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Midterms : la fin politique de Biden et Trump ?

Politiste

À l’issue d’élections de mi-mandat qui n’auront pas connu la vague rouge annoncée, tous les yeux sont désormais rivés vers la présidentielle de 2024. Avec l’usure de Biden comme de Trump, les deux grands partis entament leur aggiornamento pour soutenir une Amérique qui devra endurer les effets de la récession fin 2023 / début 2024, soit à l’approche des élections primaires. C’est peut-être là que les démocrates auront une carte à jouer.

Fabrice est un personnage ingénu dont les aventures sont feuilletonnées exclusivement pour AOC. Il revient cette semaine car il n’a pas raté une miette de la nuit électorale des élections de mi-mandat. À quoi sert de dormir quand on peut suivre les résultats comtés par comtés ? Les décomptes étant lents dans certains États, il n’a en fait pas quitté les chaînes d’information en continu. Quelque peu éprouvé par ce marathon, les yeux gonflés de cernes et les neurones en décalage horaire, il préfère appeler T. pour s’éclaircir les idées.

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Fabrice : Les midterms ne sont pas des élections présidentielles, pourtant on ne parle que de Biden et de Trump : on est bien en 2022 ou j’ai raté quelque chose ?
T. : Les élections de mi-mandat renouvellent, notamment, la Chambre des représentants et un tiers du Sénat. Ces élections déterminent donc la marge de manœuvre du président en place pour les deux dernières années de son mandat. Elles sont le plus souvent défavorables au parti qui contrôle la Maison blanche. On se souvient qu’en 2018, face au président Trump, les démocrates avaient gagné quarante-et-un sièges à la Chambre. Cette année, les républicains ne gagnent que sept sièges à la Chambre face à Biden. Ils perdent même un siège au Sénat. Certes, les résultats ne sont pas encore définitifs. Mais on ne peut déjà que constater que ce rendez-vous électoral a été manqué pour le « grand old party » (GOP). Comment expliquer un tel désaveu qui n’a été anticipé ni par les commentateurs ni par les sondages ?

Fabrice : Bah si c’est vous qui posez les questions maintenant, je vais plus m’en sortir… Je dirais… euh… la campagne des démocrates n’était pas terrible, non ?
T. : Depuis l’été 2022, le Parti démocrate a choisi de concentrer sa campagne sur l’avortement. Après la décision de la Cour suprême mettant un terme à la protection fédérale de ce droit au mois de juin, l’idée était de fédérer les inquiétudes et mécontentements. Sauf que ce droit n’était en balance que dans un État sur deux. Ce qui est beaucoup mais laissait les électeurs démocrates sans motif fort de mobilisation dans une large partie du pays. Plus intéressant : les conséquences de l’inflation (à savoir le prix de l’alimentation, du loyer ou des carburants) ont été longtemps délaissées par l’état-major démocrate. Or, selon un sondage de CBS News, 65 % des Américains jugeaient l’état de l’économie plutôt dégradé, et surtout, 68 % que l’administration Biden aurait dû mieux combattre cette hausse des prix. À deux semaines du scrutin, nombre de candidats de ce parti ont revu leur stratégie. Objectif :  axer davantage leur communication sur ces sujets sources de désarroi au sein de leur électorat. Le sénateur John Fetterman, à Philadelphie, a reconnu que sa victoire devait beaucoup à ce revirement de campagne. Un argument bien plus convaincant que la promotion du plan Biden sur l’investissement dans les infrastructures, qui continuait à faire bien pâle figure face aux réductions d’impôt promises par les républicains. Autre couac : à l’approche du scrutin, Joe Biden a annoncé qu’il se représenterait aux élections de 2024. Seul hic : deux tiers des démocrates ne souhaitent pas cette candidature.

Fabrice : Je crois bien que Joe Biden a parlé de « protéger la démocratie » aussi, ça veut dire quoi ? On dirait pas qu’ils risquaient de changer de régime pourtant.
T. : Les démocrates ont fait campagne sur la « protection de la démocratie » pour dénoncer les allégations de scrutin volé depuis 2020 par les républicains. Cette thématique n’a fait que soutenir une opinion anti-Trump déjà présente. Ce qui indique un résultat majeur : le ressort de ces élections semble bien avoir été la peur d’un retour de Donald Trump et ses hommes à la tête du pouvoir, une dimension nationale qui s’est fortement invitée dans ces élections locales. On peut ainsi parler d’une nationalisation sans précédent du scrutin. Si l’ancien président a cherché à être omniprésent durant la campagne, ses adversaires démocrates ont largement encouragé cette démarche. Un effet épouvantail dont le parti ne peut aujourd’hui que se féliciter : l’outrance vengeresse de Trump a même fini par cacher les problèmes physiques de Biden (interpellant une élue décédée, ou lisant les instructions du prompteur, ou encore confondant un décret présidentiel avec le vote d’une loi) et, par extension, la question du leadership défaillant d’un parti de plus en plus boudé par la base électorale des classes moyennes. 

Fabrice : Les républicains ont désormais la majorité à la Chambre des représentants, mais Trump, il se serait pas un petit peu pris une tôle quand même ?
T. : L’ancien président aurait été un adversaire idéal pour le Parti démocrate en 2024. Sa capacité à mobiliser le camp démocrate est désormais patente. D’où cette interrogation : cette défaite ne vient-elle pas trop tôt ? Objet de plusieurs procédures de destitution, banni de certains réseaux sociaux, inquiété par la justice suite à l’invasion du Capitole et à des malversions fiscales, soutenu par les courants complotistes : les handicaps de Trump sont nombreux. Ils auraient permis à un Biden vieillissant d’espérer remporter un second mandat. La stratégie des démocrates semble clairement d’enjamber l’hypothèse d’une reconduction du duel avec Biden. La veille des midterms, Trump annonçait une grande nouvelle pour le 15 novembre 2022 depuis Palm Beach. Sa ligne paraît de plus en plus hasardeuse. Un républicain sur deux ne veut plus de Donald Trump comme candidat à la présidence. Les résultats des élections de mi-mandat soutiennent ce rejet. Au lieu de la « vague rouge » annoncée pour et par le Parti républicain, les victoires se comptent sur les doigts des deux mains. [Fabrice se met sur kit mains libres pour bien déplier tous ses doigts.] La Chambre des représentants ? Elle est reprise aux démocrates mais par quelques sièges seulement. Le Sénat ? Il reste contrôlé par les démocrates. Et les victoires démocrates sont cinglantes dans plusieurs swing states : la Pennsylvanie, la Géorgie, le Nevada, ou encore le Michigan. 

Ce n’est pas seulement Trump qui a perdu, mais aussi les trumpistes. Le candidat au poste de gouverneur du Wisconsin, Tim Michels – dont on a pu dire qu’il était un Donald Trump bis –, reste sous les 48% de voix. La Pennsylvanie, fortement investie par Trump, rejette ses dauphins Mehmet Oz et Doug Mastriano : ils se voient recalés aux mandats de sénateur et gouverneur. Dans l’Arizona, la médiatique Kari Lake, qui plaisantait au sujet de l’agression du mari de Nancy Pelosi par un militant pro-Trump, échoue de peu face à son adversaire démocrate. Plusieurs scrutins étant serrés, les républicains n’hésiteront pas à engager des recours. Mais les rarissimes et rachitiques succès des procédures consécutives à l’élection soi-disant « volée » de 2020 laissent penser que cela ne fera que repousser la proclamation des résultats finaux.

Fabrice : Oui, mais regardez la Floride !! Toute rouge, quasi carton plein !
T. : La Floride est une maigre consolation. Elle est acquise au GOP mais à la faveur du grand rival de Trump : Ron DeSantis. Il vient d’y être réélu gouverneur en remportant la majorité des voix dans 62 comtés sur 67. Le milliardaire Elon Musk, qui vient de racheter le réseau social Twitter, lui a réaffirmé son soutien. Si celui-ci venait à se transformer en contribution financière, cela pourrait peser dans la campagne présidentielle à venir. DeSantis s’est appuyé sur Donald Trump mais maintenant le talonne. Plus jeune, moins fantasque, ce conservateur se montre plus ouvert sur les questions d’environnement. L’argument résonne chez les électeurs de Floride qui ont essuyé coup sur coup deux ouragans, fin septembre et début novembre. Ce républicain ne joue pas tant sur le sentiment anti-Biden ou sur la rhétorique conspirationniste. Il cherche plutôt à rassurer les franges traditionnalistes. En témoignent sa dénonciation du wokisme ou ses mesures strictes concernant l’avortement. Une façon habile de se positionner pour les prochaines primaires républicaines en vue des élections présidentielles de 2024. Il se distingue d’un Marco Rubio, élu sénateur dans ce même État, mais qui a tout misé sur une campagne anti-transgenre plus étroite. 

Avec DeSantis, la plateforme programmatique du Parti républicain commence à se redéfinir. Cette fois, à l’épreuve des faits, ceux d’un sondage grandeur nature : les midterms eux-mêmes. Les républicains ne s’y sont d’ailleurs pas trompés : Trump est loin du résultat escompté. Plusieurs membres de son propre camp ont pris la parole dès les premiers résultats tombés pour imputer les échecs à Donald Trump. Le Wall Street Journal a même titré que Trump était le plus grand perdant (« biggest loser ») du Parti républicain. Le message est clair : les milieux d’affaires le lâchent. La mise en cause est terrible pour l’homme d’affaires milliardaire.

Fabrice : OK, Trump est kaput. Mais quand même… les républicains n’ont pas perdu beaucoup de mandats.
T. : Les élections de mi-mandat sont l’occasion d’élire des représentants, des sénateurs, ou encore des sheriffs, mais aussi de s’exprimer dans des référendums locaux (ballot measures). L’avortement fait partie des sujets mis en avant sur les bulletins de vote, aux côtés de l’autorisation de l’usage récréatif de la marijuana, du travail forcé dans les prisons, du port d’armes à feu, ou des réformes électorales. Si les bastions républicains le sont restés, ces votes ont permis aux électeurs d’indiquer leurs préférences en matière de politiques publiques. Dans l’État traditionnellement républicain du Kentucky, les électeurs ont voté contre un amendement de la Constitution affirmant la non-protection de l’avortement. Dans le swing state du Michigan, l’assemblée a été reprise par les démocrates et les électeurs ont approuvé la « proposition 3 » inscrivant la liberté reproductive dans la constitution de l’État. Les électeurs du Dakota du Sud, un État rural et conservateur, ont approuvé l’élargissement de la couverture santé pour les plus démunis (Medicaid). Dans les tout aussi républicains Nevada et Nebraska, l’augmentation du salaire minimum l’a emporté haut la main. Autant de victoires pour le camp modéré.

Fabrice : C’est plutôt une bonne nouvelle ça, non ? Bon, ils font quoi maintenant, ils attendent la récession ?
T. : Tous les yeux sont désormais rivés vers les élections présidentielles de 2024. Les deuxièmes parties de mandat sont peu propices aux réformes d’envergure. On n’attend donc plus de grande mesure, alors que la réalité sociale de l’Amérique est là, plus criante que jamais. La pandémie de Covid-19 et l’inflation ont laissé des traces durables sur les grandes villes des États-Unis, où le sans-abrisme, les morts par overdose d’opioïdes, et la criminalité ont augmenté significativement. Avec l’usure de Biden comme de Trump, les deux grands partis entament leur aggiornamento pour soutenir une Amérique qui va endurer les effets de la récession fin 2023 / début 2024, soit à l’approche des élections primaires. C’est peut-être là que les démocrates auront une carte à jouer. 

Fabrice : Oui, mais laquelle ? Qui pourra succéder à Biden ?
T. : Encore faudrait-il que le parti se décide à mettre Joe Biden à la retraite et surtout qu’il renonce à des candidatures radicales comme celles de Bernie Sanders, autre vétéran des campagnes électorales. Alexandria Ocasio-Cortez (souvent désignée par ses initiales « AOC ») séduit beaucoup à la gauche du parti pour sa défense des minorités, mais est encore un peu jeune pour prendre le contrôle du parti. Dans ce camp, un Pete Buttigieg, 40 ans, ancien maire de la petite ville de South Bend (100 000 habitants) dans l’Indiana et actuel ministre des Transports est l’une des figures montantes. Candidat aux primaires de 2020, il avait réalisé des scores moindres que la peu charismatique Elizabeth Warren ou que le distant milliardaire ancien maire de New York Michael Bloomberg. Ses fonctions politiques ne lui ont pas donné une grande visibilité pendant la pandémie (contrairement à des gouverneurs qui avaient un pouvoir de décision sur les questions sanitaires), mais il a été très demandé pendant la campagne des midterms. Représentant des classes moyennes, cet ancien militaire de réserve et homosexuel déclaré pourrait être une voie de recours du Parti démocrate. D’autres noms circulent (la vice-présidente Kamala Harris, la gouverneure du Michigan juste réélue Gretchen Whitmer, ou encore la sénatrice du Minnesota Amy Klobuchar…), et la course à l’investiture reste encore longue.

Fabrice : Vous êtes vraiment certain que les démocrates seront en position de force pour les prochaines élections présidentielles ?
T. : De nombreux obstacles peuvent surgir d’ici 2024. En tout cas, ce qui est sûr, c’est que démocrates comme républicains devront franchir le Rubicon, celui de la polarisation, seule manière pour eux de retrouver des électorats plus centristes qui apparaissent désormais comme détenant les clefs du futur visage de la démocratie électorale américaine.


Elisa Chelle

Politiste, Professeure à l’Université Paris Nanterre, Chercheuse affiliée au Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP) de Sciences Po