Politique

Les huit fonctions du rond-point

Sociologue

Après les Gilets Jaunes, les mouvements sociaux ne seront plus jamais les mêmes. Ils ont, à leur façon, créé un nouveau langage politique, avec ses fonctions propres, qui se plient et se déplient suivant les microclimats sociaux, et laisseront des traces bien après cette première année d’existence. Huit fonctions propres, au moins, déduites de nombreux entretiens et surtout d’une année passée sur un rond-point, ou plutôt sur trois ronds-points de l’est du Loiret.

Pendant leur première année d’existence, les Gilets jaunes ont été comparés à tous les soulèvements possibles et imaginables : Bonnets rouges, Mai 1968, jacqueries, poujadistes, Printemps érable, Février 1934, Révolution française… Au fil des mois, cette accumulation est devenue suspecte. Elle reflète la fébrilité de commentateurs désarçonnés qui cherchent – sans gilet et de loin – à transformer ce qu’ils ne comprennent pas en de vieilles connaissances, de vieux rêves ou de vieux démons.

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Aujourd’hui, en pleine grève contre la réforme des retraites, après avoir célébré le premier « anniversaire » du 17 novembre 2018 – un anniversaire sans gâteau ni bougies, pour continuer à se battre – il est temps de comparer les Gilets jaunes avec eux-mêmes en revenant à ce qui fait l’originalité de ce mouvement : le rond-point. Non pas le rond-point comme chose incongrue ou exotique, dont le visiteur pressé cherche à épingler l’essence ultime d’un coup d’œil, mais le rond-point comme forme durable de lutte, de l’intérieur, dans ses multiples dimensions, qui font de lui l’unité de base d’une puissante révolte.

De ces rôles ou fonctions du rond-point, huit se distinguent, mais le chiffre importe peu, il y en a peut-être un peu plus ou un peu moins : lieu de ralliement, de blocage économique, d’organisation des actions, de vie en commun, de décision collective, de solidarité, de création, le rond-point est tout cela à la fois. Pour accommoder autrement le goût des comparaisons, disons que la nature du rond-point ressemble au propre de l’homme que les philosophes n’ont toujours pas trouvé – le langage ? le rire ? la main ? – car ce sont plusieurs caractéristiques simultanées, combinées, qui font du rond-point une nouvelle forme d’organisation politique, populaire, radicale et efficace.

Même après les évacuations physiques et la destruction des cabanes par les forces de l’ordre, ces fonctions persistent, car les liens entre Gilets jaunes, même hors du sol fertile des carrefo


[1]. Laurent Jeanpierre, In Girum. Les leçons politiques des ronds-points, La Découverte, Paris, 2019 ; Gérard Noiriel, Les Gilets jaunes à la lumière de l’histoire. Dialogue avec Nicolas Truong, Le Monde – L’Aube, 2018.

[2]. Julie Le Mazier, « Pas de mouvement sans AG » : les conditions d’appropriation de l’assemblée générale dans les mobilisations étudiantes en France (2006-2010). Contribution à l’étude des répertoires contestataires, thèse de doctorat de Science politique, Université Paris 1, 2015.

[3]. Marielle Macé (2019), Nos cabanes, Verdier, Paris, p. 27.

Quentin Ravelli

Sociologue, Chargé de recherche au CNRS

Mots-clés

Gilets jaunes

Notes

[1]. Laurent Jeanpierre, In Girum. Les leçons politiques des ronds-points, La Découverte, Paris, 2019 ; Gérard Noiriel, Les Gilets jaunes à la lumière de l’histoire. Dialogue avec Nicolas Truong, Le Monde – L’Aube, 2018.

[2]. Julie Le Mazier, « Pas de mouvement sans AG » : les conditions d’appropriation de l’assemblée générale dans les mobilisations étudiantes en France (2006-2010). Contribution à l’étude des répertoires contestataires, thèse de doctorat de Science politique, Université Paris 1, 2015.

[3]. Marielle Macé (2019), Nos cabanes, Verdier, Paris, p. 27.