International

Réfugiés, exilés : quand l’Europe s’en lave les mains

Ecrivain, Philosophe

Le camp de Moria, sur l’île de Lesbos, est ce que l’on appelle un hotspot, c’est-à-dire un centre de triage pour les migrants arrivant en Europe. Là-bas, à Idlib ou ailleurs, aux frontières de l’Europe, les corps s’entassent dans un invivable sursis, attendant d’être refoulés à l’extérieur. Alors que la panique autour du coronavirus, qui se répand comme un brouillard opaque, vient dissimuler cette crise humanitaire – sans précédent depuis 2011, dit-on – il est nécessaire d’agir contre la barbarie, et pour de nouveaux espoirs.

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Au loin

Rarement l’effort d’écrire se sera mesuré comme ces jours-ci au sentiment d’être parfaitement vain ; les lignes qui suivent naviguent au proche, négocient avec le morne écœurement de se savoir inutiles. Non que cela ait jamais été très utile, d’écrire, de tempêter, d’agiter analyses ou imprécations. Non qu’il ait été souvent possible de nouer ensemble les deux sens du verbe prévenir, celui qui alerte et celui qui empêche.

Mais nous avions au moins des formules pour cela, de bons mots qui conjurant l’accablement à notre place nous préservaient un peu d’avoir à l’affronter, le contenaient dans d’élégants diptyques, « optimisme de la volonté et pessimisme de l’intelligence », « il faudrait savoir que le monde est sans espoir et être résolu à le changer », etc. S’agissant de ce qui se joue, d’une part à Idlib, d’autre part à Moria sur l’ile de Lesbos, ou à la frontière bulgare, s’agissant de l’effarante répétition qui s’y indure et de l’indignité qui s’y épanouit, on n’en est plus là, plus du tout.

On en est même loin.

Je m’arrête un instant sur ce motif : sur le loin. Une part immense, la plus grande part peut-être de l’action des gouvernements ne consiste pas du tout à contribuer à un règlement même partiel des problèmes de notre temps, mais à s’assurer qu’ils demeurent assez loin, ce qui n’implique pas d’ailleurs de très longues distances : on se souvient de l’époque où répéter que l’épuration ethnique en cours sur le territoire de Bosnie se déroulait « à deux heures de Paris » ne servait rigoureusement à rien, tant deux heures de Paris s’avéraient une distance suffisante pour n’y point songer, et vaquer à ses affaires.

Deux heures étaient suffisamment loin. C’est en quoi le sort fait aux étrangers est la pierre de touche de la gouvernementalité contemporaine en général : la décision d’éloignement leur fait un trait commun. C’est en quoi, aussi, le mode d’intervention policé en vigueur dans l’espace de l’Union européenne et les tapis de bombe dépl


Marie Cosnay

Ecrivain, Traductrice

Mathieu Potte-Bonneville

Philosophe