Politique

Quand Emmanuel Macron maltraite le Conseil d’État

Juriste

L’intervention directe d’Emmanuel Macron dans la nomination clé au Conseil d’État met en lumière la volonté présidentielle de contrôler étroitement les organes judiciaires et de s’inscrire dans le discours critiquant l’indépendance des juges. En ébranlant les fondements des contre-pouvoirs et en défiant ouvertement les normes européennes, le gouvernement actuel semble esquisser les contours d’un « Frexit » juridique, questionnant profondément le futur de la France dans son rapport aux droits fondamentaux et à son ancrage européen.

La décision d’Emmanuel Macron de refuser la nomination de Rémy Schwartz pour présider la section des Finances du Conseil d’État pour lui préférer un autre candidat que celui qui avait été choisi en interne est loin d’être anecdotique.

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D’abord, elle est révélatrice d’un désaveu du Conseil d’État, accusé de ne pas juger en faveur de l’exécutif : elle reflète en ce sens un rejet des contre-pouvoirs tout en rejouant une petite musique – encore sourde mais de plus en plus audible –, de critique frontale des juges et des droits de l’Homme. Ensuite, elle s’inscrit dans une série de décisions menaçant les institutions indépendantes. Enfin, elle traduit, dans l’histoire constitutionnelle française, la propension des exécutifs forts à privilégier des personnalités proches du pouvoir pour occuper les postes majeurs au Conseil d’État : depuis sa création par Napoléon, le Conseil d’État a ainsi toujours été maltraité par un pouvoir présidentiel fort.

Le macronisme et le tournant populiste du conservatisme français

Quelle est la justification avancée pour refuser ainsi un candidat irréprochable ? Les explications fournies aussi bien dans l’Opinion que dans la Lettre doivent alerter. Il est reproché au Conseil d’État de suivre la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et de la CEDH. Cet argument doit être pris au sérieux : il s’inscrit dans le lobbying exercé par certains cercles pour une forme de Frexit juridique. Déjà, le Conseil d’État a, dans une décision importante mais passée inaperçue dans l’opinion, fait prévaloir une lecture conservatrice de la Constitution sur une jurisprudence claire et protectrice des droits de la Cour de justice, allant ainsi dans le sens du ministère de l’Intérieur et permettant une surveillance de masse des données des internautes : avec cette décision, c’est la première fois que le Conseil d’État met un coup d’arrêt à sa posture accueillante au droit de l’Union européenne et au droit international en général, politique


[1] La démocratie au péril des prétoires. De l’État de droit au gouvernement des juges, Gallimard, Le débat, 2022.

[2] Histoire intime de la Ve République (Tome 3). Tragédie française, Gallimard, NRF, 2023, chap. 48 : « L’Hydre du gouvernement des juges ».

[3] « Les agences et autorités administratives indépendantes dans le viseur des politiques », Contexte Pouvoirs, 26 mai 2023.

Thomas Perroud

Juriste, Professeur de droit public à l’Université Panthéon-Assas

Mots-clés

Démocratie

Notes

[1] La démocratie au péril des prétoires. De l’État de droit au gouvernement des juges, Gallimard, Le débat, 2022.

[2] Histoire intime de la Ve République (Tome 3). Tragédie française, Gallimard, NRF, 2023, chap. 48 : « L’Hydre du gouvernement des juges ».

[3] « Les agences et autorités administratives indépendantes dans le viseur des politiques », Contexte Pouvoirs, 26 mai 2023.