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Saint Augustin obtiendrait-il son visa Schengen ? – Penser l’historicité des sociétés 1/2

Politiste

L’offensive turque contre les forces kurdes dans le Nord de la Syrie vient une nouvelle fois rappeler l’insuffisance des théories « globalisantes » pour appréhender les relations internationales dans leur complexité. Battre en brèche les représentations simplistes et essentialisantes du communément nommé « Moyen-Orient » devient plus que jamais nécessaire. Comment redonner aux aires géographiques leur substance historique et sociale sans tomber dans le piège du culturalisme ?

Si l’on s’en tient à ces trente dernières années, la conjonction des idéologies néolibérale et néoconservatrice a eu tendance à disqualifier les area studies – notion traduite en français par l’expression, encore plus énigmatique, d’« études des aires culturelles », ou plus récemment, d’ « études aréales » – au profit des théories des relations internationales et des global studies, ou encore de la théorie dite des « choix rationnels » et de la « transitologie » (c’est-à-dire de l’analyse normative des processus de « transition » à l’ « économie de marché » et à la « démocratie »), sur la base du postulat, implicite ou explicite, de la « fin de l’Histoire » (Francis Fukuyama).

De telles approches ont ceci de commun qu’elles tendent à gommer les spécificités culturelles ou historiques des différentes sociétés, et à privilégier des dynamiques uniformes de la mondialisation. Cette évolution a pu être vertement critiquée après l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis, en 2003, dans la mesure où les erreurs de jugement de l’administration Bush ont été en partie imputées à la marginalisation, dans les centres de décision, des universitaires et des experts arabisants, sous la pression des intellectuels et des stratèges néoconservateurs.

Il n’empêche que la tendance n’a pas été inversée, la « menace djihadiste » restant dé-sociologisée et dé-historicisée. La vogue de la thématique des « arcs » (« arc chiite », « arc de crise », etc.), la qualification de « globales » de toutes les politiques publiques ou menaces qui se respectent, la montée en puissance des security studies (et des financements afférents) au cœur même de l’Université sont révélateurs de ce dédain pour les aspérités locales de l’histoire et du social.

Certes, des départements ou des programmes dédiés à des « aires culturelles » ont été maintenus du fait des pesanteurs ou des résiliences institutionnelles et académiques, ou même connaissent un regain, comme à Oxford. Mais, d’une part, ils sont désormais inféo


Jean-François Bayart

Politiste, Professeur à l'IHEID de Genève titulaire de la chaire Yves Oltramare "Religion et politique dans le monde contemporain"

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