Société

Observations sur la fin de la mort par temps de pandémie

Anthropologue

La guerre pour la vie, revers de la guerre contre la mort, a un prix. Constituer la mort en ennemi, la considérer en opposition avec la vie, c’est-à-dire tout à fait séparée d’elle, a ainsi eu des conséquences réelles, que l’on repère dans le traitement réservé aux personnes qui vivaient en Ehpad durant le confinement, et dans celui des morts eux-mêmes. Un enseignement à méditer alors que les autorités sanitaires craignent le rebond de l’épidémie de Covid-19.

Au mois de mars, la mort déboula à une échelle de masse inconnue de nos vies pacifiques puisque l’estimation française porta à 600 000 le nombre de morts possibles du coronavirus si aucun confinement n’était réalisé. Ainsi, durant deux mois, la mort s’affirma, par décrets et ordonnances, comme l’horizon exclusif et enjoignit l’État à ordonner l’exode de la population à la maison. Ce faisant, la vie devint le centre de gravité de la politique et la législatrice de nos existences publiques – ou ce qu’il en restait – comme privées.

La vie devait faire plier la mort et l’affichage, par l’État, de son mépris soudain pour la croissance économique et ses points de PIB perdus, attestait de sa volonté comme de sa bonne foi. C’est ainsi que la fable de la mise entre parenthèses de l’économie prit corps puisqu’elle passait plus ou moins sous silence ceux qui pourtant travaillaient encore plus dur – chez eux, chez leur patron–, ceux qui, sans salaire ni réserve d’argent, avaient faim – familles populaires, ouvriers sans papiers, étudiants pauvres–, ceux qui rejoindraient Pôle Emploi, ou encore ceux qui mendieraient dans les rues. Mais qu’importe puisque dans le mot survie il y a celui de vie. Ainsi, la vie en tant que « souverain bien[1] » a été l’un des aspects de la séquence le plus commenté. Les analyses comme les critiques se concentraient sur le nouveau statut accordé au vivant, sur l’« étatisation du biologique », « la vie nue » ou encore, la mise en œuvre de la « république des médecins[2] ». La quintessence ou l’exactitude « biopolitique » et foucaldienne de ce moment étatique particulier fut alors, à raison, abondamment soulignée.

La vie mobilisa penseurs et intellectuels mais qu’en a-t-il été de la mort ? Devenait-elle, elle aussi, politique ? La mort n’était-elle que le simple pendant nécessaire et regretté de la vie ou bien a-t-elle été l’objet d’une réflexion particulière ? Les écrits sur la mort n’ont pas été absents mais force est de constater qu’ils furent moin


[1] « Autrement dit : la vie, qui certes est un bien, n’est pas un souverain bien. » Jean Allouch, « Le deuil, aujourd’hui », Tempo, 1992, p.5.

[2] Sur cet aspect-là, voir Giorgio Agamben dans Quodlibet, Bruno Latour dans Esprit, et la référence à Michel Foucault dans Le Monde du 20 avril 2020.

[3] En France, la grippe saisonnière tue entre 10 et 15 000 personnes par an et, en 2003, l’été caniculaire livra, en quelques semaines, 20 000 morts. Quant aux morts sous silence, citons celles dues, par exemple à l’obésité puisque l’OMS, qui la qualifie d’épidémie, estime que sur 650 millions d’obèses, 2,8 millions d’entre eux meurent chaque années dans le monde.

[4] Au 5 juin, l’on dénombrait 28 802 victimes dont 18 455 à l’hôpital et 10 347 en « établissements sociaux et médico-sociaux », dont les Ehpad – même nombre d’entre eux sont morts à l’hôpital.  Quant aux personnes décédées à leur domicile, le syndicat des généralistes MG France estimait le nombre de ces dernières à quelque 9 000. Selon ces estimations, l’épidémie aurait donc causé plus de 38 000 décès. « Ainsi, l’INSEE a observé que la mortalité a augmenté de 26 299 décès entre le 1er mars au 30 avril 2020 par rapport à la même période de 2019. Cette dernière ayant été particulièrement clémente, en termes de mortalité, l’INSEE a également suggéré de s’en tenir plutôt à une évolution moyenne par rapport aux années 2018 et 2019, soit un surcroît de mortalité de 22 271 décès. » Dominique Andolfatto et Dominique Labbé, « Covid-19 : premier bilan de l’épidémie »

[5] Christian Lehman, médecin généraliste dans les Yvelines, continue à en faire la chronique dans Libération.

Catherine Hass

Anthropologue, Chercheuse associée au LIER-FYT (EHESS) et chargée de cours à Sciences po Paris

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Société

Mots-clés

Covid-19

Notes

[1] « Autrement dit : la vie, qui certes est un bien, n’est pas un souverain bien. » Jean Allouch, « Le deuil, aujourd’hui », Tempo, 1992, p.5.

[2] Sur cet aspect-là, voir Giorgio Agamben dans Quodlibet, Bruno Latour dans Esprit, et la référence à Michel Foucault dans Le Monde du 20 avril 2020.

[3] En France, la grippe saisonnière tue entre 10 et 15 000 personnes par an et, en 2003, l’été caniculaire livra, en quelques semaines, 20 000 morts. Quant aux morts sous silence, citons celles dues, par exemple à l’obésité puisque l’OMS, qui la qualifie d’épidémie, estime que sur 650 millions d’obèses, 2,8 millions d’entre eux meurent chaque années dans le monde.

[4] Au 5 juin, l’on dénombrait 28 802 victimes dont 18 455 à l’hôpital et 10 347 en « établissements sociaux et médico-sociaux », dont les Ehpad – même nombre d’entre eux sont morts à l’hôpital.  Quant aux personnes décédées à leur domicile, le syndicat des généralistes MG France estimait le nombre de ces dernières à quelque 9 000. Selon ces estimations, l’épidémie aurait donc causé plus de 38 000 décès. « Ainsi, l’INSEE a observé que la mortalité a augmenté de 26 299 décès entre le 1er mars au 30 avril 2020 par rapport à la même période de 2019. Cette dernière ayant été particulièrement clémente, en termes de mortalité, l’INSEE a également suggéré de s’en tenir plutôt à une évolution moyenne par rapport aux années 2018 et 2019, soit un surcroît de mortalité de 22 271 décès. » Dominique Andolfatto et Dominique Labbé, « Covid-19 : premier bilan de l’épidémie »

[5] Christian Lehman, médecin généraliste dans les Yvelines, continue à en faire la chronique dans Libération.