Politique

Déboulonner les statues, repenser le droit aux images

Historienne, Historienne

Une mise en perspective historique permet de comprendre que le déboulonnage de statues n’obéit pas à une fureur aveugle, dépourvue de rationalité et doublée d’une ignorance, à laquelle s’opposerait un discours savant « universel » et surplombant, un discours qui se voudrait objectif et dépourvu d’un inconscient historique. Elle montre au contraire que les images placées dans l’espace public sont aussi une affaire collective, qu’elles méritent d’être questionnées, discutées, déplacées ou réaménagées.

Erreur grossière, brutalité, contresens sur l’histoire, « péché contre l’intelligence du passé » : plusieurs voix n’ont pas trouvé de mots assez durs pour disqualifier les actions ou les projets de déboulonnage de certaines grandes figures de l’Histoire. Le retrait des statues s’inscrit dans une longue tradition historique et invite surtout à s’interroger sur le droit aux images et le droit des images des communautés politiques.

Le 4 juin 2020, Levar Stoney maire de la ville de Richmond en Virginie, ancienne capitale des États confédérés, a ordonné le déboulonnage de la statue d’une célèbre figure sudiste, Robert E. Lee, général en chef des armées des États. Placée au milieu d’autres figures historiques sur un lieu prestigieux de la ville, la Monument Avenue, la statue faisait partie des highlights de la cité. Dans son discours de justification, le maire souligne qu’il entend donner une nouvelle signification historique à sa ville qui ne doit plus être célébrée comme l’ancienne capitale de la Confédération, mais devenir une ville « pleine de diversité et d’amour pour tous ».

Toutefois, ce choix est loin de remporter un soutien unanime : un groupe d’habitants résidant sur la Monument Avenue a récemment attaqué cette décision arguant que le texte de 1890 qui signe l’acte de propriété de l’État sur la fameuse statue engageait la Virginie à « garder fidèlement » celle-ci et à la « protéger affectueusement ». Parallèlement à cette première remise en cause, une autre communauté d’habitants redoutant la dévalorisation de ses propriétés, si cette « œuvre d’art inestimable » devait disparaître, a annoncé qu’elle attaquait à son tour la mairie. Jusqu’à présent, la justice a donné raison aux premiers. La statue demeure encore en place.

N’envisager que la valeur artistique (supposée) de l’œuvre permet de déhistoriciser et de neutraliser son contenu explicite.

Le conflit juridique autour de la statue du général Lee met en jeu plusieurs tensions qui s’inscrivent dans un contexte


Caroline Michel d’Annoville

Historienne, Professeure d'archéologie de l'Antiquité tardive

Naïma Ghermani

Historienne, Maîtresse de conférences en histoire moderne

Mots-clés

Mémoire