Des périls d’une nouvelle « grande transformation »
La séquence de la réforme des retraites qui se déroule depuis janvier 2023 signe le retour au premier plan de la mobilisation sociale massive contre le libéralisme. Uni, le front syndical a réussi à mobiliser jusqu’à 3,5 millions de personnes dans les rues, et ce à plusieurs reprises. On aurait pu croire que la gauche politique tire les bénéfices de la contestation contre l’allongement de l’âge légal à 64 ans. Pourtant, selon un sondage paru dans Le JDD le 25 mars dernier, ce serait le RN qui sortirait grand gagnant du moment. En cas de dissolution, il pourrait gagner jusqu’à 7 points, le plaçant en moyenne à 26 % au premier tour à l’échelle nationale, au même niveau que la NUPES, qui quant à elle stagnerait dans l’opinion, malgré sa forte mobilisation contre les retraites.

Les avis pour tenter d’expliquer ce paradoxe sont nombreux et souvent contradictoires. Sur les plateaux des chaînes d’information en continu, deux poncifs s’accumulent en guise d’analyse : les insoumis passeraient pour des dangereux « bordélisateurs » qui décrédibiliseraient la gauche, au contraire, le RN brillerait par son sérieux et sa retenue.
Quoiqu’on pense du thermomètre, la montée dans les enquêtes d’opinion de Marine Le Pen dans un tel moment signale une difficulté pour la gauche de tirer profit du mouvement social qu’elle soutient et pour lequel elle se mobilise. Une raison conjoncturelle et strictement politique peut expliquer cette dynamique de l’extrême droite : Marine Le Pen capitalise sur la rente du second tour de l’élection présidentielle ; en l’état, elle fait figure de première opposante. Mais cette seule explication est un peu courte et ne permet pas de comprendre pourquoi, quand des réformes injustes sont menées pour tenter de résoudre certaines contradictions du capitalisme contemporain, c’est l’extrême droite qui apparaît comme le rempart au libéralisme.
Dans La Grande Transformation, Karl Polanyi a disséqué un mouvement comparable. Il a brillamment montré quelles