs et loin en arrière. Dans ce qui arrive, il est facile d’apercevoir les ombres du passé. Les évènements du passé guerrier de l’Europe prennent le pas sur les évènements réels ; le souci de la conjoncture et du quotidien cède la place à la préparation de la guerre ; la polarisation interne aux sociétés européennes s’efface derrière une polarisation d’États-nations qui, élargie à l’échelle européenne, oppose un « nous » européen à un « eux » russe ; le sentiment que tout pouvoir pol