Politique

Se vivre en « maître des horloges » et devoir courir après le temps

Politiste, Chercheur en gestion

Celui qui clamait en 2017 qu’il serait « le maître des horloges » parvient-il à remonter le mécanisme de l’action publique ? À peine plus d’un an après la réélection d’Emmanuel Macron, le refus social de la réforme des retraites a arrêté le temps politique. C’est à cet arrêt de l’action publique qu’entend répondre le cap symbolique des 100 jours fixé par le président de la République, dont le premier bilan, attendu pour le 14 juillet, approche à grands pas : il ne reste déjà plus que 50 jours.

C’était en 2017. Le Président Emmanuel Macron tout juste élu affirmait haut et fort qu’il entendait « rester maître des horloges ». Après avoir brûlé toutes les étapes de la conquête électorale, il disait vouloir désormais prendre le temps de l’action ! Par cette formule, il sous-entendait plusieurs choses. Il indiquait d’abord qu’il entendait imprimer le rythme et décider du calendrier et de la cadence des réformes.

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Il avait sans doute aussi en tête l’ouvrage de Philippe Delmas, publié au début des années 1990, que tout élève de Sciences Po se devait alors d’avoir parcouru, mais qui résonnait encore suffisamment dans la tête d’une génération de technocrates désormais en responsabilité. Enfin, on peut imaginer que la métaphore, à peine masquée, du « grand horloger » n’était pas sans déplaire au vainqueur par chaos des partis de gouvernement de la Ve République. Il optait pour un pouvoir descendant, s’exerçant du haut vers le bas, où la médiation et la délibération seraient secondaires.

On sait que le temps long de l’action publique et du bon gouvernement s’oppose à l’immédiateté et à la versatilité des marchés. Mais on oublie souvent que la maîtrise du temps est une variable essentielle pour la réussite d’un mandat politique, qu’il s’agisse de réformer, impulser des changements durables ou apaiser des tensions sociales. Si les professionnels de la politique s’honorent de savoir le maîtriser, ils sont bien plus sûrement gouvernés par le temps, comme en témoigne l’état de grâce des premiers mois, l’incontournable bilan de mi-mandat et celui de fin de mandat qui annonce le prochain. Les cycles électoraux fixent le rythme des politiques publiques. N’est-ce pas ce temps politique que vient d’arrêter le refus social de la réforme des retraites à pleine plus d’un an après la réélection ? Et si la réforme des retraites avait d’abord pour effet de perturber les temps de la politique ?

Le temps de l’action publique

Avec la capacité de nomination, la « maîtrise du calendrier » est une des principales sources de pouvoir de l’exécutif sous la Ve République. Cette prérogative constitutionnelle des exécutifs leur permet de faire voter et mettre en œuvre des décisions à fort impact social. Ils peuvent aussi organiser de larges consultations, comme ce fut d’ailleurs le cas pour nombre des projets de réforme du système de retraites. Les récentes mobilisations sociales, plus encore que la crise sanitaire, ont momentanément grippé ce puissant levier du président de la République.

Il s’agit moins ici du temps de l’action politique, celui de la conquête ou de la reconquête électorale, que du temps de l’action publique lié à la maîtrise de l’agenda gouvernemental. Un des résultats de la séquence politique liée à la réforme des retraites est d’avoir profondément affecté les temps de la décision et de la mise en œuvre des politiques publiques. L’action publique se trouve au point mort un an après la réélection du Président. Elle ne l’est pas seulement faute de majorité absolue à l’Assemblée nationale. Elle l’est surtout du fait de l’action collective emmenée par l’intersyndicale.

C’est bien à cet arrêt de l’action publique qu’entend répondre le cap symbolique des 100 jours fixé, par le président de la République, au lendemain de l’adoption de la réforme contestée des retraites, afin de lancer de nouveaux chantiers ! Ce sont 100 jours destinés à redonner une impulsion au gouvernement, pour définir une (nouvelle) feuille de route. Mais, avec un rendez-vous bilan fixé au 14 juillet, ces 100 jours résonnent aussi comme une menace pour le gouvernement d’Élisabeth Borne !

L’art difficile de la relance

Le début du premier mandat d’Emmanuel Macron a été marqué par des mesures qui se voulaient ambitieuses, telles que la refonte de l’ISF, la réforme du Code du travail et aussi celle du baccalauréat et de l’entrée à l’Université. Si le geste politique accompagne sans doute la volonté de modernisation et la recherche de l’efficacité de l’action publique, ces réformes structurantes permettent de dessiner un projet collectif pour l’avenir. Controversées, ces réformes ont très tôt mis le Président face à des défis importants en termes de légitimité et d’acceptation sociales : l’opposition à la refonte du code du travail, le mouvement des Gilets jaunes, la grogne contre le 80 km/h. Pourtant, à chaque fois, il a su reprendre la main, grâce à des coups tactiques des plus classiques (le renoncement gouvernemental aux 80 km/h à la veille des élections européennes ; la division des oppositions et la lassitude pour le code du travail ou la réforme de la SNCF) ou des stratégies d’acceptabilité plus audacieuses (le Grand Débat national).

Pour son second mandat, Emmanuel Macron a tout de suite voulu donner le tempo, en lançant des réformes aussi structurantes que celle du système des retraites. Toutefois, cette rapidité et le refus de tenir compte des nouveaux rapports de force politiques, se sont heurtés à une opposition combattive et audible, ainsi qu’à la perception sociétale d’une gouvernance exagérément verticale, élitiste et étonnamment sourde face aux inquiétudes de la société française.

L’échec du mouvement des Gilets jaunes ne doit pas masquer que, sociologiquement, la population française se caractérise par une forte méfiance envers les élites et une défiance envers ses institutions. Le mouvement des Gilets Jaunes a mis en lumière les difficultés sociales, l’intensité des demandes pour une meilleure répartition des richesses et, à travers la dénonciation des violences policières, une perception des élites gouvernantes insensibles et éloignées du reste de la société française. La réponse au mouvement contre les retraites n’a fait que renforcer ce sentiment. Les stratégies d’acceptabilité successivement déployées par le gouvernement n’ont fait que montrer son impréparation et son incompréhension de la réception sociale de la réforme imposée !

Retrouver le (bon) rythme

Face à l’installation d’une profonde défiance sociétale, Emmanuel Macron peut-il retrouver la maîtrise du calendrier des réformes ? Il peut le faire en multipliant les coups tactiques. N’est-ce pas ce qui est tenté à travers le lancement, très médiatisé, d’une réflexion sur la semaine de 4 jours, suggérant que le bien-être au travail reste une préoccupation gouvernementale ? Il peut aussi le faire en redonnant de la transparence à l’action gouvernementale par le suivi des mesures mises en place et une communication régulière sur leurs avancées. Là encore, la récente campagne « En avoir pour mes impôts » n’en est-elle pas l’expression maladroite ? Il peut encore le faire en cherchant à rassurer les citoyens sur sa capacité à apaiser les tensions et réformer.

Pour ce faire, il pourrait instaurer de nouvelles instances et temps de concertation, comme la déclinaison du Grand débat national ou des conventions citoyennes, valoriser l’engagement citoyen et s’efforcer d’impliquer davantage les acteurs de la société civile dans le processus de prise de décision. À condition naturellement que ces actions soient suivies des faits et donnent lieu à l’obtention de résultats visibles et mesurables. Enfin, pour finir son mandat dans de meilleures conditions, le président doit démontrer que les résultats de ses réformes, bien que non immédiats constituent des avancées notables.

Face à une population indignée et en manque de repères, il devient en effet urgent de trouver un équilibre entre la persévérance dans la mise en œuvre de réformes, présentées comme incontournables à long terme, et la prise en compte des inquiétudes et des attentes de court terme de la population, pour regagner la confiance et rétablir la légitimité présidentielle aux yeux des Français.

Les temps de la démocratie moderne

À travers l’exemple d’Emmanuel Macron et sa difficile gestion du temps de l’action publique, s’exprime une véritable problématique des démocraties contemporaines : comment concilier l’urgence des réformes, jugées nécessaires par l’Élysée, et leur acceptation sociale ? Cette question soulève trois axes de réflexion essentiels pour approfondir notre compréhension des enjeux et des difficultés liés aux temps de la politique moderne.

Premièrement, la finalité de l’innovation publique doit pouvoir être interrogée et documentée au-delà de toute idéologie et posture politiques. Il ne s’agit pas seulement de défendre un projet sur la base d’une conviction, mais aussi de s’assurer de sa pertinence et de son impact sur le long terme pour le pays. Les acteurs politiques doivent démontrer une volonté sincère d’amélioration du bien-être collectif (à l’exemple de la semaine de 4 jours mais aussi de la question des salariés seniors, de la pénibilité au travail, de la maternité des salariées, etc.), en justifiant les mesures proposées sur des bases factuelles et en envisageant les conséquences possibles pour l’ensemble des citoyens. La présentation de données probantes demeure plus que jamais nécessaire, qu’elle s’appuie sur des expérimentations, des évaluations, la comparaison ou la délibération.

Deuxièmement, le poids des évènements comme le jeu des négociations dans nos démocraties soumettent les gouvernements à une tension entre le temps plus long des débats (notamment parlementaires) et le temps plus court de certaines procédures (y compris législatives) de prise de décision, à l’exemple du recours à l’article 49.3. Si les discussions approfondies permettent d’assurer un contrôle démocratique, de confronter les idées et de construire des compromis, l’urgence des réformes ou des réponses aux crises peut nécessiter une accélération du processus de décision. Les acteurs politiques doivent donc trouver un équilibre entre ces deux temporalités, afin de garantir la qualité des réformes, d’agir rapidement face aux enjeux majeurs et d’éviter le rejet par la société.

Enfin, la question de l’efficacité d’un régime présidentiel de cinq ans s’affirme comme un enjeu central pour une réflexion sur la gestion du temps politique. Comparée au septennat, la durée plus courte du mandat présidentiel peut susciter des inquiétudes quant à la légitimité et la capacité à mettre en œuvre des réformes structurantes. De plus, en couplant les élections présidentielle et législatives, le quinquennat a polarisé le jeu politique sur la figure du Président. Dans ce contexte, il est crucial de bien comprendre l’évolution des rôles et interactions entre la fonction du Président, l’action du gouvernement, le rôle de l’Assemblée, et les forces vives de la société.

Depuis 2007, aucun des présidents de la République successifs ne semble pouvoir bénéficier d’un second mandat lui permettant des réformes d’avenir pour la société française. Nicolas Sarkozy et François Hollande ont échoué à se faire réélire et Emmanuel Macron engage son second mandat par une victoire à la Pyrrhus sur le dossier des retraites, dans laquelle il semble avoir dilapidé son crédit et s’être privé de ses capacités d’action. Pour combien de temps ? Nul doute qu’Emmanuel Macron soit à la recherche d’un second souffle, mais le temps joue contre lui.   


Fabrice Hamelin

Politiste, Maitre de conférences HDR en science politique, université Paris-Est Créteil (UPEC)

Olivier Meier

Chercheur en gestion , Professeur des Universités et Directeur de l’Observatoire ASAP (Action Sociétale et Action Publique)