Politique

L’extrême droite et la faillite politique et morale de la droite libérale

Sociologue

Italie, États-Unis, Brésil : ces trois pays ont connu des scénarios peu ou prou comparables, conduisant à l’arrivée au pouvoir d’un personnel politique affilié à l’extrême droite. Pour expliquer ce phénomène récurrent, l’échec de la gauche est toujours pointé. C’est oublier que les candidats et partis les plus réactionnaires ont chaque fois profité de l’état exsangue des droites libérales pour tirer leur épingle du jeu.

On admet généralement qu’il revient surtout aux militant.e.s et sympathisant.e.s de gauche de lutter contre les forces d’extrême-droite et le fascisme. Et c’est effectivement ce qui se passe – avec plus ou moins de succès. Mais lorsque ces forces commencent à obtenir des scores électoraux dépassant les 10%, elles exercent une pression politique sur les droites traditionnelles qu’il est de la seule responsabilité de ces dernières de dénoncer, de contrer et d’annihiler.

Cela a longtemps été le cas avec la doctrine dite du « cordon sanitaire », posant que les partis extrémistes ne font pas partie de l’« arc démocratique » et que toute alliance avec eux est exclue. Mais voilà : ce cordon se relâche un peu partout en Europe. Comme il semble loin le temps où la participation de l’extrême-droite du FPÖ au gouvernement autrichien en 1999 avait donné lieu à des sanctions temporaires de la Communauté européenne. Dorénavant, la présence de ce genre de parti dans des exécutifs européens n’entraîne plus ce réflexe de salubrité démocratique, que ce soit en Belgique ou au Danemark, pour ne pas parler de la longue absence de réaction des instances de l’Union aux atteintes à l’État de droit en Pologne et en Hongrie. Ce délitement de la volonté politique est la marque d’un certain délabrement moral et du sauve-qui-peut politique qui fait insensiblement dériver la droite traditionnelle vers l’inacceptable.

Si ce renoncement tient pour beaucoup au désarroi et à l’inquiétude que suscitent la progression du soutien électoral que les partis d’extrême-droite parviennent à drainer et la menace qu’elle fait peser sur l’avenir de régimes démocratiques, il traduit aussi leur impuissance à résister à l’argumentation démagogique et à l’attisement des craintes et de la peur. C’est ce début de faillite morale et politique d’une partie du camp de la droite traditionnelle qui favorise la montée en puissance des discours d’extrême droite et l’empire qu’ils sont en train de conquérir sur les esprits


Albert Ogien

Sociologue, Directeur de recherche au CNRS – CEMS