Enseignement supérieur

Qu’est-ce qu’une (vraie) Grande École de commerce ?

Professeur de sciences économiques et sociales

Faute de réglementation, distinguer les Grandes Écoles de commerce des autres s’avère un défi : beaucoup d’établissements se présentent sur leur site internet, dans leurs brochures, sur les salons comme de « Grandes Écoles » alors qu’elles n’en possèdent pas les atouts. Cette confusion volontairement entretenue conduit à des choix d’orientation trompeurs aux conséquences souvent douloureuses pour les étudiants, à l’expansion de grands groupes d’enseignement supérieur privé à but lucratif qui concourent à la marchandisation de l’éducation.

Imaginez que vous soyez un élève de lycée. Vous êtes intéressé par le marketing et vous vous rendez sur le moteur de recherche le plus utilisé au monde pour vous informer. Vous rentrez les mots-clés suivants : « grande école marketing paris ».

publicité

Sur la première page de vos résultats de recherche, vous tombez sur plusieurs liens parmi lesquels : « EIML Paris, La grande école de marketing et management du luxe » ou alors « HEC – Master in Marketing ». Sur le site de l’EIML, on peut lire le mot de la directrice « L’EIML Paris est la grande de école de référence en marketing du luxe qui offre en cinq années une expertise de haut niveau sur l’ensemble du secteur du luxe (mode et accessoires, joaillerie et horlogerie, parfums et cosmétiques, art de vivre, hôtellerie, vins et spiritueux, services du luxe, etc.) tant au niveau national qu’international ». Sur le site d’HEC, il est précisé « Classé N°1 mondial, le programme Grande École – Master in Management est destiné aux étudiants ambitieux souhaitant accéder à des carrières de haut niveau en France et à l’international ».

Comment s’y repérer ? Les deux formations se définissent comme des « Grandes Écoles ». Pourtant, dans un cas, c’est vrai, dans l’autre, non. HEC jouit d’une longue tradition de formation des élites managériales depuis la fin du XIXe siècle et demeure encore aujourd’hui l’une des formations les plus reconnues dans le monde entier. Son programme Grande École est bien classé n°1 mondial par le Financial Times en 2023. L’EIML bénéficie certes d’une certification RNCP (Registre National des Certifications Complémentaires sur lequel nous allons y revenir), mais d’aucune reconnaissance particulière dans le domaine du marketing sur le marché du travail.

À mesure qu’on parcourt les sites respectifs de ces deux écoles, on en arrive plutôt à la conclusion que la formation d’HEC est plus reconnue que celle de l’EIML, mais cela suppose de prendre le temps de chercher et d’être aussi éclairé sur le sujet. Par exemple, de savoir que le classement du Financial Times est l’un des plus lus au monde. À défaut d’être encadré, conseillé par une personne compétente (un professeur, un conseiller d’orientation, des parents diplômés), ce qui n’est pas toujours le cas, la tâche n’est donc pas aisée et l’erreur probable.

La principale explication réside dans l’absence de normalisation du terme de « Grande École » en France : n’importe quelle formation commerciale peut se présenter comme une « Grande École » puisque le terme ne fait l’objet d’aucune réglementation précise.

Il existe bien quelques points de repère dans l’enseignement supérieur pour identifier une Grande École de commerce, mais ils sont trop souvent méconnus.

En France, un critère déterminant réside dans l’appartenance d’une école à la Conférence des Grandes Écoles (CGE) : sur leur site internet, on peut lire que « La Conférence des grandes écoles comprend […] 238 Grandes écoles (ingénieur, management, architecture, sciences politiques, création & design, journalisme, écoles militaires, écoles vétérinaires et de santé, etc.) toutes reconnues par l’État, délivrant un diplôme de grade master. Certaines d’entre elles délivrent en propre le doctorat et des diplômes nationaux de master […] L’admission à la CGE est soumise à des critères exigeants portant sur la structure, les modalités de recrutement, l’approche pédagogique, l’ouverture internationale, le lien avec l’entreprise, l’accompagnement des étudiants et la nature des diplômes ».

La CGE regroupe effectivement les meilleures écoles de commerce comme HEC, l’ESSEC BS, l’ESCP BS, mais aussi les plus grandes écoles d’ingénieurs comme Polytechnique, Centrale Supélec, Mines Paris ou encore le réseau des Sciences Po. Actuellement, 37 écoles de commerce françaises (à l’exception de l’INSEAD) font partie de la CGE.

À l’échelle internationale, un second critère décisif renvoie à l’attribution des accréditations. Ces accréditions sont décernées par des organismes indépendants qui certifient la qualité d’une formation. Trois labels internationaux permettent aujourd’hui de distinguer les meilleures écoles de commerce en France et dans le monde : l’accréditation de l’AACSB (Association to Advance Collegiate Schools of Business), un organisme américain ; l’accréditation AMBA (Association of Masters of Business Administration), un organisme britannique ; l’accréditation EQUIS délivrée par l’EFMD (European Foundation for Management Development), un organisme européen. 20 écoles de commerce peuvent se prévaloir en France de la triple accréditation, sachant que seulement 1 % des écoles de commerce dans le monde est concerné.

L’absence de définition claire et officielle de ce qu’est une « Grande École » de commerce autorise beaucoup d’établissements à se présenter comme des « Grandes Écoles ».

Un troisième critère renvoie au diplôme de grade master. Faire une Grande École de commerce suppose d’avoir un diplôme à la fin de la formation qui possède le grade de master, donc un bac + 5, car c’est à ce niveau de diplôme que se recrutent les cadres dans les grandes administrations et entreprises. Le grade de master est actuellement délivré en France par une Commission d’Évaluation des Formations et Diplômes de Gestion (CEFDG), une instance rattachée au ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation.

Le grade de master est essentiel lorsqu’on choisit une école de commerce car il est équivalent à un master délivré à l’université : lorsque la formation en école de commerce débouche sur un grade master, le diplômé obtient un master comme dans n’importe quelle université. Ainsi, le grade de master constitue pour une école de commerce la reconnaissance institutionnelle et publique d’un haut niveau de compétence professionnelle et académique. Outre le grade de master, la CEFDG peut attribuer le grade de licence pour les formations d’écoles de commerce qui durent trois ou quatre ans : dans ce cas, le diplôme équivaut à une licence qu’on obtiendrait à l’université.

La CEFDG peut également délivrer un visa à une formation en école de commerce si elle estime que la qualité de la formation est d’un bon niveau général. Précisons que le visa constitue alors une reconnaissance institutionnelle d’un niveau inférieur au grade de licence ou master.

Aujourd’hui, la CEFDG a attribué le visa à 52 formations sans le grade de licence ou master, accordé un grande licence ou master avec le visa à 140 formations et donné le grade licence ou master sans le visa à 6 formations. Ainsi, 192 formations de Bac + 3 à Bac + 5 en école de commerce sont visées et/ou obtiennent le grade licence ou master.

Si l’on croise les trois critères que nous venons de présenter, il devient possible d’identifier 20 « Grandes Écoles » de commerce françaises.

Faire une « Grande École » de commerce reviendrait alors à poursuivre une formation reconnue par la triple accréditation (AACSB, EQUIS, AMBA) qui déboucherait sur un diplôme visé avec le grade de master (niveau Bac + 5) à l’intérieur d’un établissement reconnu par la CGE. C’est ce qu’on appelle le « Programme Grande École » (PGE) qu’on peut intégrer après une classe préparatoire aux grandes écoles de commerce (principalement les CPGE ECG et ECT) ou alors par un concours d’entrée post-bac (pour les écoles qu’on intègre directement après le baccalauréat) ou par un concours passerelle (pour les étudiants qui ont déjà obtenu un premier diplôme universitaire).

Dans ce cas, ce groupe d’écoles serait constitué par ordre alphabétique de : Audencia Nantes, Burgundy School of Business, EDHEC BS, EM Normandie, EM Strasbourg, EM Lyon, ESSCA, ESSEC, Excelia, Grenoble École de Management, HEC, ICN BS, IESEG, IMT BS, KEDGE BS, Montpellier Business School, NEOMA, Rennes SB, SKEMA BS, Toulouse Business School. Il manque une vingt-et-unième école à cette liste : l’ESCP BS. Il s’agit de l’une des toutes meilleures écoles de commerce françaises, mais il lui manque une accréditation internationale, l’AMBA, qu’elle n’a pas souhaité renouveler par choix.

Notre définition d’une Grande École de commerce a le mérite d’être claire et de refléter le plus fidèlement possible la qualité des formations dispensées. Toutefois, cette définition n’est pas stabilisée institutionnellement.

On pourrait alors envisager une définition plus large en s’appuyant sur la liste des membres de la Conférences des Grandes Écoles : il y aurait alors 37 Grandes Écoles de commerce françaises et non plus 21. Cette définition ne répondrait plus au trois critères que nous avons précédemment identifiés, mais à deux puisque toutes les écoles membres de la CGE dispensent un PGE qui débouche sur un diplôme visé de grade master, mais 16 d’entre elles ne possèdent pas la triple accréditation.

Si l’on part du principe qu’il existe 21 Grandes Écoles de commerce en France, peut-on dire que les étudiants qui ne suivent pas le PGE de l’établissement seront diplômés d’une Grande École de commerce ? Effectivement, les Grandes Écoles de commerce ne disposent pas uniquement d’un PGE. Elles proposent également différentes formations de niveau Bac + 3, Bac + 4 ou Bac + 5. Deux types de formation existent à l’intérieur des écoles de commerce : les formations « courtes » de niveau Bac + 3, Bac + 4 qu’on qualifie de « bachelors » et les formations « longues » de niveau Bac + 5 qui correspondent à des « Master of Science » (MsC). Les bachelors peuvent être intégrés à l’issu du baccalauréat sur la base d’un concours ou de l’étude du dossier scolaire alors qu’on entre en MsC après un Bac + 3.

Dans ces Grandes Écoles de commerce, les bachelors ou MsC débouchent le plus souvent sur un diplôme visé avec un grade licence (pour le bachelor) ou master (pour le MsC), signe de la qualité de la formation. Les bachelors et MsC permettent à leurs diplômés de faire leur cursus et d’être diplômés d’une Grande École de commerce alors qu’ils n’ont pas suivi le PGE. Il devient alors possible de faire une Grande École sans être diplômé du PGE ! Cette situation reflète la confusion qui existe autour de la dénomination « Grande École » et peut induire des choix d’orientation trompeurs pour les moins avertis.

Plus largement, l’absence de définition claire et officielle de ce qu’est une « Grande École » de commerce autorise beaucoup d’établissements à se présenter comme des « Grandes Écoles » alors qu’elles n’en possèdent pas toutes les caractéristiques principales : une formation académique reconnue par les accréditations, l’appartenance à la CGE, un diplôme visé de grade master.

C’est le cas de l’EIML. L’école n’appartient pas à la CGE, elle n’est accréditée par aucun organisme et aucune de ses formations n’est visée par la CEFDG. L’EIML porte même la confusion encore plus loin : elle a créé un programme « Marketing du Luxe » qu’elle qualifie de « Programme Grande École ». Ce programme de 5 ans se compose d’un bachelor en 3 ans et d’un mastère en 2 ans. L’EIML reprend la dénomination « Programme Grande École » qu’on trouve dans les établissements les plus prestigieux comme à HEC. Les étudiants du « Marketing du luxe » de l’EIML et d’HEC peuvent ainsi dire qu’ils suivent le « Programme Grande École » alors que ces deux formations s’opposent en termes de sélectivité et de prestige.

La communication de l’EIML s’appuie également sur la confusion entre le master et le mastère pour convaincre les candidats : la formation « Marketing du Luxe » ne conduit pas à un master, mais à un mastère. Or, le mastère n’est pas un master ! Le mastère délivré par l’EIML n’est pas un diplôme de grade master puisque la CEFDG ne l’a pas accordé (ou l’EIML ne lui a pas soumis, mais le résultat est identique). Le mastère Luxe correspond à l’obtention d’un titre de niveau 7 reconnu par l’État. Qu’est-ce que cela signifie ?

Il existe en France, outre la CEFDG, un organisme public, France Compétences, qui délivre des certifications professionnelles attestant des compétences et des connaissances professionnelles à l’exercice d’un métier. Ces certifications sont enregistrées sur le RNCP (Registre National des Certifications Professionnelles). Lorsqu’une formation, enregistrée au RNCP, est reconnue de niveau 6, cela signifie qu’elle équivaut à un diplôme de niveau Bac + 3 ou Bac + 4 et lorsqu’elle est de niveau 7, cela signifie qu’elle correspond à un niveau Bac + 5. Toutefois, ces formations de niveau 6 et 7 ne débouchent pas sur un diplôme de grade licence ou de grade master. Il s’agit uniquement d’une sorte d’équivalence. Aussi, lorsque l’EIML qualifie sa formation de mastère, elle joue sur la confusion des termes : cette formation ne débouche pas sur l’obtention d’un diplôme de grade master, mais elle équivaut à un diplôme de niveau Bac + 5 au titre du RNCP. Le mastère n’est donc pas un diplôme de grade master.

L’exemple de l’EIML illustre très clairement la confusion qui règne autour du vocabulaire utilisé pour présenter les formations en école de commerce : « Grande École », « Programme Grande École », « master », « mastère », etc.

L’erreur d’orientation est d’autant plus probable que de nombreuses écoles de commerce ont une stratégie de communication efficace et à forte résonance.

L’insuffisante réglementation qui entoure la dénomination de ces formations conduit à des choix d’orientation trompeurs. Un trop grande nombre de candidats non (ou peu) avertis n’arrivent pas à distinguer les « vraies » Grandes Écoles de commerce des autres. Ils pensent accéder à une formation de qualité, sélective qui leur offrira un diplôme reconnu sur le marché du travail alors que, dans les faits, sa valeur est plus faible que celle affichée.

Cet écart entre les attentes des candidats et la qualité réelle de la formation explique sans doute en partie la forte augmentation des réclamations traitées au cours de l’année 2022 par la médiatrice de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur, Catherine Becchetti Bizot. Sur les 18 500 réclamations traitées au cours de l’année 2022, 655 concernaient le secteur de l’enseignement privé hors contrat avec l’État (une hausse de 346 % depuis 2017) et, parmi celles-ci, 469 portaient sur des établissements privés d’enseignement supérieur. Dans un entretien accordé au Monde le 19 juillet dernier, C. Becchetti Bizot souhaitait que « le ministère de l’enseignement supérieur propose un cadrage et un outil d’information garantissant une lisibilité plus grande pour que des étudiants ne soient pas abusés »[1].

L’erreur d’orientation est d’autant plus probable que de nombreuses écoles de commerce ont une stratégie de communication efficace et à forte résonance. D’une part, les sites internet de ces écoles sont très accrocheurs : ils sont esthétiques, très fonctionnels et complets. D’autre part, les écoles ont des stratégies de relance très régulières pour tenter de convaincre les candidats potentiels. Soit les écoles proposent aux candidats de laisser leurs coordonnées sur leur site internet avant de les rappeler (ce qui est le cas de l’EIML), soit leur site est doté d’un chatbot qui se propose de répondre aux questions du candidat en échange de la collecte des données personnelles du candidat.

Ces dernières années, la démultiplication des salons d’orientation privés très lucratifs, gérés entre autres par Studyrama et L’Étudiant, offre à chaque fois une place de choix à toutes ces écoles de commerce qui en sont les principaux financeurs. Les écoles profitent de chacun de ces salons pour promouvoir leur formation, attirer de nouveaux candidats grâce à une communication séduisante : des plaquettes brillantes, des goodies, des sacs, des étudiants disponibles et souriants. Il suffit de se rendre sur un salon pour constater l’efficacité de cette communication. Les écoles peuvent également s’appuyer sur les sites internet des organisateurs de salons pour faire leur promotion. Ainsi, peut-on lire sur le site de l’Étudiant : « L’École Internationale de Marketing du Luxe (EIML Paris) connaît une renommée qui dépasse les frontières de l’Hexagone. Elle fait figure de référence auprès des professionnels de cet univers foisonnant d’énergie et de créativité. Membre du réseau des Grandes Écoles Spécialisées (GES), EIML Paris est, à ce titre, la première école dédiée au luxe sur le territoire français ».

Enfin, les écoles de commerce sélectionnent leurs étudiants à partir d’un concours d’entrée : le concours donne le sentiment aux candidats qu’ils sont en train de postuler dans une « Grande École » puisque les meilleures écoles de commerce utilisent cette procédure de recrutement. Or, le concours est le plus souvent factice car le taux de sélection y est très faible.

L’une des conclusions principales de cet article est que les candidats aux écoles de commerce, de plus en plus nombreux, peinent à décrypter un marché en pleine expansion devenu illisible. « Qu’est-ce qu’une Grande École de commerce ? », « quelle différence y a-t-il entre un diplôme de grade master et un mastère ? », « quelle différence entre une certification professionnelle de niveau 6 et un grade de licence ? » : ces quelques questions suffisent à montrer qu’à part les initiés, peu d’étudiants, de parents et d’enseignants seraient en mesure d’apporter une réponse claire.

L’information sur la qualité et le contenu des formations en école de commerce est aujourd’hui largement insuffisante. Elle ne s’est pas adaptée aux profondes transformations du paysage des écoles de commerce (démultiplication du nombre de formations, déréglementation, marchandisation, internationalisation, hausse des coûts de fonctionnement) depuis au moins une vingtaine d’années pour rendre cette offre compréhensible. Or, le défaut d’information sur le sujet peut induire, comme on l’a dit, des choix d’orientation trompeurs chez les étudiants et leur famille avec parfois des conséquences financières (endettement) et sociales (abandon de scolarité) particulièrement douloureuses.

D’autre part, le manque d’information facilite l’expansion des grands groupes d’enseignement supérieur privé à but lucratif[2] comme Omnes Éducation, Ionis Education Group ou Galileo Global Education[3]. À l’instar de l’EIML, ces grands groupes profitent d’une offre de formations peu lisible pour vendre leurs programmes.

On peut prendre l’exemple de l’ISEG qui appartient au groupe Ionis. Sur sa brochure et son site internet, l’école se présente comme « La grande école du marketing et de la communication à l’ère du digital ». L’école propose dans sa brochure intitulée « ISEG. La grande école du marketing et de la communication de l’ère digitale » un programme en 5 ans avec un bachelor en 3 ans et un MBA spécialisé pour les 4e et 5e années. À la fin du cursus, les étudiants obtiennent un MBA certifié RNCP échelon 7. Toutefois, ce cursus est très éloigné d’un « Programme Grande École » des meilleures écoles de commerce : même si la formation dure 5 ans, le diplôme ne délivre pas un grade master, la formation n’est pas visée non plus et l’école n’a obtenu aucune accréditation.

Ce sont les mêmes caractéristiques que l’EIML. L’école propose également, pour copier les Grandes Écoles de commerce, un concours d’entrée avec des épreuves écrites et orales sans plus de précision sur le niveau de sélectivité sur le site. Comment un non-initié peut-il faire la différence entre une Grande École de commerce et l’ISEG ? Précisons que les droits de scolarité sont de 6 690 euros (auxquels il faut ajouter 950 euros de frais d’inscription annuels) en première année, 6690 en deuxième année, 6890 euros en troisième année, 7600 en quatrième année et 7600 en cinquième année. Dans quelle mesure les étudiants qui débourseront 40 220 euros auront-ils réellement le diplôme d’une Grande École de commerce ?

Il n’est pas impossible d’imaginer qu’à terme la croissance de ces groupes d’enseignement supérieur privé à but lucratif constitue une menace pour les Grandes Écoles de commerce.

Outre le défaut d’information, la loi pour « la liberté de choisir son avenir professionnel » de 2018 a accéléré l’expansion des groupes d’enseignement supérieur privé à but lucratif et contribué à la marchandisation de l’enseignement supérieur. Portée par la ministre du Travail de l’époque, Muriel Pénicaud, cette loi avait pour but d’accroître le nombre d’apprentis dans l’enseignement supérieur en libéralisant le marché de l’apprentissage. Or, les groupes d’enseignement supérieur privé y ont trouvé une source de revenus considérable. Ainsi, Matthias Emmerich, président exécutif du Groupe Omnes Education pouvait dire dans une interview du journal Libération : « cette politique du gouvernement accélère notre croissance, c’est certain. Nous avons aujourd’hui près de 50 % d’alternants. Dès l’annonce des mesures, on a su réagir vite pour mettre en place une organisation efficace »[4].

Il n’est pas impossible d’imaginer qu’à terme la croissance de ces groupes d’enseignement supérieur privé à but lucratif constitue une menace pour les Grandes Écoles de commerce. En premier lieu par un phénomène de sélection adverse : un économiste américain, Georges Akerlof, a montré à partir du marché des véhicules d’occasion aux États-Unis que lorsque le producteur d’un bien ou service dispose d’informations plus fiables qu’un acheteur potentiel, les mécanismes du marché privé peuvent conduire à ce que les mauvais produits remplacent les bons. Dans notre cas, sur le marché des écoles de commerce, les producteurs de services sont constitués des écoles de commerce qui offrent leurs formations et les acheteurs potentiels des étudiants qui souhaitent intégrer une école moyennant le paiement des frais de scolarité. Sur ce marché, les étudiants peu ou non-initiés sont moins bien informés que les écoles puisqu’ils peinent à hiérarchiser les écoles entre elles : ils ont des difficultés à décrypter les critères de classification ou de reconnaissance des écoles (CGE, accréditations, le visa, le grade master).

Des écoles peuvent jouer sur ces asymétries d’information pour se faire passer pour de Grandes Écoles. Les étudiants peuvent avoir des stratégies d’orientation erronées et choisir d’intégrer des écoles de second rang alors qu’ils pensent s’orienter vers une Grande École. Les Grandes Écoles peinent à recruter alors qu’elles proposent une formation de qualité reconnue institutionnellement et qu’elles devraient faire le plein. Les écoles de second rang recrutent plus que la qualité de leur formation ne les y autorise. À terme, l’existence d’une partie des Grandes Écoles de commerce peut être menacée faute d’étudiants.

En attirant de plus en plus d’étudiants, les grands groupes d’enseignement privé à but lucratif offre à leurs investisseurs une rentabilité très élevée et peuvent continuer à financer de nouveaux investissements. Ces groupes peuvent étendre leur sphère d’influence, ouvrir de nouveaux campus, de nouvelles formations pour concurrencer les Grandes Écoles de commerce et même…les racheter. Ce n’est peut-être pas un hasard si en 2022 Galileo a pu racheter 46,5 % des parts de l’EM Lyon BS, l’une des toutes meilleures écoles de commerce françaises.

L’expansion des groupes d’enseignement privé pourrait entraîner un changement de modèle économique. En effet, les Grandes Écoles de commerce ne sont pas à but lucratif. Elles ne sont pas à la recherche d’une maximisation de leurs profits. Si elles entraient dans le giron des groupes d’enseignement supérieur privé à but lucratif, elles pourraient être contraintes de réduire la qualité, la diversité de leur offre de formation pour accroître leur rentabilité comme a pu le constater une enquête de Libération au sein du groupe Galileo[5]. On peut imaginer que, dans ces conditions, les accréditations, les classements des Grandes Écoles de commerce françaises pourraient en pâtir alors que la qualité de leur formation est largement reconnue à l’échelle internationale (13 Grandes Écoles de commerce dans les 50 meilleurs écoles de commerce au monde dans le dernier classement du Financial Times en 2023).

Le manque d’information sur les écoles de commerce a conduit le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation à proposer pour 2024 une plateforme permettant de recenser les formations publiques et privées bénéficiant d’une reconnaissance par l’État. Dans un article récent du Monde, Anne-Sophie Barthez, directrice générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle, précise : « nous rendrons un véritable service aux candidats et à leurs familles en apportant plus de lisibilité sur l’offre de formations, prévoit-elle. Nous commencerons avec les formations qui ont déjà été évaluées et bénéficient déjà d’une reconnaissance par l’État. »[6]. Même si les contours de cette plateforme restent à définir, le constat et la solution apportés vont dans le bon sens. Il est nécessaire de rendre l’information sur les formations de l’enseignement supérieur privé plus transparente.

Si on s’intéresse au cas particulier des écoles de commerce, il est indispensable que cette plateforme aide a minima les candidats à mieux identifier ce qu’est une Grande École de commerce. Elle doit faire œuvre de pédagogie pour expliquer, par exemple, la différence entre un titre RNCP niveau 7 et un diplôme de grade master, une formation visée, le sens des accréditations, l’appartenance à la Conférence des Grandes Écoles, etc. Toutefois, même avec une meilleure explication de ces différents dispositifs d’évaluation, les candidats aux écoles de commerce seront-ils en capacité de définir clairement une Grande École ? Ne faudrait-il pas aller plus loin et convenir d’un statut de « Grande École » sur la base de critères objectifs au même titre que la CEFDG attribue le grade de master/bachelor, des visas aux diplômes. Cette solution aurait le mérite de la simplicité et d’une plus grande transparence. Elle éviterait aux candidats d’avoir à croiser plusieurs informations relatives aux dispositifs d’évaluation des formations. Même si la plateforme pourrait en simplifier l’accès, la compréhension de ces informations risque d’être encore un exercice complexe et d’induire des choix d’orientation trompeurs.

Quelle que soit la solution retenue, elle doit s’accompagner d’une volonté politique forte de contrer la marchandisation de l’enseignement supérieur qui s’accélère, entre autres, avec la montée en puissance des grands groupes d’enseignement supérieur privé à but lucratif comme Ionis Education Group, Omnes Éducation ou Galileo Global Education.

Or, l’actualité politique n’est pas très engageante si l’on s’intéresse aux recrutements très récents de ces grands groupes. Plusieurs anciens ministres ou hauts fonctionnaires ont été embauchés à des postes clés. Ce fut le cas de Martin Hirsh, ancien haut-commissaire aux Solidarités actives contre la pauvreté au sein du gouvernement Fillon en 2007 et directeur de l’APHP, qui est devenu en septembre 2022 vice-président exécutif de Galileo Global Education.

Galileo a également recruté au sein de son Conseil d’administration à la fin de l’année 2022, Muriel Pénicaud, l’ancienne ministre du Travail entre 2017 et 2020 qui avait fait voté la loi sur l’apprentissage de 2018. Guillaume Pépy, ancien président de la SNCF entre 2008 et 2019, a pris la présidence du conseil de surveillance de l’EM Lyon, la business school dont Galileo est devenu actionnaire de référence. On trouve également un ancien haut fonctionnaire de la Cour des comptes à la présidence exécutive du groupe Omnes, Mathias Emmerich. Cet été, au mois de juillet, Charline Avenel, qui était jusqu’alors rectrice de l’Académie de Versailles, est devenue directrice générale du groupe Ionis.


[1] Soazig le Nevé, Violaine Morin, « De plus en plus de réclamations liées à l’enseignement supérieur privé », Le Monde, le 19 juillet 2023.

[2] Pour bien comprendre l’univers des écoles de commerce, une distinction essentielle doit être établie entre les établissements privés à but lucratif et les établissements privés à but non lucratif. Dans le premier cas, on trouve Omnes Éducation, Ionis Education Group ou Galileo Global Education. Ce sont des sociétés par actions simplifiée qui visent une rentabilité élevée de leurs activités pour satisfaire les investisseurs. Elles sont portées par une logique de marchandisation de l’enseignement supérieur. Dans le second cas, on trouve les 21 Grandes Écoles de commerce françaises qui ont soit un statut associatif, soit un statut d’établissement d’enseignement supérieur consulaire (EESC) qui les contraint à n’avoir que des activités à but non lucratif. On notera deux exceptions : l’EM Lyon et Grenoble EM qui sont des sociétés à mission et, dans ce cas, leurs activités doivent se porter vers la poursuite des objectifs sociaux et environnementaux.

[3] Le groupe Ionis Education Group, créé en 1980 par Marc Sellam, revendique aujourd’hui 29 écoles et 35 000 étudiants. D’autres groupes plus récents et encore plus grands se sont imposés en France avec une dimension internationale. C’est le cas de Galileo Global Education qui regroupe 61 écoles dans le monde et forme 210 000 étudiants par an, dont la direction est assurée par Marc-François Mignot Mahon et Martin Hirsch. Le groupe Omnes Éducation, dont le président exécutif est Mathias Emmerich, forme chaque lui chaque année 40 000 étudiants à travers ses 15 écoles qui se situent principalement en France.

[4] Marie Piquemal, « L’apprentissage, un beau cadeau public aux écoles supérieures privées », Libération, 27 septembre 2022.

[5] Marie Piquemal, « Galileo, la ruée vers l’or du géant de l’enseignement privé », Libération, 13 février 2023.

[6] Soazig le Nevé, « L’enseignement supérieur privé, un marché devenu lucratif et illisible », Le Monde, 13 juillet 2023.

Christophe Viscogliosi

Professeur de sciences économiques et sociales, Professeur en classe préparatoire aux grandes écoles (CPGE) au lycée Descartes (Rabat)

Notes

[1] Soazig le Nevé, Violaine Morin, « De plus en plus de réclamations liées à l’enseignement supérieur privé », Le Monde, le 19 juillet 2023.

[2] Pour bien comprendre l’univers des écoles de commerce, une distinction essentielle doit être établie entre les établissements privés à but lucratif et les établissements privés à but non lucratif. Dans le premier cas, on trouve Omnes Éducation, Ionis Education Group ou Galileo Global Education. Ce sont des sociétés par actions simplifiée qui visent une rentabilité élevée de leurs activités pour satisfaire les investisseurs. Elles sont portées par une logique de marchandisation de l’enseignement supérieur. Dans le second cas, on trouve les 21 Grandes Écoles de commerce françaises qui ont soit un statut associatif, soit un statut d’établissement d’enseignement supérieur consulaire (EESC) qui les contraint à n’avoir que des activités à but non lucratif. On notera deux exceptions : l’EM Lyon et Grenoble EM qui sont des sociétés à mission et, dans ce cas, leurs activités doivent se porter vers la poursuite des objectifs sociaux et environnementaux.

[3] Le groupe Ionis Education Group, créé en 1980 par Marc Sellam, revendique aujourd’hui 29 écoles et 35 000 étudiants. D’autres groupes plus récents et encore plus grands se sont imposés en France avec une dimension internationale. C’est le cas de Galileo Global Education qui regroupe 61 écoles dans le monde et forme 210 000 étudiants par an, dont la direction est assurée par Marc-François Mignot Mahon et Martin Hirsch. Le groupe Omnes Éducation, dont le président exécutif est Mathias Emmerich, forme chaque lui chaque année 40 000 étudiants à travers ses 15 écoles qui se situent principalement en France.

[4] Marie Piquemal, « L’apprentissage, un beau cadeau public aux écoles supérieures privées », Libération, 27 septembre 2022.

[5] Marie Piquemal, « Galileo, la ruée vers l’or du géant de l’enseignement privé », Libération, 13 février 2023.

[6] Soazig le Nevé, « L’enseignement supérieur privé, un marché devenu lucratif et illisible », Le Monde, 13 juillet 2023.