Devenir étranger dans un monde en mouvement
En Europe, depuis les années 2000 et plus sensiblement depuis 2015, le drame des migrants aux frontières n’a cessé d’augmenter. Les gouvernements ont voulu se montrer protecteurs à l’égard de leurs citoyens en désignant les migrants comme une menace pour la sécurité et l’identité des pays.
Les murs, les expulsions, les contrôles de masse, la présence dissuasive de la police, la fermeture des ports aux bateaux de sauvetage… seraient censés rassurer des habitants apeurés, citoyens prêts à céder une part de leur propre liberté face au spectre de l’étranger dangereux, prédateur, profiteur, quitte à le priver, lui, des droits humains que nos pays considèrent pourtant comme universels, voire à le laisser mourir.
Si l’on connaît dans chaque recoin du monde la photo du petit Aylan qui ressemble tant à mon enfant, aimé, endormi, recroquevillé, le 3 septembre 2015 sur une plage turque, on connaît moins ou on ressent moins fortement ce que signifie le chiffre de 35 000 morts entre 2000 et 2018 en Méditerranée – cette mer qui nous est commune, Mare Nostrum, commune aussi à l’Europe, l’Afrique, et au Proche-Orient. Qu’avons-nous fait pour accepter de vivre à côté de cette hécatombe quotidienne dont l’histoire se souviendra ?
La Méditerranée, le Sahara, le désert mexicain, le golfe du Bengale sont devenus des tombeaux de l’universel, la preuve physique d’un dérèglement anthropologique global. C’est ce dérèglement qui doit nous occuper, nous inquiéter, nous faire peur oui : une partie de l’humanité est négligeable, oubliable, sacrifiée sans être jamais sacrée (comme Agamben l’a désigné par le nom de Homo Sacer), moins humaine donc comme si nous revenions au temps de la colonisation européenne du monde, au XVe siècle lorsque les Blancs se demandaient si les Amérindiens et les Noirs avaient une âme humaine. Comment est-ce possible ? Comment l’étranger peut-il être à ce point radicalement autre (radical, de radix : la racine) ?
Telle est la question à laquelle je vous pro