Politique

Prendre les mairies ou fédérer les communes ? Municipales, municipalisme et communalisme

Sociologue

Une nouveauté est apparue dans la campagne des municipales, celle des listes qui se revendiquent du « municipalisme ». Souvent réservé au vocabulaire militant ou savant, ce courant a reçu une couverture médiatique inédite, qui lui a souvent associé le terme de « communalisme ». Mais derrière ces mots se cachent des pratiques et des stratégies différentes. Essai de clarification.

Lors des prochaines élections municipales, l’attention va se focaliser sur les résultats du parti présidentiel et la sanction qui lui sera – ou non – infligée, ainsi que sur le score du Rassemblement national et la conquête des grandes métropoles.

Des résultats qui seront cependant très difficiles à analyser du point de vue national, d’abord du fait de la disparition de toutes les communes comprenant entre 1 000 et 3 500 habitants (un tiers des électeurs) des résultats électoraux nationaux suite à la dernière circulaire Castaner, mais aussi d’une absence d’homogénéité dans les stratégies électorales des principaux partis : masquage de l’étiquette politique par certains candidats de la République en Marche s’affichant comme menant des « listes citoyennes », doubles soutiens de certains candidats Les Républicains ou du Parti socialiste ayant négocié une alliance locale avec le candidat LREM ; à gauche il y aura dans certains cas des candidatures d’alliances des partis de gauche (socialistes, communistes et écologistes), dans d’autres des tentatives d’alliance avec des listes citoyennes, dans d’autres encore des candidatures indépendantes de LFI ou des écologistes.

Un autre phénomène attirant moins l’attention bien qu’il puisse être considéré comme plus intéressant du point de vue démocratique est celui de la multiplication pour ces élections de « listes citoyennes ». Celles-ci recouvrent cependant des réalités très diverses : certaines, comme on l’a évoqué, déguisent sur le mode du « citoyennisme washing » des listes LREM qui veulent se passer d’une image plus qu’écornée, d’autres vont faire alliance avec des partis sans renouveler la politique traditionnelle, tandis que d’autres encore vont se présenter en toute indépendance des partis politiques.

L’éveil de l’auto-politique

Parmi ces dernières, certaines, qui se nomment plutôt « listes participatives » se revendiquent du municipalisme, une vision et une stratégie qui consiste en la réappropriation démocratique de la politique locale et l’exercice du pouvoir municipal par des collectifs citoyens non-professionnels plutôt que le seul maire, et dans la promotion d’une politique sociale, écologique et féministe.

La plateforme « Action commune » recense environ 340 « listes participatives » dont la plupart sont autonomes des partis. C’est un phénomène qui, s’il n’est pas nouveau, s’accroît, et témoigne de l’approfondissement de la méfiance envers la représentation, et la capacité de l’État à garantir par ses politiques les conditions d’une vie digne. Les noms de ces listes recourent très souvent au terme « ensemble » (« Clisson s’invente ensemble », « Construire ensemble Beaufay », « Dieulefit ensemble », etc.), de « collectif » (« Collectif écocitoyen » à Cusset, « Collectif 88 % » à Roanne, « Coulon joue collectif »), d’« assemblée » (« Assemblée populaire d’Ugine », « Assemblée citoyenne de Commercy », « l’Assemblée populaire » à Saint-Brieuc, etc.), de « commun » (« Nantes en commun », « Avignon en commun », « Montauban en commun 2020 »), mais aussi aux termes de « décider », d’ « agir », de « construire », de formules comme « nous sommes » ou « pas sans nous ».

Cela indique que la priorité va au caractère collectif et autonome de la fabrique de la politique locale par des citoyens ordinaires – ce que l’on pourrait appeler « l’auto-politique des citoyens » par opposition à l’exercice du pouvoir sur les habitants par les professionnels élus de la politique. Ainsi, la nature sociale et solidaire, écologiste, féministe et démocratique des programmes serait le produit de la fabrique en commun de la politique.

L’exemple de la petite commune de Saillans dans la Drôme où un collectif de citoyens mobilisés contre l’implantation d’une supérette avait remporté la mairie en 2014 en mettant en place une gouvernance collégiale et participative reposant sur la mise en place de nombreux outils participatifs tels que des commissions thématiques, des Groupes Actions-Projets (GAP) ou des référendums locaux fait figure de précurseur.

Pour ces listes participatives de 2020, différents collectifs se sont organisés pour développer des « outils » aidant à la constitution de listes participatives et de diffusion de savoir sur le municipalisme : le collectif de la Belle Démocratie propose des ateliers de formation et une « boussole démocratique » d’auto-évaluation des listes participatives, la plateforme « Action commune », en plus de recenser les listes participatives, fournit des « fiches-méthode » en relayant notamment des documents de l’organisation « Barcelone en commun » – qui a remporté la mairie de Barcelone en 2015 et 2019 – pour la « construction d’une plateforme citoyenne municipaliste », tandis que le collectif « La commune est à nous » a mis en place un mooc sur le municipalisme.

Les limites du municipalisme espagnol

Ces tentatives se réfèrent explicitement au municipalisme espagnol comme l’atteste notamment les multiples listes qui se présentent sous le nom de « X en commun ». Celui-ci a émergé dans le prolongement du mouvement des places du 15 mai 2011 et a permis l’arrivée au pouvoir de plateformes citoyennes en 2015 dans les grandes métropoles de Madrid et Barcelone, ainsi que dans des capitales de province telles que Valence, Saragosse, la Corogne, Cadix ou Saint-Jacques de Compostelle, et d’autres villes plus petites.

Mais deux différences notables séparent l’expérience du municipalisme espagnol de 2015 des listes participatives françaises de 2020. La première tient dans le fait que le municipalisme espagnol a été porté par des assemblées populaires de quartier qui s’étaient structurées suite au mouvement de 2011 et aux fortes séquences sociales qui ont suivies, notamment dans le contexte d’une crise aigüe du logement, permettant une coordination des mouvements sociaux entre eux au sein des plateformes citoyennes locales.

À l’inverse, les listes participatives françaises n’ont pas été préparées comme un prolongement du mouvement des Gilets jaunes – sauf exception, comme à Commercy, dont nous reparlons plus loin – sinon à la marge, certains Gilets jaunes pouvant rejoindre ici ou là des listes participatives dans lesquelles ils ne sont pas majoritaires. Elles sont avant tout des tentatives électorales importées du modèle du municipalisme espagnol, d’où le recours à tous ces outils de formation, qui relève davantage de l’usage gestionnaire que de l’implication d’une force sociale.

La seconde différence porte sur le rapport entre les listes participatives et les partis politiques. Alors que la « confluence », c’est-à-dire la convergence intégratrice des partis de la gauche radicale à l’intérieur des plateformes citoyennes, a caractérisé le municipalisme espagnol, en France cette « nouvelle politique » – sauf à Toulouse avec la candidature du collectif « Archipel citoyen » – n’a pas pris, même à la France insoumise où, le plus souvent, les vieilles alliances tactiques des partis ont été préférées aux listes citoyennes comme à Aubervilliers, Pantin ou Montreuil. Un des objectifs du municipalisme était pourtant de mettre au rancart la vieille politique partisane.

À la prise en compte des difficultés du contexte français s’ajoutent les mauvais résultats des municipalistes espagnols lors des récentes élections de 2019 où les mairies du changement n’ont pas été reconduites, à l’exception de Barcelone, Cadix ou Valence. Si ces résultats peuvent sans aucun doute s’expliquer par le contexte national – un gouvernement néolibéral-conservateur hostile jusqu’en juin 2018 et la centralisation du clivage sur la question de l’indépendance de la Catalogne qui a cristallisé une forte réaction nationaliste –, cela s’explique aussi par les limites mêmes de la stratégie municipaliste espagnole.

Celle-ci s’est heurtée à la limitation des compétences municipales, de nombreuses prérogatives très importantes étant du ressort des communautés autonomes régionales (éducation, santé) ou de l’État-nation (le logement, l’immigration). De ce point de vue, le municipalisme renvoie sur l’histoire longue aux municipes du monde de l’Antiquité romaine, c’est-à-dire à des villes subordonnées à Rome mais jouissant d’une autonomie politique et administrative dans la gestion de leurs affaires locales que le pouvoir impérial n’était pas en mesure de coloniser.

Les municipalités d’aujourd’hui sont en revanche des institutions pleinement intégrées à l’État dont le caractère décentralisé n’équivaut pas à une autonomie politique. Les « mairies rebelles » entendaient certes bien « squatter le pouvoir » dans le but de le subvertir, mais on peut questionner le mot d’ordre d’« occupation des institutions » : celui-ci consiste à ouvrir le pouvoir municipal aux revendications des mouvements sociaux et des citoyens par la multiplications des dispositifs participatifs (référendums locaux, plateformes numériques de propositions citoyennes, budgets participatifs, etc.), mais sans remettre en cause sa nature souveraine qui fonde la distinction entre gouvernants et gouvernés.

La politique municipale a donc continué de s’exercer comme auparavant, avec des équipes municipales cependant plus dévoués que d’ordinaire pour leurs administrés et qui se sont épuisés pour des citoyens passifs attendant d’elles de plus grands résultats à la mesure des promesses. Dans le contexte de l’atomisation et de la concurrence qui caractérise enfin le capitalisme néolibéral, les innovations sociaux-économiques comme les coopératives ou les communs n’ont pas eu le temps de produire des effets significatifs sur l’implication citoyenne de classes populaires éloignées de la politique. La limitation des compétences municipales, le souverainisme municipal et la difficulté à transformer pendant l’exercice du pouvoir les rapports sociaux capitalistes nous semblent constituer trois obstacles de la stratégie municipaliste.

Quel communalisme ? Des territoires libérés au double pouvoir populaire confédéral

À Commercy, dans le prolongement du mouvement des Gilets jaunes et du processus de l’Assemblée des assemblées (ADA) qui se poursuivent parallèlement, une partie des personnes engagées dans le groupe local des GJ a constitué une liste pour les municipales et ont lancé un appel de « la Commune des Communes » à la fédération d’expériences du même type lors d’une « Rencontre des communes libres et des initiatives municipalistes ».

Se référant non pas au municipalisme espagnol mais au « communalisme » du théoricien américain Murray Bookchin[1] comme « perspective de transformation sociale révolutionnaire », elles et ils visent l’organisation d’une « confédération de communes libres ». Bookchin a utilisé dès le début des années 1970 la formule de « municipalisme libertaire » puis davantage celle de « communalisme » à la fin des années 1990 et au tournant des 2000 pour désigner le projet politique révolutionnaire de substitution d’une confédération de communes libres à l’État-nation[2].

Ces formules de « municipalisme libertaire » ou de « communalisme » sont également très souvent utilisées pour désigner certaines expériences révolutionnaires de territoires autonomes libérés de l’État, telles que la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, le Chiapas et le Rojava. Dans ces deux derniers cas, de véritables confédérations de communes se sont mises en place.

Des systèmes d’auto-gouvernement populaire basés sur les assemblées communales avec plusieurs échelles de délégation confédérale (communautés, communes autonomes et « zones » au Chiapas, communes, conseils et cantons au Rojava), associés à des formes d’économie coopérative permettent aux habitants de ces régions de vivre de manière autonome, contre l’État. Ces deux expériences de lutte et de vie commune ont aussi été structurées d’une part par une vision écologique fondée sur l’agriculture paysanne, et un très fort engagement des femmes pour transformer les rapports et parvenir à l’égalité avec les hommes.

Au Rojava, le mouvement féministe kurde a créé des organisations de femmes dans tous les domaines (conseils de femme incluant des comités de justice et des comités économiques). Toutes les échelles de décision politique sont en outre chapeautées par un binôme paritaire au Rojava, avec une déléguée femme et un délégué homme. Dans cette région, le système d’organisation politique appelé « confédéralisme démocratique » a été explicitement théorisé par le leader historique de la libération du peuple kurde, Abdullah Öcalan, d’après les travaux de Bookchin.

Pourtant, deux caractéristiques importantes, mais exceptionnelles et donc non transposables, ont favorisé la mise en place d’un confédéralisme communal dans ces deux cas. La première est celle du conflit armé – avec l’État mexicain dans le cas du Chiapas libre et avec différents États dont la Turquie et la Syrie dans le cas du Rojava libre – et de la prise de territoires libérés et défendus militairement, une situation qui confère une autonomie politique pour la mise en place d’institutions radicalement nouvelles. Cela vaut aussi d’ailleurs aussi pour la ZAD de Notre-Dame-des-Landes dont le territoire a été libéré et défendu physiquement contre l’opération César et les contrôles de gendarmerie en 2012 et 2013. La seconde est un habitus pour l’entraide et la vie commune issu de l’héritage communautaire des indiens mayas au Chiapas et des racines tribales parmi les kurdes.

Mais Bookchin n’a pas réfléchi sa théorie communaliste dans le cadre de telles situations exceptionnelles, pas plus qu’elles ne sont les conditions de l’horizon communaliste tel que peut s’en saisir le mouvement des Gilets jaunes. Les termes de « municipalisme libertaire » et de « communalisme » ne sont en vérité pas indifférents sous la plume de Bookchin et traduisent un rapport différencié de son positionnement vis-à-vis de l’anarchisme.

Alors que la formule de « municipalisme libertaire » traduit une connivence avec l’anarchisme autour du caractère anti-étatique du système de municipalités confédérées, le « communalisme » est un terme qui lui permet au contraire de se démarquer des tendances individualistes, anti-institutionnelles et anti-organisationnelles qui ont pu traverser l’anarchisme. Il renvoie à l’idéal confédéral de la « Commune des communes » qui traverse l’histoire des révolutions modernes, en particulier en France, des assemblées sectionnaires de la Grande révolution, en passant par Proudhon et le mouvement fédéraliste au XIXe siècle jusqu’au projet de fédération révolutionnaire des communes françaises pendant la Commune de 1871[3] et au-delà dans certains groupes anarcho-communistes.

Plutôt que d’avoir accompagné le cours évolutif du changement des structures de classes dans la société, les révolutions modernes ont été des moments d’affleurement d’un pouvoir populaire démocratique, communal et confédéral contre l’État. Le concept de communalisme désigne alors la situation de « double pouvoir » dans laquelle « les confédérations municipales d’assemblées populaires » s’affrontent dans une « tension ouverte » avec l’État-nation[4].

La stratégie de Bookchin est celle de l’organisation parallèle d’un pouvoir populaire démocratique capable de se structurer progressivement et de se mobiliser régulièrement pour faire pression sur les institutions dominantes jusqu’à les remplacer. La commune, qui ne coïncide pas nécessairement avec la municipalité, est la base pour la structuration des assemblées populaires locales qui doivent se fédérer entre elles en envoyant des délégués aux mandats impératifs et révocables se réunissant dans des conseils confédéraux.

Si l’autonomie politique des assemblées populaires locales est impératif, il n’est en aucun cas question d’un simple localisme mais d’un confédéralisme communal qui se présente comme une alternative à la fois au chauvinisme local et à l’État. En somme, ce qui est visé par Bookchin est d’abord un mouvement communaliste confédéral structuré autour d’assemblées locales extérieures aux institutions dominantes et agissant comme contre-institutions en vue de s’y substituer. Les élections municipales ne représentant qu’une opportunité possible pour le remplacement des organes officiels de l’État par les assemblées populaires qu’un mouvement communaliste a pu constituer.

Fédérer les communs et les communes

Le processus de l’Assemblée des assemblées des Gilets jaunes qui consiste dans la structuration des assemblées locales et leur fédération dans des réunions de délégués a donc logiquement trouvé une référence chez Murray Bookchin et sa pensée du communalisme comme double pouvoir populaire confédéral. Le communalisme ne se limite pas cependant à sa dimension politique, mais le double pouvoir politique doit se renforcer en étant étroitement articulé à un double pouvoir économique.

Dans leur appel, les initiateurs de la première rencontre de la « Commune des communes » à Commercy écrivent : « Quels outils pour susciter une réappropriation du pouvoir à l’échelle communale ? […] Comment renforcer l’autonomie matérielle et la capacité de production des initiatives communales ? ». Toute la pensée fédéraliste du milieu du XIXe siècle au début du XXe siècle, de Proudhon à Kropotkine, a visé non seulement la confédération des communes entre elles, mais la fédération de chaque commune avec des coopératives elles-mêmes fédérées entre elles : « Cette société sera composée d’une multitude d’associations, unies entre elles pour tout ce qui réclame un effort commun : fédération de producteurs pour tous les genres de production, agricole, industrielle, intellectuelle, artistique, communes pour la consommation, se chargeant de pourvoir à tout ce qui concerne le logement, l’éclairage, le chauffage, l’alimentation, les institutions sanitaires, etc. ; fédérations des communes entre elles, et fédérations des communes avec les groupes de production ; enfin des groupes plus étendus encore, englobant tout un pays ou même plusieurs pays, et composés de personnes qui travailleront en commun à la satisfaction de ces besoins économiques intellectuels et artistiques, qui ne sont pas limités à un territoire déterminé[5]. »

Le communalisme économique va au-delà de la propriété collective des moyens de production, il suppose d’abord la libération de la propriété foncière, l’union de la production et de la consommation dans la coopérative intégrale, et l’union de l’agriculture et de l’industrie dans la commune socialiste. Comme l’écrit Kristin Ross : « Un monde d’unités de productions plus petites, régionales, et un usage de la terre intensif mais soucieux de sa préservation, un monde décentralisé où la petite industrie serait disséminée et associée à l’agriculture : telle était la vision. L’autosuffisance au niveau régional devait limiter, sinon annuler, la nécessité du commerce international »[6].

Le communalisme signifie la formation d’un double pouvoir populaire démocratique, confédéral et socialiste. A cet égard, les expérimentations communales en matière économique ne manquent pas en France. Dans le village breton de Trémargat, le bar de la commune a été repris par des habitants réunis en association sous une forme autogérée, l’épicerie fonctionne sur la base d’un système d’abonnements des ménages de la commune et des alentours permettant d’acheter à prix coûtant tout en trouvant l’ensemble de ses approvisionnements parmi les paysans bio de la région. Issue du mouvement de l’agriculture paysanne autonome, l’équipe municipale a progressivement racheté le foncier en s’appuyant sur une SCI dans laquelle la commune et les habitants ont des parts, pour le mettre à disposition de jeunes paysans cultivant de petites surfaces et respectant des critères d’agriculture biologique.

Autre exemple, l’écovillage du Hameau des buis, devenu un lieu habité en 2011, combine les principes écologiques de l’auto-construction, de l’agriculture vivrière, de l’habitat partagé et des communs – l’assemblée régulière des habitants prenant directement les décisions relatives aux espaces de vie collectifs[7]. Issu de la collapsologie, le projet en cours de la coopérative « La suite du monde » pour racheter du foncier agricole et immobilier, associe agriculture vivrière, habitat partagé, vie collective et autonomie va dans le même sens et se revendiquent du « communalisme » et des « communs ».

Au-delà de ces cas isolés, qui ne sont bien entendu pas les seuls, tout un ensemble de pratiques nées de la critique de l’agriculture industrielle et de l’exigence écologique, du mouvement des communs et de la résistance contre la destruction de la vie collective et des solidarités de voisinage comme hospitalières, des zad et des luttes contre la métropolisation, deviennent cohésives, autour de la constitution de foncières agricoles – comme avec le travail de l’association Terre de liens –, de l’agriculture paysanne et de la permaculture, des circuits courts, de l’auto-construction et des habitats collectifs. Des pratiques qui, en outre, ne se limitent pas aux espaces ruraux si l’on pense par exemple à la lutte « urbaine » du quartier des Lentillères à Dijon où l’on retrouve les principes de la culture collective, de l’habitat partagé, de l’intégration sociale de personnes précaires ou encore du marché à prix libre.

Il y a là toute une écologie des communs, dont la figure n’est pas le citoyen cher à Bookchin mais l’habitant, dans un sens qui excède le résident pour désigner une forme de subjectivation inséparable des relations aux humains et aux non-humains constitutifs de son milieu de vie, et dont il importe de repenser son rapport à la commune. Mais, d’une part, chacune de ces expériences, isolée, ne peut pas grand-chose, et leur autonomie respective ne pourrait que se renforcer par leur fédération dans des réseaux d’interdépendance.

D’autre part, la communalisation des rapports sociaux qu’elles portent ne pourrait prendre de l’ampleur que si elles étaient portées par un mouvement politique populaire organisé. Inversement, si la partie communaliste du mouvement des Gilets jaunes parvenait à fédérer les assemblées locales avec des organisations qui pratiquent cette économie de l’entraide, en termes d’approvisionnement, de travail et d’habitat collectif notamment, leur structuration sociale n’en serait que plus forte. Les collectifs de savoir et d’expériences sur le communalisme qui se constituent comme l’Institut d’écologie sociale et de communalisme, Faire commune ou les Communaux pourraient servir de catalyseur à cette tâche de fédération des communs et des communes, qui tiendrait lieu de double pouvoir contre leur monde.

NDLR – sur cette thématique, Pierre Sauvêtre est l’un des auteurs du numéro 101 de la revue Mouvements, « Vive les communes ! Des ronds-points au municipalisme », qui paraîtra en mai 2020.


[1] Sur le lien entre les gilets jaunes et le municipalisme/communalisme, voir Pierre Sauvêtre, « Ne pas être récupéré. Gilets jaunes : l’auto-institution du peuple », Blog Médiapart, 20 décembre 2018 ; Killian Martin, « Le municipalisme est l’avenir des Gilets jaunes », Reporterre, 27 avril 2019 ; et Laurent Jeanpierre, In Girum. Les leçons politiques des ronds-pointsLa Découverte, 2019.

[2] Voir par exemple pour le « municipalisme libertaire », Murray Bookchin, « Spring Offensives and Summer Vacations », Anarchos, n°4 (1972), et, pour le « communalisme », Murray Bookchin, « The communalist project », The next revolution, Londres/New York, Verso, 2015, p. 17-46.

[3] Murray Bookchin, The Third Revolution, Popular Movements in the Revolutionary Era, volume I et II, Londres, Cassel, 1996 et 1998.

[4] Murray Bookchin, Social Ecology and Communalism, Oakland, AK Press, 2006 p. 50 et 102.

[5] Piotr Kropotkine, Autour d’une vie, Stock, 1903, p. 410.

[6] Kristin Ross, L’Imaginaire de la Commune, La Fabrique, 2015, p. 173-174.

[7] Guillaume Faburel, Les Métropoles barbares, Le passager clandestin, 2019, p. 345-347.

Pierre Sauvêtre

Sociologue, Maître de conférences à l'Université Paris Nanterre

Notes

[1] Sur le lien entre les gilets jaunes et le municipalisme/communalisme, voir Pierre Sauvêtre, « Ne pas être récupéré. Gilets jaunes : l’auto-institution du peuple », Blog Médiapart, 20 décembre 2018 ; Killian Martin, « Le municipalisme est l’avenir des Gilets jaunes », Reporterre, 27 avril 2019 ; et Laurent Jeanpierre, In Girum. Les leçons politiques des ronds-pointsLa Découverte, 2019.

[2] Voir par exemple pour le « municipalisme libertaire », Murray Bookchin, « Spring Offensives and Summer Vacations », Anarchos, n°4 (1972), et, pour le « communalisme », Murray Bookchin, « The communalist project », The next revolution, Londres/New York, Verso, 2015, p. 17-46.

[3] Murray Bookchin, The Third Revolution, Popular Movements in the Revolutionary Era, volume I et II, Londres, Cassel, 1996 et 1998.

[4] Murray Bookchin, Social Ecology and Communalism, Oakland, AK Press, 2006 p. 50 et 102.

[5] Piotr Kropotkine, Autour d’une vie, Stock, 1903, p. 410.

[6] Kristin Ross, L’Imaginaire de la Commune, La Fabrique, 2015, p. 173-174.

[7] Guillaume Faburel, Les Métropoles barbares, Le passager clandestin, 2019, p. 345-347.