Santé

Pourquoi l’épidémie ?

Philosophe, Philosophe, Écologue

L’épidémie de Covid-19 était-elle « prévisible » ? Le 16 avril, Emmanuel Macron a réaffirmé que non. C’est faux, elle était même inexorable, selon les écologues et les biologistes. Cependant, l’écologie est une science complexe, et ses chaînes causales sont souvent contre-intuitives. Pour penser la pandémie et son rapport au vivant, il faut donc emprunter un chemin de réflexion évolutif et non-linéaire, le même, d’ailleurs, qui permet de penser la crise climatique.

Les historiens de notre confinement verront probablement les épisodes « Professeur Raoult » et « Professeur Montagnier » comme des cas d’école de l’errance de la raison. Le second aura été de courte durée, mais pour qui connaît un peu les théories du complot et leur logique, il était au moins aussi prévisible que la pandémie elle-même. Pour mémoire ce prix Nobel, co-découvreur du virus du Sida et depuis lors fourvoyé dans des aventures alter-scientifiques plus ou moins cocasses, s’était en effet illustré en annonçant sur un plateau TV que le coronavirus SARS-CoV-2 relevait d’une manipulation visant à intégrer le VIH sur un virus de chauve-souris ordinaire. L’excitation fut intense mais brève. Rien ne permet raisonnablement de soutenir que ce virus n’est pas naturel, comme le biologiste Thomas Heams entre autres le démontre[1].

Dire contre Montagnier et ses sectateurs que le SARS-CoV-2 est naturel signifie qu’il n’est pas issu d’une manipulation intentionnelle. Le contraste conceptuel implicite oppose ici les causes naturelles, sans but, et ce qu’on appela traditionnellement, après des commentateurs aristotéliciens, les causes finales, censées relever d’une intention. En science, les choses de la nature, pour nous modernes, autrement dit depuis Galilée, n’ont aucun but.

Mais la maladie Covid-19, provoquée par ce virus, est-elle vraiment naturelle ? Notre propos ici interrogera cette question anodine, afin de donner à voir les complexités des rapports entre la nature et son Autre dans le cas de cette pandémie. Dans la tradition occidentale en effet, le concept de « nature » a toujours été défini en opposition avec autre chose : nature et convention pour les Grecs, nature et grâce pour les théologiens catholiques, nature et liberté pour Rousseau et ses continuateurs, ou bien, dès le XIXe siècle, nature et société ou nature et histoire.

Alors, ce virus est-il bien naturel au sens où l’on oppose souvent nature et culture, ou nature et société/civilisation ? Telle est la question que nous développerons dans la suite, avant de nous pencher finalement, dans cette perspective, sur le rapport entre deux crises : la pandémie de Covid-19 et la crise écologique (changement climatique au premier chef) – une comparaison que de nombreux savants et philosophes ont largement entamée.

On verra en cours de route en quoi la biologie évolutive est nécessaire pour comprendre ce qui nous arrive et saisir ce que ces deux crises ont en commun de contre-intuitif, puis en quoi in fine elle défait tout solutionnisme technologique.

Le SARS-CoV-2 est-il biologique ?

La Covid-19 est une maladie, son agent est un virus, une entité biologique ordinaire en cause dans de nombreuses maladies. L’épidémie présente est donc un phénomène naturel, qui nous tombe dessus comme un séisme, et qu’il nous faut combattre. Elle n’est pas une punition divine, ou, avatar actuel de cette idée, une vengeance de la Nature (mythe récemment démonté en détail par Sébastien Dutreuil). Mais est-ce si simple ?

Modéliser l’épidémie de Covid-19 est redoutablement difficile parce qu’il faut connaître les valeurs des paramètres qui contraignent sa diffusion, valeurs difficiles à estimer. La variété des modèles construits par les épidémiologistes[2] (SIR, SIER, plus généralement modèles discrets à compartiments, modèles continus à équations différentielles…) requiert généralement de connaître au moins trois variables : le taux de létalité, le taux de transmission du virus, et sa durée d’incubation et de contagiosité.

Ces paramètres sont ici loin d’être établis avec certitude. Cependant, leurs valeurs tiennent dans une fenêtre qui rend ce virus susceptible d’être catastrophique pour l’humanité. Bien plus foudroyant, comme Ebola, ou le MESR, il ne serait en effet probablement jamais sorti du Hubei (les porteurs seraient morts avant d’atteindre l’aéroport, et sinon facilement isolables). À durée d’incubation et donc de contagiosité plus courtes, il serait plus facile à contenir, comme ses prédécesseurs coronavirus l’ont montré.

Mais ces valeurs sont-elles des paramètres purement biologiques ? Le R0, le taux initial de transmission, dépend de la structure des contacts sociaux dans une communauté ; il est donc socialement déterminé. D’ailleurs, s’il ne l’était pas, la stratégie de confinement n’aurait aucun sens. Le taux de létalité, lui, dépend des capacités hospitalières des pays, mais aussi de la quantité de tests de dépistages opérés : si l’on ne teste que les patients qui présentent les symptômes et si la fréquence des porteurs asymptomatiques est élevée, le taux de létalité mesuré sera supérieur à ce qu’il serait « en réalité » ; tandis que si l’on repère précocement, on aura une prise en charge hospitalière plus efficace, et donc une létalité plus faible.

Par ailleurs, on sait que l’infection par le SARS-CoV-2 est beaucoup plus grave chez les plus âgés (sa mortalité grimpe en flèche après 70 ans), de sorte que le taux de létalité moyen dépendra de la distribution des classes d’âge dans la population, ainsi que de la distribution de l’obésité et des maladies cardio-vasculaires. Un taux moyen n’aura par ailleurs pas la même signification dans des pays où ces distributions diffèrent grandement – même si des facteurs génétiques peuvent entrer en compte dans la résistance, et être eux aussi distribués de manière hétérogène dans les populations. Mais cette mortalité dépend aussi de l’accès au soin, lequel est évidemment affecté par des inégalités sociales. Enfin les pathologies telles qu’obésité ou diabète ne sont pas indépendantes de la classe sociale des sujets : on sait qu’aux USA l’obésité frappe substantiellement davantage les classes défavorisées.

Parmi les paramètres de la Covid-19 qui déterminent l’épidémie, peu sont purement biologiques. La plupart sont socialement conditionnés – et donc en principe socialement influençables. Le seul déterminant indiscutablement biologique du SARS-Cov-2 semble être son génome[3] ; et de fait, l’analyse phylogénétique du virus permet aujourd’hui d’inférer de nombreuses propriétés de l’épidémie.

La chauve-souris et son évolution

Si la dynamique de l’épidémie est essentiellement sociale, l’émergence du virus elle-même serait purement naturelle, voudrait-on dire. Or ici encore, la question n’est pas aussi simple. Les écologues ne cessent de dire que la possibilité des passages de virus pathogènes des animaux à l’homme est grandement facilitée par les changements écosystémiques induits par l’extension urbaine, l’industrialisation (y compris agricole) et la déforestation – trois tendances de fond entrelacées, présentes partout et singulièrement en Asie.

Ainsi, ils prédisent une pandémie du type de Covid-19 depuis une quinzaine d’années. Les coronavirus des chauve-souris étaient déjà envisagés puisque plusieurs des épidémies les plus récentes et les plus préoccupantes impliquaient ce type de virus : une modélisation du Johns Hopkins Center for Health Security imaginait déjà qu’un coronavirus (cette famille de virus incluant les SARS) induisait une pandémie à 65 millions de victimes. Un article intitulé « Coronavirus in China » notait en janvier 2019 : « Thus, it is highly likely that future SARS – or MERS-like coronavirus outbreaks will originate from bats, and there is an increased probability that this will occur in China. »

En effet, pourquoi les chauve-souris ? D’abord, parce que ces mammifères hébergent de très nombreux virus, puisque 10% d’une population en présentent, contre 1% pour les autres mammifères – la plupart des espèces de chauve-souris ont leurs propres espèces de coronavirus –, et que ceux-ci passent maintenant plus facilement les barrières interspécifiques. Un raisonnement de biologie évolutive éclaire le premier point. Les chauve-souris représentent une grande réussite de l’évolution : elles couvrent une bonne partie du monde, et leur ordre, les chiroptères, représente environ le quart des espèces connues de mammifères et inclut de nombreuses espèces. Elles vivent en groupe, et les individus sont très serrés les uns contre les autres, comme tout spectateur de Batman begins a pu le constater[4].

Puisque le moindre virus chez l’une d’elles décimerait la troupe, il est plausible qu’elles aient évolué par sélection naturelle un système immunitaire extrêmement performant. Plus précisément, leur aptitude au vol, unique chez les mammifères, implique une élévation radicale de leur température quand elles battent des ailes ; la réponse inflammatoire classique du système immunitaire risquerait alors de les tuer. En conséquence, ce système aurait développé au cours de l’évolution une manière de tempérer la réponse inflammatoire – laquelle est parfois responsable, chez des espèces comme l’homme, de l’aggravation d’une infection virale, en particulier pour la Covid-19 sous la forme d’un « orage de cytokines ». Inversement, des virus de chauve-souris doivent supporter de très fortes températures, ce qui les rend a priori assez résistants à des systèmes immunitaires d’autres espèces dont l’une des défenses est précisément l’inflammation.

Les virus sont donc tolérés par la chauve-souris, qui produit alors en masse des interférons, qui en cascade perturbent l’entrée des virus dans les cellules. L’animal peut supporter d’avoir un système de production d’interférons toujours actif, parce que précisément il a atténué sa réponse inflammatoire[5]. Il se produit alors une course aux armements, comme disent les évolutionnistes : la cellule se défend mieux, donc le virus ne peut avoir une chance de l’infecter que s’il développe de nouvelles stratégies de virulence, plus agressives ; donc seules les cellules les mieux armées pour se défendre survivent… et ainsi de suite.

Enfin, les virus altèrent généralement l’ADN des cellules, mais les chauve-souris, possiblement comme adaptation aux températures extrêmes générées par le vol, ont développé par sélection naturelle des mécanismes extrêmement efficaces de détection des dommages à l’ADN et de leur réparation. C’est pourquoi ces animaux sont réputés être des « réservoirs à virus » – virus susceptibles de sortir encore plus virulents de leur séjour dans cet animal[6]. De tels virus peuvent infecter d’autres espèces, via en particulier les insectes et vers qui se nourrissent de cadavres de chauve-souris au sol des grottes, et piquent ensuite d’autres animaux ou bien sont ingérés par eux.

Expliquer pourquoi ce virus de chauve-souris en est ensuite venu à infecter des humains est délicat. Le mécanisme exact, supposant de savoir qui a été infecté et par quoi, est quasi impossible à reconstituer. Une hypothèse plausible serait que le virus de chauve-souris initial – le SARS-CoV-2 étant très similaire à un virus de chauve-souris connu – se soit recombiné avec un virus de pangolin, puis ait infecté un humain, les gènes empruntés chez le pangolin lui permettant de s’introduire dans les cellules humaines.

Dans tous les cas, un ou plusieurs événement(s) de recombinaison génétique a (ont) probablement eu lieu. Les virus comme d’ailleurs les bactéries, échangent en effet régulièrement du matériel génétique entre eux ; ce processus, appelé Horizontal Gene Transfer (transfert horizontal de gènes), est fondamental pour comprendre les parentés entre espèces. Dans l’évolution, il signifie que des « courts-circuits » sont toujours possibles, puisqu’au lieu d’attendre qu’une séquence génétique ait muté d’un nucléotide, puis évolue par sélection naturelle, afin de devenir une séquence plus adaptée, un virus ou une bactérie peut recevoir cette séquence toute faite.

Pourquoi la pandémie ? Une affaire écologiquement inexorable

À défaut de reconstituer les événements qui ont mené à un « patient zéro », on peut toutefois estimer des relations de conditionnement entre événements – définissant ce que nous appellerons avec Fred Dretske une « cause structurante »qui auront rendu très probable l’occurrence de la pandémie. Pour advenir, un événement requiert à la fois des causes structurantes et des « causes déclenchantes » : ainsi, l’assassinat de l’archiduc François Joseph en avril 1914 à Sarajevo fut la cause déclenchante de la Première Guerre mondiale, et la situation géopolitique sa cause structurante.

En philosophie on appelle « contingent » un événement qui aurait pu être autre que ce qu’il est. C’est en particulier lorsqu’il aurait pu différer si ses causes avaient été différentes. Si le fait que tel individu ait reçu tel virus de telle chauve-souris est contingent, c’est-à-dire qu’il aurait pu être différent, à supposer qu’un ou deux détails aient été changés – nous soutiendrons que l’advenue de la pandémie était, elle, assez inexorable, au sens où elle devait advenir à un moment où un autre, dans un endroit ou un autre, parce que les causes structurantes l’impliquaient.

La dynamique de cette pandémie est, comme toutes les dynamiques populationnelles et en particulier celles des espèces invasives, affectée par des éléments stochastiques : par exemple, les rassemblements religieux à Colmar, dont on a montré le rôle majeur joué dans la propagation du virus en France (ou bien l’un des stands à la foire alimentaire de Milan, tenu par une personne originaire de Wuhan). Mais si le cours de l’épidémie s’explique dans le détail par ces effets stochastiques, lesquels n’adviendraient pas si on imaginait rejouer le fil de la diffusion du virus (par exemple en modifiant les conditions de la première transmission interhumaine), d’autres diffusions à dynamiques mathématiquement analogues et aboutissant à une pandémie auraient très probablement lieu. Les événements stochastiques sont cruciaux pour comprendre le parcours réel de l’épidémie, les causes structurantes contraignent l’advenue d’une épidémie mondiale.

On se trouve dans une situation comparable à la guerre de 1914 : si Prinzip, assassin de l’archiduc François Joseph à Sarajevo, avait raté sa cible, la Première Guerre mondiale n’aurait pas éclaté, mais une guerre mondiale analogue serait probablement survenue tôt ou tard, du fait de l’équilibre instable des alliances entre grandes puissances et des sévères contentieux qui existaient entre elles[7]. L’inexorable est un type d’événement pour lequel les causes structurantes sont quasiment suffisantes pour déterminer sa nature, les causes déclenchantes n’expliquant que le détail du lieu et du moment. Pour toute une gamme de causes déclenchantes, le même événement arriverait tôt ou tard : en ce sens il n’est pas vraiment contingent.

Que la pandémie fut bien inexorable, les annonces récurrentes d’écologues depuis plus de dix ans tendraient à l’établir. Quelles étaient donc ses causes structurantes ? Il faut ici chercher du côté de l’écologie théorique et de la biologie évolutive, puis de la sociologie.

De nombreux écologues s’accordent à le dire : les mutations de notre rapport aux écosystèmes, la prise humaine sur la biodiversité, augmentent le risque de zoonoses, et la mondialisation en sus, incluant la très haute connectivité des groupes humains comme l’intensité de leurs déplacements, rend extrême le risque de pandémies.

Avant de détailler cette explication, remarquons que rien dans cette étiologie n’est purement naturel, si l’on entend « nature » au sens du couple nature/culture ou nature sauvage/civilisation. Que le trafic aérien ait quasiment doublé depuis une dizaine d’années est un fait social, comme le sont les fragmentations de l’habitat et la déforestation, puisqu’elles résultent de l’agriculture intensive liée aux besoins de l’élevage, de l’étalement urbain, et des nécessités d’interconnexions routières qui en découlent. L’augmentation radicale des capacités de diffusion des pathogènes, de même que l’élévation drastique de la probabilité de rencontrer ces pathogènes, résultent de notre type de société – capitaliste, postindustrielle, mondialisée. Ceci a été dit mille fois[8] mais il nous importait de replacer l’épidémie dans ce contexte pour montrer en quoi, alors même qu’elle n’est aucunement intentionnelle, elle résulte bien des activités humaines. Le parallèle avec le changement climatique est direct, et on y reviendra dans un dernier temps.

L’écologie, science des rapports entre les organismes et leurs environnements, ou science de la biodiversité et des écosystèmes, selon les acceptions – est éminemment complexe. Non qu’elle soit plus compliquée qu’autre chose, mais parce qu’il ne s’agit que de relations causales indirectes, non linéaires, d’effets de seuil, de rétroactions positives ou négatives, et de multiplicités d’échelles de temps entrelacées. Les sociétés humaines impactent les écosystèmes et conditionnent donc les facteurs causaux à l’œuvre en écologie.

Ni science humaine comme la géographie, ni science purement naturelle comme la biologie, l’écologie est fondamentalement une science du couplage – couplage, ici entre la « nature » et la société. Complexe, elle implique des schémas causaux souvent radicalement contre-intuitifs, difficiles à appréhender d’emblée par nos habitudes d’inférences causales.

Systèmes complexes, éco-évolution et attracteurs

Pourquoi contre-intuitif ? S’il est un phénomène écologique robustement établi, à l’égal du changement climatique, c’est bien l’érosion de la biodiversité. Or on pourrait imaginer que dès qu’il y a moins d’espèces, chaque espèce abritant ses virus pathogènes, on trouvera moins de virus pathogènes possibles pour les humains. C’est exact et c’est une première relation causale (notée C1). En quoi la biodiversité déclinante gênerait-elle alors la santé humaine[9] ?

Il faut, pour le comprendre, imaginer qu’il existe de multiples chemins causaux, dont les effets propres peuvent accroître ou diminuer le risque épidémique. Ainsi, à côté de cette possible raréfaction de pathogènes, il faut penser que, si un virus de chauve-souris passe à une autre espèce, et qu’il existe dix fois moins d’espèces, à effectif constant du nombre d’animaux, il y aura mathématiquement dix fois plus de chances que l’espèce humaine soit infectée par un tel virus. Et si le virus passe par plusieurs espèces, on peut montrer qu’il aura tendance à s’atténuer après chaque passage et donc au cours du temps, puisque les théories hôtes-parasites montrent que l’évolution usuelle de la virulence d’un virus dans une certaine espèce tend à terme à l’atténuation. En un mot, plus est grande la partie infectée de la population, moins le virus peut rencontrer de nouveaux hôtes sains, de sorte que les espèces qui tuent leur hôte moins vite disposent d’un avantage sélectif. C’est là une relation causale C2 entre biodiversité et probabilité de virus pathogène humain, dirigée en sens inverse de C1.

Mais à ces processus possibles s’ajoutent des processus évolutifs dont les échelles de temps peuvent être plus longues. D’abord, la recombinaison : si les habitats se réduisent et se fragmentent[10], les rencontres entre différentes espèces – même si ces dernières sont moins nombreuses – risquent d’être plus fréquentes. C’est pourquoi la probabilité de recombinaison d’un virus de chauve-souris avec un virus, par exemple, de pangolin, s’accroît. Et donc, augmentent aussi les chances qu’un virus inapte à passer à l’homme se dote par hasard d’un équipement lui permettant de franchir la barrière interspécifique : ici, nouveau chemin causal C3, inverse à C1.

Les contacts humains-animaux, eux, ont tendance à augmenter du fait de la déforestation, parce que l’étalement urbain implique, finalement, une plus large interface entre vie sauvage et vie sociale : les chasseurs de brousse, les braconniers, les forestiers, sont de plus en plus exposés aux animaux qui vivent dans la forêt, parce que celle-ci devient un lieu de vie pour ces catégories de personnes – la densité populationnelle en Asie étant aussi à prendre en compte (chemin C4 – essentiellement social).

Par ailleurs l’évolution des virus par sélection naturelle peut jouer un rôle. On pourrait faire l’hypothèse que si la biodiversité diminue, les virus spécialistes – qui s’attachent à une espèce – sont désavantagés par rapport aux virus généralistes qui peuvent s’attacher à plusieurs espèces hôtes, à effectif des hôtes constants. On a donc une sélection pour les virus généralistes, lesquels pourront par définition plus facilement atteindre l’homme ou évoluer en une forme pathogène pour l’homme. Un chemin évolutionnaire C5 se superpose ainsi à C2-4, en sens inverse de C1. On peut aussi imaginer que des virus se spécialisent pour attaquer une espèce démographiquement dominante, à savoir l’homme – d’où un autre chemin évolutif C6, convergent avec C5.

On peut enfin imaginer un autre chemin, C7, qui n’a apparemment pas été emprunté par cette pandémie mais a été étudié par les écologues, à savoir, les implications de l’élevage intensif. Ce chemin a toutefois été important pour la grippe aviaire il y a 3-4 ans. Même aujourd’hui, l’hypothèse d’un bain de culture ayant conduit à la recombinaison du SARS- CoV-2 ne peut pas être exclue, ni d’ailleurs la possibilité que la domestication d’animaux ait favorisé des formes pathogènes adaptées à l’humain, où les commensaux de l’homme jouent le rôle d’incubateurs évolutifs.

Proximité et abondance des animaux, doses intenses favorisant l’antibio-résistance et l’émergence de nouvelles bactéries, faible diversité génétique amoindrissant la capacité de trouver des bons variants génétiques susceptibles de contrer les pathogènes naissants : les immenses fermes à 10 000 vaches, les batteries de plusieurs dizaines de milliers de poulets, en Chine, aux USA, en Asie du Sud Est ou en Europe sont, plus encore que les chauve-souris, des incubateurs pour de nouveaux virus pathogènes. D’autant qu’on surestime fortement le fait que ces élevages industriels sont fermés, et donc sans contact avec la faune sauvage : en réalité, les animaux sont déplacés entre différents stades ; et sont tellement nombreux qu’il peut de fait y avoir contact plus facilement que pour des élevages de petite taille. Si notre coronavirus actuel ne provient pas de là, il est probable que ses successeurs y sont à cet instant en gestation.

Grossièrement tracés, voilà quelques chemins causaux, à diverses échelles de temps, que les facteurs de perte de biodiversité facilitent. Bien entendu, il n’y pas de causalité linéaire simple entre perte de biodiversité et Covid-19, au sens où par exemple, trouer la coque d’un bateau le fait couler. Mais dans une situation où il existe déjà un large réservoir de virus, en particulier chez les chauve-souris pour des raisons d’évolution biologique, la dynamique des chemins causaux évoqués tendra le plus souvent à faciliter l’apparition et la transmission de virus pathogènes aux humains.

Une telle apparition constitue ce que les théoriciens des systèmes complexes appellent un attracteur : la dynamique de l’écosystème, dans la gamme des conditions imposées par la société actuelle – un certain degré de déforestation, de fragmentation d’habitats etc. – aura tendance à produire de manière robuste un virus pandémique, même si le détail de cette production (quel virus ? où et quand arrive-t-il ? etc.) est contingent parce qu’il implique des facteurs stochastiques. Pareil attracteur est exactement ce que nous entendions en parlant d’événement inexorable.

Complexité dynamique et messages simples : de la Covid-19 au climat

Un éminent écologue, John Lawton, avait il y a 20 ans suggéré que, du fait de ces complexités, il n’y a pas de lois en écologie – entendre, pas de généralités simples, au-delà de la description des schémas causaux embrouillés propres à chaque situation à une échelle donnée. L’affirmation est discutable et discutée ; qu’elle ait pu être proférée dans un des journaux majeurs du domaine (Oikos) indique surtout combien la structure causale des processus dans ce champ ne se laisse pas simplement appréhender.

Certes, au terme de l’analyse, et du fait qu’il existe un attracteur à la dynamique écosystémique considérée, on retrouve un message simple : « perte de biodiversité dans un contexte mondialisé » égale « plus de pathogènes pandémiques ». Mais dans le détail, l’explication de ce résultat (le schéma C1-C6, au minimum) est fort complexe et peu intuitive. Et le résultat va lui-même à rebours de l’intuition première, qui serait : « moins d’animaux = moins de pathogènes ».

Pareil contraste entre cette intuition première et l’explication réelle – soit, l’évaluation de l’effet conjugué de chemins causaux plus ou moins probables C1… C6 – rend mieux compréhensible la surdité que rencontrèrent les écologues qui alertaient de l’imminence d’une pandémie depuis des années[11]. Dans l’un de ses récents discours, le Président Emmanuel Macron affirmait bien – et contre toute réalité – que l’épidémie n’était pas prévisible.

Ce caractère complexe des schémas causaux est aussi, bien sûr, le propre du changement climatique. On appelle « Anthropocène » l’ère définie par l’empreinte des activités humaines sur la nature géologique : le terme est controversé, non reconnu par les autorités de la stratigraphie, mais utile pour les géoscientifiques intéressés à l’intrication de la nature non-humaine et des activités industrielles. Pandémie et changement climatique sont exemplairement des produits de l’anthropocène, comme l’indique l’intitulé d’un article de synthèse sur la question de leur émergence : celle-ci résulte des chemins causaux induits par l’emprise anthropique moderne sur la nature non-humaine. L’attracteur, autrement dit le résultat d’une complexe intrication de chemins causaux, est une implication simple liant ces désastres aux formes du capitalisme industriel et mondialisé.

Il y a toutefois une différence : là où la pandémie affecte les humains dans leur vie, le changement climatique se joue sur des échelles de temps qui dépassent une existence humaine – et de même, les effets d’un changement de mode de vie ne seront probablement pas visibles par leurs auteurs. Si l’intellect humain peut comprendre des mesures radicales dont l’intérêt se rapporte à sa propre vie – d’où consentement au confinement, comme on dit consentement à l’impôt – il a été jusque maintenant très difficile de convaincre les populations et les décideurs de changer leur comportement pour atténuer ou modérer l’échéance climatique.

Pour ce qui concerne les dispositions à la prise de décision il existe dans le cerveau humain une tendance à la « myopie », comme disent les économistes et probablement pour de bonnes raisons évolutives ici aussi[12]. Par ailleurs, la Covid-19 présente en bout de chaîne une relation causale simple et imaginable : un virus, des symptômes, des chances de décès – ce qui justifie le but de supprimer ce virus. Pour le changement climatique, nul ne peut vraiment se représenter un agent dont la neutralisation écarterait la menace ; il n’y a pas de vaccin contre le dérèglement du climat. Sans doute cette possibilité d’imaginer une petite relation causale directe et contrôlable est pour beaucoup dans la compréhension rapide dont généralement témoignent les populations envers les mesures drastiques prises dernièrement par les États.

Causalité et complexité : repenser le parallèle entre Covid-19 et changement climatique

Comprendre l’émergence de la pandémie requiert de penser ensemble les activités humaines et les dynamiques bio-écologiques : la Covid-19 n’est pas une simple affaire médicale. Mais, de même que dans le cas du changement climatique, les raisons complexes de son émergence impliquent l’évolution biologique et ses processus darwiniens spécifiques.

Or qui dit sélection naturelle darwinienne dit variations. Oublier cette dimension revient à souscrire à un solutionnisme technologique : à toute pandémie, ses vaccins et ses applications de traçage ; contre le réchauffement climatique, une manipulation des volcans ou des océans, des réformes dans la construction et la motorisation. Cela résoudrait tout, si les espèces vivantes restaient sagement en place, spatialement comme génétiquement, et si les chemins causaux étaient linéaires.

Ce n’est pas le cas : le SARS-CoV-2 mute, de sorte qu’il faudra réadapter périodiquement le vaccin — quand on en aura un ! —, et pire encore, si on poursuit notre attitude envers la biodiversité, de nouveaux coronavirus vont émerger de plus en plus fréquemment, contre lesquels il faudra reprendre à zéro la recherche vaccinale. À plus long terme, on peut imaginer qu’un jour les applications de traçage ne serviront plus, car la sélection naturelle privilégiera les virus qui peuvent rester très longtemps sur les surfaces, de sorte que le recueil des contacts d’un infecté ne servira plus à rien.

Un même solutionnisme commande d’ailleurs toute une vision de la recherche scientifique orientée essentiellement sur la production-innovation, vision à l’œuvre dans les lois actuellement envisagées chez nous. Pareille vision est confrontée aux mêmes impasses que la gestion technologiste des épidémies, puisque face à un monde évolutif on sera toujours en retard d’une innovation, seule la recherche fondamentale donnant la capacité à produire ensuite les outils requis.

De même, toute solution technique au problème climatique ne sera qu’une nouvelle pression de sélection sur les différentes espèces de la biosphère, qui y répondront par l’évolution de nouveau traits adaptatifs, bénéfiques pour les individus concernés mais dépourvus d’égards envers la Terre elle-même et son climat. La biosphère n’est pas une voiture en panne, pour laquelle il suffit de changer une bougie défectueuse afin qu’elle reparte. Les écosystèmes s’y adaptent, et leur réponse ne consiste pas forcément à continuer à l’identique. Pensons au loup – réintroduit dans le parc de Yellowstone, il a induit une série d’événements telle que la physionomie du parc a radicalement changé à partir de l’évolution des comportements des cerfs qui durent l’éviter[13].

Tant que les décideurs adoptent cette vision du garagiste, aucune sortie de crise n’est envisageable. L’une des vertus de la pandémie de la Covid-19 sera, peut-être, de rendre plus patente l’importance d’adjoindre au regard du garagiste qui veut réparer la planète, le regard de l’évolutionniste qui sait combien le vivant ne cesse de prendre des chemins de traverse dès qu’on intervient sur son milieu[14].

 


[1] Voir aussi Andersen, K.G., Rambaut, A., Lipkin, W.I. et al. The proximal origin of SARS-CoV-2. Nat Med 26, 450–452 (2020), qui démontre par analyse comparative des données génomiques avant l’intervention de Montagnier que « SARS-CoV-2 is not a laboratory construct or a purposefully manipulated virus ».

[2] Parmi les modèles qui ont circulé et ont eu un certain effet sur les pouvoirs publics ont citera les modèles de l’imperial College de l’équipe de Neil Ferguson, le modèle du confinement de l’équipe de l’INSERM dirigée par Vittoria Colizza, et les modèles à compartiments développés par l’équipe ETE (Mivegec, CNRS-IRD) de Montpellier dirigée par Samuel Alizon.

[3] L’affirmation doit être nuancée si, comme on le rapporte dans la section suivante, l’impact humain sur la biodiversité a facilité l’émergence d’un virus hors d’une chauve souris, et son passage par un pangolin. Reste que si on prend, aujourd’hui, un virus donné dans son hôte, le génome du virus descendant, prêt à aller infecter un autre individu, ne dépend pas des caractéristiques sociales de la société française présente, à la différence de sa létalité ou de ses chances d’infecter quelqu’un d’autres.

[4] La vie grégaire a fait évoluer un type d’altruisme très étudié – se nourrissant du sang d’animaux, les individus qui après une chasse n’ont pu en boire se voient nourris par d’autres, qui leur transfusent une partie du sang récolté. C’est l’un des rares cas documentés d’« altruisme réciproque » dans le monde animal (autrement dit, un individu fait quelque chose de coûteux pour lui et bon pour l’autre, pour un individu susceptible de lui retourner le service plus tard).

[5] « Some bats have an antiviral immune response called the interferon pathway perpetually switched on. In most other mammals, having such a hyper-vigilant immune response would cause harmful inflammation. Bats, however, have adapted anti-inflammatory traits that protect them from such harm, include the loss of certain genes that normally promote inflammation » (Brook C. et al. (2020) “Accelerated viral dynamics in bat cell lines, with implications for zoonotic emergence” eLife 2020;9:e4840)

[6] Les virus sont généralement des virus à ARN. La plupart des virus que les hominidés accueillent et savent maitriser sont généralement des virus à ADN. Cet autre fait explique aussi en quoi les coronavirus qui sont des virus à ARN, une fois passés à l’homme, peuvent être graves.

[7] Pour ces notions d’inexorable et de contingence voir P. Huneman. Pourquoi ? Paris: Flammarion, 2020, chap 5-6.

[8] Par exemple récemment : https://theconversation.com/covid-19-ou-la-pandemie-dune-biodiversite-maltraitee-134712https://theconversation.com/comment-les-changements-environnementaux-font-emerger-de-nouvelles-maladies-130967 ; et cet entretien avec la philosophe de l’environnement Virginie Maris (CEFE) : https://www.mediapart.fr/journal/france/240420/virginie-maris-creer-des-territoires-plus-autonomes-plus-resilients?onglet=full

[9] Le projet One Health (https://www.who.int/features/qa/one-health/fr/.) ne cesse de militer depuis dix ans pour ce que ses tenants appellent l’unité de la santé de la planète et de celle des humains. On illustre ici cette unité par l’intrication de chemins causaux sociaux et écologiques impliqués dans la compréhension de la pandémie de Covid 19.

[10] La fragmentation est peut-être encore plus importante : les chauve-souris (dans la situation présente) ne peuvent pas vivre dans un seul patch trop petit, et doivent donc aller de patch en patch, augmentant les contacts avec tout ce qui s’est installé dans les interstices entre les patches.

[11] De manière générale, l’épidémie Covid 19 s’inscrit contre nos préconceptions et nos habitudes de pensée. C’est ainsi que la croissance exponentielle du phénomène, détectable par tout mathématicien qui voit se succéder 1, 2, 4 et 8 – n’est pas familière de nos schèmes mentaux, qui a tendance à penser en termes additifs. Un psychologue évolutionniste dirait peut-être que la plupart des phénomènes dans l’environnement adaptatif primaire du Pléistocène était linéaire, de sorte que l’habitude de penser comme linéaire des processus dont on perçoit une part des résultats s’est ancrée dans l’esprit par évolution par sélection naturelle; Après tout, la suite 2 puis 4 pourrait aussi bien être une séquence additive (+2: 2, 4, 6, 8, etc) qu’exponentielle (2^n :2, 4, 8, 16, 32/…). Il eut pu être adaptatif de voir partout du linéaire. L’ennui ici est que seuls ceux dont la culture scientifique était non nulle ont compris qu’il s’agissait d’une croissance exponentielle, telle que si l’on réagit quand il faut manifestement réagir, il est en réalité déjà trop tard.

[12] La sélection naturelle ayant éliminé ceux qui préféraient des récompenses futures aux récompenses présentes puisque personne ne vivait jusqu’au futur.

[13] Le spectaculaire film des événements, insistant sur les cascades trophiques est retracé par cette vidéo; on voit que même le cours des rivières est ultimement impacté. “L’introduction n’a pas seulement transformé l’écosystème du parc, mais sa géographie physique“, souligne le commentaire à la fin.

[14] Nous remercions Sébastien Dutreuil, Thomas Heams, Alice Lebreton-Mansuy, François Marchal et Barbara Stiegler pour leurs précieux commentaires et suggestions.

Philippe Huneman

Philosophe, Directeur de recherche à l’IHPST (CNRS/Paris-I)

Solange Haas

Philosophe, Doctorante à l'IHPST

Philippe Jarne

Écologue, Directeur de recherche au CNRS et membre du CEFE

Rayonnages

SociétéSanté

Mots-clés

Covid-19

Notes

[1] Voir aussi Andersen, K.G., Rambaut, A., Lipkin, W.I. et al. The proximal origin of SARS-CoV-2. Nat Med 26, 450–452 (2020), qui démontre par analyse comparative des données génomiques avant l’intervention de Montagnier que « SARS-CoV-2 is not a laboratory construct or a purposefully manipulated virus ».

[2] Parmi les modèles qui ont circulé et ont eu un certain effet sur les pouvoirs publics ont citera les modèles de l’imperial College de l’équipe de Neil Ferguson, le modèle du confinement de l’équipe de l’INSERM dirigée par Vittoria Colizza, et les modèles à compartiments développés par l’équipe ETE (Mivegec, CNRS-IRD) de Montpellier dirigée par Samuel Alizon.

[3] L’affirmation doit être nuancée si, comme on le rapporte dans la section suivante, l’impact humain sur la biodiversité a facilité l’émergence d’un virus hors d’une chauve souris, et son passage par un pangolin. Reste que si on prend, aujourd’hui, un virus donné dans son hôte, le génome du virus descendant, prêt à aller infecter un autre individu, ne dépend pas des caractéristiques sociales de la société française présente, à la différence de sa létalité ou de ses chances d’infecter quelqu’un d’autres.

[4] La vie grégaire a fait évoluer un type d’altruisme très étudié – se nourrissant du sang d’animaux, les individus qui après une chasse n’ont pu en boire se voient nourris par d’autres, qui leur transfusent une partie du sang récolté. C’est l’un des rares cas documentés d’« altruisme réciproque » dans le monde animal (autrement dit, un individu fait quelque chose de coûteux pour lui et bon pour l’autre, pour un individu susceptible de lui retourner le service plus tard).

[5] « Some bats have an antiviral immune response called the interferon pathway perpetually switched on. In most other mammals, having such a hyper-vigilant immune response would cause harmful inflammation. Bats, however, have adapted anti-inflammatory traits that protect them from such harm, include the loss of certain genes that normally promote inflammation » (Brook C. et al. (2020) “Accelerated viral dynamics in bat cell lines, with implications for zoonotic emergence” eLife 2020;9:e4840)

[6] Les virus sont généralement des virus à ARN. La plupart des virus que les hominidés accueillent et savent maitriser sont généralement des virus à ADN. Cet autre fait explique aussi en quoi les coronavirus qui sont des virus à ARN, une fois passés à l’homme, peuvent être graves.

[7] Pour ces notions d’inexorable et de contingence voir P. Huneman. Pourquoi ? Paris: Flammarion, 2020, chap 5-6.

[8] Par exemple récemment : https://theconversation.com/covid-19-ou-la-pandemie-dune-biodiversite-maltraitee-134712https://theconversation.com/comment-les-changements-environnementaux-font-emerger-de-nouvelles-maladies-130967 ; et cet entretien avec la philosophe de l’environnement Virginie Maris (CEFE) : https://www.mediapart.fr/journal/france/240420/virginie-maris-creer-des-territoires-plus-autonomes-plus-resilients?onglet=full

[9] Le projet One Health (https://www.who.int/features/qa/one-health/fr/.) ne cesse de militer depuis dix ans pour ce que ses tenants appellent l’unité de la santé de la planète et de celle des humains. On illustre ici cette unité par l’intrication de chemins causaux sociaux et écologiques impliqués dans la compréhension de la pandémie de Covid 19.

[10] La fragmentation est peut-être encore plus importante : les chauve-souris (dans la situation présente) ne peuvent pas vivre dans un seul patch trop petit, et doivent donc aller de patch en patch, augmentant les contacts avec tout ce qui s’est installé dans les interstices entre les patches.

[11] De manière générale, l’épidémie Covid 19 s’inscrit contre nos préconceptions et nos habitudes de pensée. C’est ainsi que la croissance exponentielle du phénomène, détectable par tout mathématicien qui voit se succéder 1, 2, 4 et 8 – n’est pas familière de nos schèmes mentaux, qui a tendance à penser en termes additifs. Un psychologue évolutionniste dirait peut-être que la plupart des phénomènes dans l’environnement adaptatif primaire du Pléistocène était linéaire, de sorte que l’habitude de penser comme linéaire des processus dont on perçoit une part des résultats s’est ancrée dans l’esprit par évolution par sélection naturelle; Après tout, la suite 2 puis 4 pourrait aussi bien être une séquence additive (+2: 2, 4, 6, 8, etc) qu’exponentielle (2^n :2, 4, 8, 16, 32/…). Il eut pu être adaptatif de voir partout du linéaire. L’ennui ici est que seuls ceux dont la culture scientifique était non nulle ont compris qu’il s’agissait d’une croissance exponentielle, telle que si l’on réagit quand il faut manifestement réagir, il est en réalité déjà trop tard.

[12] La sélection naturelle ayant éliminé ceux qui préféraient des récompenses futures aux récompenses présentes puisque personne ne vivait jusqu’au futur.

[13] Le spectaculaire film des événements, insistant sur les cascades trophiques est retracé par cette vidéo; on voit que même le cours des rivières est ultimement impacté. “L’introduction n’a pas seulement transformé l’écosystème du parc, mais sa géographie physique“, souligne le commentaire à la fin.

[14] Nous remercions Sébastien Dutreuil, Thomas Heams, Alice Lebreton-Mansuy, François Marchal et Barbara Stiegler pour leurs précieux commentaires et suggestions.