Réforme des retraites : vers un nouveau coup dur pour la recherche publique ?
C’était encore l’été 2022. Le service des études statistiques du ministère de la Recherche et de l’Enseignement supérieur annonçait des perspectives encourageantes pour les jeunes doctorants et post-doctorants à la recherche d’un emploi de chercheur ou d’enseignant-chercheur en France : des postes allaient enfin se libérer !
Dans un contexte d’universités limitées par un plafond d’emplois maximum, les niveaux de recrutement épousent sur le moyen terme ceux des départs à la retraite. Ainsi, de 2018 à 2021, 2,2 % des enseignants-chercheurs en moyenne partaient à la retraite annuellement, et 2,2 % étaient recrutés. Les organismes de recherche (CNRS, Inserm…) dont les effectifs globaux sont bien plus faibles que les universités, ont eux globalement perdu des postes d’ingénieurs, chercheurs et personnels supports dans la dernière décennie.
Or les cohortes qui devaient partir entre 2023 et 2029 étaient attendues comme bien plus fournies, résultat de politiques d’embauches initiées sous Mitterrand. Le taux de départ pour les seuls enseignants chercheurs devait croître à 2,9 %. Mécaniquement, cela aurait impliqué une hausse des recrutements de l’ordre de 30 %. De quoi permettre enfin de résorber une longue liste d’attente qui se traduit par un âge moyen de recrutement sur un premier poste permanent toujours plus haut – autour de 35 ans désormais –, et de donner de l’espoir à tous les jeunes amoureux des sciences.
Un tel coup de jeune donné à la recherche française aurait également libéré des marges de manœuvre pour investir de nouveaux thèmes portés par une nouvelle génération de scientifiques, et probablement diversifier les recrutements et accroître la part des femmes. Les sciences dites exactes et expérimentales auraient été les plus concernées par une nouvelle dynamique avec un doublement des taux de départ. Dans une moindre mesure, les sciences humaines et sociales (à l’exception du Droit) en auraient également bénéficié.
La réforme des retraites du gouvernement, si elle passe (en l’état), risque de balayer ces espoirs. Les chercheurs et enseignants chercheurs partent pour la plupart bien après 64 ans, jusqu’à près de 67 ans au CNRS par exemple, notamment ceux n’ayant que des carrières incomplètes en raison de débuts sur contrats successifs, certains réalisés à l’étranger. On pourrait à première vue penser que la réforme ne les concerne donc pas, ou marginalement (hormis celles et ceux qui ont pu commencer à cotiser jeunes et les mères de plusieurs enfants, qui perdraient des trimestres utiles entre 62 et 64 ans).
Comment assurer les enseignements dans des universités dont les amphis sont déjà plein à craquer ? Facile : le cumul emploi retraite.
Mais avec l’obsession du gouvernement pour l’idée que travailler vieux est un bien pour la France, le projet de loi prévoit la possibilité pour tout fonctionnaire de partir désormais à l’âge de 70 ans, au-delà de la limite d’âge de 67 ans. Actuellement, un fonctionnaire peut déjà demander de prolonger (au maximum de 10 trimestres) s’il ne peut atteindre le taux dit maximal de 75 % du dernier traitement. Même s’il n’y a plus décote à 67 ans, un agent qui a par exemple travaillé à temps partiel pendant une partie de sa carrière, essentiellement des femmes, voit sa pension diminuée en proportion, loin du taux maximal.
En pratique, les employeurs de l’enseignement supérieur refusent jusqu’à présent le plus souvent les prolongations en arguant de la nécessité de service. Dans la formulation du projet de loi gouvernemental, les 70 ans ouverts à tous demeurent conditionnés à une autorisation de l’employeur public. Quelle sera alors la réalité du nouveau dispositif ? Plusieurs scénarii se dessinent.
Le plus pessimiste pour les jeunes chercheurs : les employeurs publics accèdent à la demande des agents en poste de prolonger pour augmenter leur niveau de pension ; l’âge de départ se décalerait progressivement en moyenne de deux ans d’ici 2030 ; la perspective d’un surcroît de départs et donc de recrutements jusqu’à la fin de la décennie s’envole (plus précisément toujours un peu plus de départs en physique mais déclin en SHS).
Le plus « optimiste » : le statu quo. Le projet de loi n’est qu’une fausse promesse aux personnels âgés qui voudraient dépasser les 67 ans, les employeurs publics privilégient toujours une relève scientifique et les postes seront renouvelés.
Entre les deux, l’ajustement des effectifs suivant les priorités gouvernementales. En effet, dans les grands paramètres du projet de loi et de la trajectoire transmise au Conseil d’orientation des retraites figure la stabilité absolue des effectifs de la fonction publique d’État. Comment atteindre cet objectif, tout en privilégiant certains secteurs déjà annoncés comme prioritaires (comme les prisons ou l’armée) ? En ne remplaçant pas dans d’autres pans de la fonction publique tous les départs à la retraite, et pourquoi pas dans l’Enseignement supérieur et la recherche : il suffira de dire qu’il n’y a pas suffisamment d’excellent.es candidat.es.
Mais alors comment assurer les enseignements dans les universités dont les amphis sont déjà trop souvent plein à craquer ? Facile : le cumul emploi retraite. On met à la retraite un prof pour raison de service, on le réembauche quelques mois après comme vacataire à bas prix (non comptabilisé dans les « consommations d’emplois »), avec l’horizon d’une meilleure pension puisque la réforme ouvre désormais opportunément l’acquisition de droits lors d’un cumul.
Alors que Conseils scientifiques et Académies s’inquiètent d’un décrochage de la recherche publique française et que le pouvoir clame au contraire son ambition, il serait utile que le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche divulgue la teneur de sa politique de départs dans la foulée de la réforme Macron-Borne.