Documentaire

À la charnière du destin – à propos d’Adolescentes de Sébatien Lifshitz

Critique

Avec son documentaire Adolescentes, qui sort ce mercredi, Sébastien Lifshitz propose un projet particulièrement ambitieux, d’un point de vue cinématographique comme sociologique. En effet, grâce à une mise en scène sobre, attentive aux diverses nuances du réel, le film dépeint avec justesse les destins antithétiques de deux jeunes filles, Emma et Anaïs, symboles de la France des années 2010 où les inégalités sociales sont toujours plus marquées. Il ne s’agit aucunement d’un film militant mais Adolescentes révèle au grand jour les déterminismes sociaux et les petits accrocs de la méritocratie républicaine.

Après avoir été assez remarqué pour ses films de fiction, en particulier Wild Side, et pour quelques documentaires, notamment Les Invisibles (film justement récompensé du César du meilleur documentaire), Sébastien Lifshitz se départ un peu du sillon LGBT+ qui était, principalement, le sien, avec un projet ample, complexe, ambitieux. Il s’est agi pour le quinquagénaire de suivre deux adolescentes pendant cinq années, de 13 à 18 ans (en les filmant deux à trois jours par mois), ce qui n’est pas sans rappeler le Boyhood de Richard Linklater (2014), qui courait, lui, sur une douzaine d’années – et qui ressortit certes davantage à la fiction. En a résulté pas moins de 500 heures de rushs, dans lesquelles il a fallu couper pendant un an pour atteindre une version de 5 heures et demi, puis de 3 heures – versions qu’on aimerait beaucoup découvrir !

publicité

Sous des dehors modestes avec une mise en scène sobre et patiente captation du réel, Lifshitz brosse mine de rien un très beau portrait de l’adolescence au féminin, qui se double en creux, comme par métonymie, d’une captation de la France des années 2010 où les disparités sociales sont toujours importantes, sinon capitales – juste avant le mouvement des « gilets jaunes ». Le film se glisse quelque part entre le beau documentaire de Claire Simon, Premières solitudes (2018), qui thématisait en particulier le rapport souvent douloureux des adolescents avec leurs parents, l’attachement grevé d’inévitables tensions, et le reportage télévisuel Les bonnes conditions (Julie Gavras, 2018) qui portraiturait l’âge ingrat au sein des classes dominantes. Il en diffère cependant par le parti-pris de portraiturer deux personnes uniquement, deux amies très proches dont le destin social étiolera quelque peu le lien.

C’est précisément par la justesse de cette captation, empathique sans être complaisant, attentive au quotidien comme aux évènements décisifs, que le film captive. Le choix de Tindersticks pour la musique originale du film


Aurélien Gras

Critique, Doctorant en études cinématographiques

Rayonnages

Cinéma Culture