Architecture

Décoloniser l’architecture ici et maintenant

Architecte et enseignant chercheur

Inviter à prendre au sérieux les tentatives de décolonisation de l’architecture, c’est mettre en lumière les façons dont l’architecture n’est pas que « coloniale » dans des situations d’occupation de territoires lointains, à des époques révolues ou dans des géographies exotiques. On pourrait, par exemple, commencer par se pencher sur les bâtiments construits pour Paris 2024…

Dans quelques mois auront lieu les Jeux Olympiques en Ile-de-France. Pour que le Village des athlètes et le Village des médias sortent de terre, il aura fallu le travail d’un certain nombre d’agences d’architecture, bureaux d’études, économistes de la construction et autres ingénieurs. Il aura été question de négociations et de lobbying politiques, de dossiers séduisants et de juteux investissements de la part des majors de la promotion immobilière et du BTP. Mais aussi et surtout, il aura fallu des ouvriers. Or, à ce sujet, les propos sont unanimes : « il n’y a pas de Français sur les chantiers, ils sont tous dans les bureaux ».

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Les études montrent que la construction est le deuxième secteur recensant le plus de travailleur·ses immigré·es et on trouve trois fois plus d’immigrés que de non-immigrés parmi les « ouvriers du gros œuvre du bâtiment »[1]. Ils représentent environ un quart des ouvriers du gros œuvre et un sixième des ouvriers du second œuvre, pour seulement un dixième des cadres du BTP. Ce qu’il fallait démontrer : « Un emploi est plus souvent occupé par un immigré lorsque le métier est exposé à des conditions de travail pénibles. »[2]Les blanc·hes laissent aux autres corps, aux corps des autres, les métiers et les travaux les plus dangereux et les plus usants, les plus précaires, les moins valorisés, et encore ceux où l’évolution sociale est la moins facile.

Simultanément, on ne voit pas l’ombre (ou presque) d’une diversité ethnique dans les grands prix d’architecture – Équerre d’argent, Albums des jeunes architectes et paysagistes, Grand prix de l’urbanisme ou Palmarès des jeunes urbanistes –, ni côté lauréat·es ni côté jury. Le tableau dessiné par ces seuls faits est déjà limpide : un travail de « décolonisation »[3] de l’architecture est à mener. C’est à ce chantier qu’entend s’atteler l’ouvrage Décoloniser l’architecture paru ce mois-ci aux éditions Le Passager Clandestin.

Pour la militante décoloniale Françoise Vergès, « peu de champs d’ét


[1] Aurore Desjonquères et al., « Les métiers des immigrés », Dares, septembre 2021.

[2] Aurore Desjonquères, Bertrand Lhommeau, Moustapha Niang et Mahrez Okba, Quels sont les métiers des immigrés ?, étude statistique de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), n° 36, juillet 2021.

[3] Sur le terme spécifique, voir notamment l’ouvrage de Stéphane Dufoix, Décolonial, Anamosa, 2023.

[4] Françoise Vergès, « Préface », dans Mathias Rollot, Décoloniser l’architecture, Le Passager Clandestin, 2024, p.7.

[5] « Universalisme » est ici employé pour désigner l’idéologie uniformisante utilisée en guise de justification des multiples pratiques prétendument « républicaines », mais surtout coloniales et impérialistes, menées dans et hors des frontières du pays. Pour une approche plus développée du concept et une ouverture sur la possibilité d’envisager un « universalisme post-colonial » ou un « universalisme situé », voir les récents ouvrages parus chez Anamosa : Julien Suaudeau et Mame-Fatou Niang, Universalisme, 2022 ; Stéphane Dufoix, Décolonial, 2023.

[6] Le régionalisme critique est un terme fondé par les chercheurs en architecture Alexander Tzonis et Liane Lefaivre en 1981 et popularisé en suivant par l’historien de l’architecture Kenneth Frampton. C’est un concept qui a été utile à Frampton pour décrire la pratique de l’architecture de certains de ces contemporains tels qu’Alvar Aalto ou Jorn Utzon, à mi-chemin entre régionalisme et modernité architecturale. Pour Tzonis et Lefaivre, en revanche, cette pratique n’est pas spécifique à la modernité et se retrouve dans toute l’histoire de l’architecture (dès lors que le régionalisme dépasse le simple pittoresque kitsch). Voir Alexander Tzonis, Liane Lefaivre, Architecture of Regionalism in the Age of Globalization, Peaks and Valleys in the Flat World, Routledge, 2020.

[7] Ashish Kothari, Ariel Salleh, Arturo Escobar, Federico Demaria, Alberto Acosta (dir.), Plurivers. Un dictionnaire

Mathias Rollot

Architecte et enseignant chercheur

Notes

[1] Aurore Desjonquères et al., « Les métiers des immigrés », Dares, septembre 2021.

[2] Aurore Desjonquères, Bertrand Lhommeau, Moustapha Niang et Mahrez Okba, Quels sont les métiers des immigrés ?, étude statistique de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), n° 36, juillet 2021.

[3] Sur le terme spécifique, voir notamment l’ouvrage de Stéphane Dufoix, Décolonial, Anamosa, 2023.

[4] Françoise Vergès, « Préface », dans Mathias Rollot, Décoloniser l’architecture, Le Passager Clandestin, 2024, p.7.

[5] « Universalisme » est ici employé pour désigner l’idéologie uniformisante utilisée en guise de justification des multiples pratiques prétendument « républicaines », mais surtout coloniales et impérialistes, menées dans et hors des frontières du pays. Pour une approche plus développée du concept et une ouverture sur la possibilité d’envisager un « universalisme post-colonial » ou un « universalisme situé », voir les récents ouvrages parus chez Anamosa : Julien Suaudeau et Mame-Fatou Niang, Universalisme, 2022 ; Stéphane Dufoix, Décolonial, 2023.

[6] Le régionalisme critique est un terme fondé par les chercheurs en architecture Alexander Tzonis et Liane Lefaivre en 1981 et popularisé en suivant par l’historien de l’architecture Kenneth Frampton. C’est un concept qui a été utile à Frampton pour décrire la pratique de l’architecture de certains de ces contemporains tels qu’Alvar Aalto ou Jorn Utzon, à mi-chemin entre régionalisme et modernité architecturale. Pour Tzonis et Lefaivre, en revanche, cette pratique n’est pas spécifique à la modernité et se retrouve dans toute l’histoire de l’architecture (dès lors que le régionalisme dépasse le simple pittoresque kitsch). Voir Alexander Tzonis, Liane Lefaivre, Architecture of Regionalism in the Age of Globalization, Peaks and Valleys in the Flat World, Routledge, 2020.

[7] Ashish Kothari, Ariel Salleh, Arturo Escobar, Federico Demaria, Alberto Acosta (dir.), Plurivers. Un dictionnaire