Contourner la révolution : pratiques politiques en Tunisie et en France
«Vous là, il y a quelques années en arrière, vous êtes sorties dans la rue pour crier “dégage, dégage, dégage”, nous aussi on continue de l’utiliser (dégage) sauf qu’on a ajouté quelque chose devant : “Je me”, on dit “je me dégage”. C’est moi qui vais partir ».

En ouvrant à l’aube des années 2010 un cycle de révolutions aux destinées multiples, la Tunisie a constitué un lieu d’interprétation dynamique des phénomènes contestataires. De nombreuses enquêtes ont renseigné le moment révolutionnaire, dont « l’unanimisme » a vite été remis en cause par l’incertitude politique, la dégradation des conditions économiques déjà difficiles et des services publics, puis les tensions religieuses nouvelles qui ont surgi dès la seconde partie de l’année 2011.
Pour autant, l’intérêt et l’admiration qu’ont pu susciter le soulèvement tunisien sont loin d’avoir disparu malgré les profondes contradictions et difficultés de la période postrévolutionnaire. Et pour cause. Présentée comme une sorte de « miraculée » d’un cycle de bouleversements dans le Maghreb et le monde arabe, on peut dire que la Tunisie offre à l’analyse un point de vue sur une période qui est tout à la fois révolution, changement de régime, transition et même routinisation, sans que le passage de l’un à l’autre de ces états ne soit un phénomène linéaire, ni définitif[1].
En suivant des développements récents qui nous invitent à juste titre à penser dans le même cadre les soulèvements révolutionnaires et l’espace institutionnel[2], les premiers agissant sur les seconds par la force des choses, nous voudrons suggérer ici que les formes d’expression politique qui traversent la société tunisienne entretiennent un dialogue ambigu, mais fertile, avec le monde politique. La différence avec, par exemple, la « restauration autoritaire » égyptienne, rend tout simplement possible l’observation en Tunisie des transformations du champ politique et les mobilisations populaires qui en formulent la critique, sous des formes di