Pour une redirection des sciences
Cette fois, nous y sommes. Le GIEC en parlait depuis longtemps, le rapport Meadows nous avait prévenus voici un demi-siècle, mais ça restait un peu abstrait, au moins dans nos pays riches. La canicule, les sécheresses et les incendies de l’été 2022 auront rendu palpable aux Français ce qui n’était jusqu’ici qu’une augmentation de probabilités. Et que ceux qui seraient tentés de circonscrire le sens de ces catastrophes regardent aussi ailleurs, les mégafeux en Californie et surtout les inondations au Pakistan, dont 10 % du territoire a été submergé (l’équivalent en France de toute la région Bourgogne Franche Comté), provoquant des millions de déplacés : un vrai « carnage climatique » pour le chef de l’ONU, Antonio Guterres.

Et pour la première fois, l’indice mondial de développement humain (IDH), qui évalue la santé, l’éducation et le niveau de vie, a diminué pendant deux années consécutives. Nous avons dépassé les bornes, et Gaïa, figure du système Terre, nous emporte dans une nouvelle ère, imprévisible et ténébreuse.
Au-delà du pessimisme ou de l’angoisse que ces mutations provoquent en chacun, il semble utile d’inventer des outils à léguer aux suivants, pour faire face à ce qui vient. Car qui dit nouvelle ère dit aussi nouveaux savoirs, en rupture avec nos habitudes héritées de la révolution scientifique. Les sciences modernes sont nées quand les machines ont envahi le monde organique, sur lequel Aristote avait bâti un savoir sophistiqué mais limité. Cette « science machinique » (engine science[1]), intimement enchevêtrée à la construction de longs réseaux techno-industriels, a constitué un élément déterminant de la grande accélération, qui se cogne aujourd’hui aux limites terrestres.
Bien sûr, les sciences sont diverses, et il reste de précieux espaces de liberté pour des recherches de toutes sortes. Mais les sciences ne sont pas juste en quête d’une « connaissance » générique, apolitique. Transformer le monde en connaissances détachées de leur contexte