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Le fragile accord de relance européen

Haut fonctionnaire

Au cœur du discours d’Ursula Van der Leyen ce mercredi, le plan de relance signé en juillet par les pays de l’Union européenne est présenté comme un tournant historique. Certains enthousiastes ont cru y voir l’embryon d’un budget fédéral, voire un premier pas vers une Europe solidaire. Un examen précis révèle en réalité les inégalités qui perdurent entre les États, le recours au recettes habituelle, et au final un impact économique qui pourrait se révéler bien faible.

Le 21 juillet dernier, les chefs d’État et de gouvernement européens se sont mis d’accord sur un plan de relance de l’économie européenne après sa mise à l’arrêt par l’épidémie de Covid-19. Comme toujours après un conseil européen difficile, tous les participants ont déclaré qu’ils avaient gagné ; cette manière de présenter les négociations européennes comme un affrontement entre États dans lequel chacun doit arracher une victoire sur ses partenaires, cela en dit long sur la solidarité et l’esprit fédéraliste qui règnent au sein de l’Union européenne.

Les médias ont mis en valeur le rôle décisif de leurs représentants nationaux et insisté sur le caractère « historique » des décisions prises. Puis comme toujours, les polémiques sont venues, d’autant plus bruyantes que les résultats de la négociation avaient été présentés avec emphase et beaucoup d’approximation.

Nous essayons ici de présenter une évaluation aussi objective que possible de cet accord, en rappelant que le Conseil européen devait se prononcer en même temps sur un plan exceptionnel de relance et sur le budget de l’Union européenne de 2021 à 2027. Deux sujets dont l’articulation présente de nombreuses difficultés : un plan de relance de l’économie européenne frappée par la récession consécutive à la pandémie et le budget de l’Union européenne pour la période 2021-2027.

Ces discussions présentaient à la fois un caractère budgétaire et financier – combien dépenser et comment dépenser –, et une dimension politique, puisqu’il s’agissait d’autoriser la Commission européenne à emprunter sur les marchés financiers 750 milliards d’euros (la Commission a déjà emprunté mais jamais des sommes aussi importantes) pour financer le plan de relance en lieu et place des États membres et de trouver de nouveaux moyens de financer les dépenses européennes.

Un plan de relance et non un nouveau cadre budgétaire européen

Le Conseil européen a autorisé la Commission à emprunter au maximum 750 milliards d’euros sur les marchés financiers exclusivement pour financer des dépenses exceptionnelles résultant de la pandémie. Le « point A4 » de la décision du Conseil européen précise : « Étant donné que Next Generation EU est une réponse exceptionnelle à des circonstances temporaires mais extrêmes, le pouvoir d’emprunter conféré à la Commission est clairement limité en termes de volume, de durée et de portée. »

Les dépenses ne résultant pas de décisions prises pour réparer les dommages de toute nature liés à la pandémie seront financées par les moyens habituels du budget européen. Les fonds empruntés pourront être prêtés aux États membres de l’Union européenne, pour 360 milliards d’euros, ou transférés sous forme de subventions pour financer des dépenses à hauteur de 390 milliards d’euros. Les dépenses du plan de relance seront engagées en trois ans : 2021, 2022 et 2023. La Commission remboursera ces emprunts au plus tard le 31 décembre 2058.

Le « droit de tirage » des États sur ce programme exceptionnel a fait l’objet d’intenses négociations au terme desquelles la clé de répartition proposée par la Commission européenne, qui favorisait les pays ayant le plus faible revenu par tête et le plus fort taux de chômage au cours des années précédentes, a été modifié de façon à prendre plus en compte le poids économique et démographique respectif des différents États européens.

Une note de l’Institut Bruegel évalue l’évolution de la répartition des subventions entre les modalités de répartition proposées par la Commission européenne et celles qui ont été adoptées par le Conseil européen. Nous donnons quelques exemples de cette évolution :

Clé proposée par la Commission Décision du Conseil européen
République Tchèque 8,9 Mds€ 5,6 Mds€
Croatie 7,4 Mds€ 5,2 Mds€
Bulgarie 9,3 Mds€ 5,9 Mds€
Allemagne 33,8 Mds€ 47,1 Mds€
France 43,2 Mds€ 50,6 Mds€
Italie 85,8 Mds€ 84,8 Mds€
Espagne 80,8 Mds€ 71,2 Mds€

 

L’Allemagne et la France sont les principaux bénéficiaires du changement de clés de répartition adopté par le Conseil européen, la plupart des autres États bénéficiant de subventions moins importantes que ce que proposait la Commission. La solidarité, on le voit, trouve assez vite ses limites et la mutualisation des ressources permise par ce programme exceptionnel sera très limitée, puisque les crédits seront alloués prioritairement aux plus gros contributeurs au budget européen.

Les aides européennes ne seront pas inconditionnelles. Pour en bénéficier, les États devront présenter des « plans nationaux de réforme et d’investissement » pour les années 2021-2023, qui seront évalués par la Commission européenne et soumis au Conseil européen, tous deux statuant à la majorité qualifiée.

Pas de chèque en blanc donc ! Les concours financiers ne seront accordés que si les programmes de dépenses présentés sont considérés comme conformes aux orientations de la politique économique formulées à l’occasion de l’examen annuel de la situation budgétaire des membres de l’Union par les instances européennes, notamment en matière de « réformes structurelles ». Ce vocable désigne habituellement les mesures de dérégulation de l’économie, de privatisation, d’ouverture à la concurrence de secteurs qui ne l’étaient pas encore et de réduction des dépenses publiques, autant de rubriques qui constituent le menu habituel des programmes économiques des institutions internationales et de l’Union européenne.

Un plan exceptionnel financé par les moyens habituels

Les 750 milliards d’euros d’emprunts que la Commission est autorisée à souscrire constituent donc bien une mesure exceptionnelle qui n’a pas vocation à être renouvelée. Ce n’est pas un nouveau budget européen ou l’embryon d’un budget fédéral comme elle est parfois abusivement présentée. Le financement de l’UE reste assuré par son budget, financé par les contributions des États membres – donc les contribuables des Européens – proportionnellement à leur richesse, si l’on ne prend pas en compte les rabais accordés à certains pays. De plus, le budget 2021-2027 est un budget de reconduction, les avancées voulues par la Commission et le Parlement européen ayant été sacrifiées au cours de la négociation sur le programme d’urgence.

Les dispositions relatives aux ressources qui financeront les subventions et le remboursement des emprunts du programme européen de relance ainsi que le budget européen pour les années à venir sont peu explicites et ne permettent pas non plus de dire que l’option fédéraliste l’a emporté sur la vision interétatique de l’Union européenne.

Le plafond des ressources propres de l’UE sera porté de 1,20 % du revenu national brut des États membres à 1,40 % pour permettre le financement du prochain budget européen. Cela pourrait représenter une augmentation de la contribution française annuelle de l’ordre de 4 à 5 milliards d’euros. De plus, le financement du plan de relance sera assuré par un relèvement temporaire de 6 points de pourcentage du plafond de ressources propres affectées au financement des dépenses de l’Union, au-delà de 1,40 %. Les contributions pouvant être appelées pour financer le budget européen passeront donc de 1,20 % du revenu national brut des États en 2020 à 1,46 % à partir de 2021, une partie de cette hausse pouvant être annulée si de nouvelles ressources propres sont trouvées dans les prochaines années qui ne fassent pas appel à un prélèvement sur les impôts nationaux.

Pour le moment, les dépenses ordinaires de l’UE et le plan exceptionnel seront donc financés par les moyens habituels : les contributions des États au budget européen, donc par les impôts des contribuables européens, qu’il s’agisse d’impôts directs ou indirects (fraction de la TVA collectée). Il est donc mensonger de dire, comme l’ont fait MM. Macron et Le Maire, que « le plan européen ne sera financé ni par nos impôts ni par notre dette ». C’est exactement le contraire dans l’état actuel des choses.

Difficile de parler de mutualisation à propos d’un système qui est organisé pour que les aides bénéficient aux pays les plus importants au sein de l’UE par leur économie et leur démographie et qui prévoit un remboursement des dépenses engagées par une contribution des États proportionnelle à leur richesse. En l’absence de décisions de l’UE à venir sur son financement, c’est bien la situation dans laquelle nous nous trouvons après le 21 juillet 2020.

S’agissant de l’avenir, le paragraphe A 29 du compromis est ainsi rédigé : « Au cours des prochaines années, l’Union s’efforcera de réformer le système des ressources propres et d’introduire de nouvelles ressources propres. Une nouvelle ressource propre fondée sur les déchets plastiques non recyclés sera établie et appliquée à partir du 1er janvier 2021. Au cours du premier semestre de 2021, à titre de base pour des ressources propres supplémentaires, la Commission présentera des propositions relatives à un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières et à une redevance numérique, en vue de leur introduction au plus tard le 1er janvier 2023. Dans le même esprit, la Commission présentera une proposition relative au système révisé d’échange de quotas d’émissions, éventuellement étendu à l’aviation et au transport maritime. Enfin, l’union s’efforcera au cours du prochain cadre financier pluriannuel, de mettre en place d’autres ressources propres qui pourraient inclure une taxe sur les transactions financières. Le produit des nouvelles ressources propres introduites après 2021 sera utilisé pour le remboursement anticipé des emprunts contractés dans le cadre de Next Generation EU ».

La seule ressource nouvelle présentée comme certaine est donc la taxe sur les plastiques non recyclés, qui ne rapportera certainement pas de nature de quoi financer le plan d’urgence de 750 milliards d’euros. Le reste n’est qu’une simple déclaration d’intention affirmant la volonté de faire évoluer la situation.

La capacité des 27 pays de l’Union à décider de la création d’une taxe carbone aux frontières européennes puis de l’imposer à l’Organisation Mondiale du Commerce et à leurs partenaires américains et asiatiques disposant de moyens de rétorsion considérables peut, à tout le moins, susciter un peu de scepticisme. On peut d’ailleurs relever que plusieurs responsables écologistes ont déclaré au cours de l’été que la taxe carbone aux frontières « n’était pas la panacée » et qu’elle ne permettrait pas des progrès décisifs dans la transition écologique. Avec de pareils soutiens, cette entreprise risque d’avoir peu d’avenir.

La taxation des GAFA n’est pas un sujet nouveau ; les récentes décisions de la Cour de justice européenne qui ont annulé les sanctions prises par la Commission contre certaines des entreprises concernées ont mis en lumière la profonde division des Européens sur le sujet, certains pays comme l’Irlande choisissant d’offrir un paradis fiscal aux grands groupes américains du secteur et défendant leurs intérêts face à la Commission européenne.

Le financement du plan de relance sera donc assuré pour le moment, et peut-être pour longtemps, par les contributions des États à proportion de leur richesse. Il n’y a là aucun changement, aucun pas en avant vers le fédéralisme souhaité par certains, si ce n’est l’affirmation d’une volonté de « s’efforcer » de trouver d’autres ressources. Mais dans ce domaine, c’est l’unanimité des États qui prévaut et elle n’a pas prévalu dans l’élaboration du programme de relance. Au contraire, on a vu s’agrandir le fossé entre ceux qui veulent que l’UE ne soit qu’un espace de coordination des disciplines budgétaires imposées aux États membres et ceux qui disent vouloir une Europe plus solidaire.

Pire encore, le compromis adopté par le Conseil européen n’a pas rendu plus fédéral ou solidaire le financement de l’Union, il a maintenu les entorses actuelles aux règles normales de financement de l’UE – et auxquels il devait être mis fin dans le nouveau budget –, en prolongeant les « rabais » dont bénéficient certains États membres.

Les règles de calcul du montant des contributions des États membres devraient être les mêmes pour tous les pays européens. Ce n’est plus le cas depuis que le Royaume-Uni a obtenu un rabais sur le montant de sa contribution (le fameux « I want my money back » de Mme Thatcher). L’UE a versé au Royaume-Uni, depuis 1984 et jusqu’au Brexit, un chèque représentant 66 % de la différence entre sa contribution au budget européen et ce qu’il percevait au titre des dépenses de l’UE en sa faveur. En clair, le Royaume-Uni payait plus au budget européen qu’il n’en recevait, il était un des « contributeurs nets » (comme la France, l’Allemagne, les Pays-Bas, la Suède) et il a réussi à faire financer par les autres européens les deux tiers de cette contribution nette.

Cette entorse très importante au principe de solidarité financière entre les pays de l’Union en a entrainé d’autres. Le cadeau aux Britanniques devait être payé par une augmentation de la contribution nationale des autres pays européens, mais l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Autriche et la Suède ont obtenu de ne payer que 25 % de la somme qu’ils auraient dû payer à ce titre. De ce fait, la France est depuis 1984 le principal financeur du cadeau fait aux Britanniques. Ces rabais devaient disparaître avec le Brexit. Le Conseil européen de juillet a décidé de les prolonger pour les 7 ans qui viennent.

Le rabais allemand reste fixé à 3,7 Mds€, tandis que le rabais annuel de l’Autriche sera doublé à 565 M€, celui des Pays-Bas grimpe à 1,92 Md€ contre 1,57 Md€ précédemment ; la Suède avec 1,09 Md€ et le Danemark avec 377 M€ ont aussi obtenu plus que prévu. Au total, c’est une perte de 53 milliards d’euros pour le budget européen entre 2021 et 2027.

On voit par là que les « progrès » du fédéralisme sont bien illusoires et l’on pourrait s’étonner que l’Allemagne, qui portait le projet de plan de relance avec la France, n’ait pas renoncé à son rabais. Bien sûr, la prolongation de ces rabais injustifiés constituera une charge supplémentaire pour ceux qui n’en bénéficient pas, comme la France et beaucoup d’autres pays beaucoup moins riches que nous.

Des décisions importantes pour l’UE, mais un impact économique faible

Le budget européen pour la période 2021-2027 sera de 1 074,3 Mds€, soit 153,4 Mds€/an, à comparer au PIB total des 27 membres de l’Union européenne en 2019, à savoir 13 929 Mds€. Le budget de l’Union européenne représente donc 1,1 % du PIB européen.

Avec les 312 Mds€ de subventions adoptées par le Conseil européen, qui seront engagées entre 2021 et 2023, le budget annuel de l’UE passera à 257 Mds€/an pendant cette période, soit 1,8 % du PIB européen. Si l’on ajoute les 360 Mds€ de prêts auxquels pourront avoir accès les pays qui le souhaitent, le budget annuel de l’UE représentera 2,7 % du PIB européen.

Une augmentation de 63 % (en prenant en compte les seules subventions) ou de 170 % (avec les prêts) du budget de l’UE rapporté au PIB européen n’est pas insignifiante. Elle représente une rupture dans l’univers de l’Union européenne – qui souhaite maintenir son budget à un niveau aussi bas que possible –, même si elle ne constitue pas le basculement vers un budget fédéral.

Mais ces décisions importantes du point de vue du fonctionnement de l’UE n’auront qu’un impact économique très limité. Prenons le cas de la France, deuxième contributeur au budget européen, derrière l’Allemagne avec 21 Mds€ de contribution en 2019, soit 14 % des recettes de l’UE, et 14,5 Mds€ de « retour » sur le budget européen, dont 9,2 Mds au titre de la politique agricole commune (PAC). Sa « contribution nette » au budget européen en 2019 fut donc de 6,5 Mds€.

Si la France présente un plan de relance satisfaisant aux yeux des instances européennes, elle pourra bénéficier de 13 Mds€/an de subventions en moyenne de 2021 à 2023, soit 13 % du plan de relance de 100 Mds annoncé le 3 septembre par le gouvernement de Jean Castex. C’est moins que le seul plan de soutien consenti au secteur aéronautique de 15 milliards d’euros.

Dans cette logique comptable, il faudrait déduire un certain nombre de choses de ces 50 Mds€ de subventions pour arriver à un compte juste. Les crédits consacrés à la PAC généraient jusque-là un retour de 9 Mds€/an à la France. Les moyens qui lui sont accordés vont baisser de 10 %/an dans le prochain budget communautaire, ce qui devrait entraîner un manque à gagner de l’ordre de 900 M€/an, donc 6,3 Mds€ sur la période 2021/2027. Les fonds structurels vont également diminuer. Notre contribution au budget européen va augmenter relativement à notre PIB pour financer le plan exceptionnel et le prochain budget. La France n’étant pas portée à utiliser l’emprunt européen puisqu’elle emprunte sur les marchés financiers à des taux très bas, les subventions constitueront l’essentiel de l’intérêt qu’elle peut trouver à ce plan de relance européen.

Le plan de relance de la France sera donc financé par les Français, par leurs impôts et par une croissance phénoménale de la dette publique. Le gouvernement a commis une erreur en présentant ce plan européen comme une victoire française – ou au mieux franco-allemande – qui permettrait de financer la reprise de notre économie. Si l’on raisonne dans ces termes, l’Europe nous « coûte » chaque année 6 à 7 milliards d’euros, et elle coûtera un peu plus dans les années qui viennent. Elle rapportera 13 milliards d’euros pendant trois ans avant d’être à nouveau une charge nette pour notre budget.

Le solde positif de 6 à 7 Mds€ de nos relations financières avec l’UE sur la période 2021/2023 représentera environ 0,3 % du PIB français (qui était de 2 427 Mds€ avant la pandémie). Ce n’est certainement pas avec cela que nous allons sortir de la crise économique dans laquelle nous nous trouvons. Ces sommes sont sans rapport avec les moyens mis en œuvre par le budget de l’État (338 Mds€), les collectivités locales (270 Mds€) ou la sécurité sociale (450 Mds€).

Ce qui est vrai pour la France l’est pour les autres pays européens. On peut craindre par ailleurs que les responsables de l’Union européenne ne doivent discuter à nouveau rapidement des moyens de faire face à une nouvelle crise financière, pas seulement parce que le spectre d’une « seconde vague de l’épidémie » hante l’Europe et le monde, mais aussi en raison du poids des créances irrécouvrables dans le bilan des banques.

La crise pourrait d’ailleurs bien venir des dits « pays frugaux ». L’un d’entre eux a agi avec la plus forte détermination contre le projet de plan de relance européen : les Pays-Bas. Ce paradis fiscal affaiblit constamment l’UE. Il favorise l’installation de multinationales européennes, qui cherchent à payer moins d’impôts, à La Haye ou Amsterdam – Renault par exemple, bien que l’État français en soit actionnaire –, privant ainsi les pays d’origine de précieuses recettes fiscales. Ces pertes s’élèveraient à 2,7 Mds€ pour la France, à 1,5 Md€ pour l’Italie et l’Allemagne et à près de 1 Md€ pour l’Espagne, selon l’ONG Tax Justice Network.

Par ailleurs si les « frugaux » affichent une dette publique très basse – 33,2 % du produit intérieur brut au Danemark, 35,1 % en Suède, 48,6 % aux Pays-Bas et 59,4 % en Finlande, contre 77,8 % en moyenne dans l’UE –, la dette privée est cependant très élevée. Les ménages des « frugaux » figurent parmi les plus endettés au monde. Selon l’Organisation de développement et de coopération économiques (OCDE), la dette des ménages représente 280 % du revenu disponible net au Danemark, 240 % aux Pays-Bas, 189 % en Suède et 148 % en Finlande. À côté, les ménages italiens (87 %), grecs (106 %) et espagnols (107 %) sont d’une prudence remarquable.

Du coup, les banques néerlandaises sont très exposées au risque immobilier, une fois de plus ; car, durant la crise de 2008, La Haye a dû nationaliser une partie d’entre elles pour les sauver, n’hésitant pas à piétiner ses principes de responsabilité individuelle et de limitation de l’intervention de l’État quand il le faut.

Au passage, les donneurs de leçons néerlandais ne sont pas non plus les plus laborieux d’Europe. Ils travaillent en moyenne 1 434 heures par an, selon l’OCDE, avec un poids très important de temps partiel (46,8 % des emplois, en particulier chez les femmes), pendant que les « paresseux du Sud » travaillent 1 718 heures par an en Italie, 1 719 heures au Portugal ou 1949 heures en Grèce. Ces chiffres ne traduiraient-ils pas à leur façon un transfert de richesse des pays du Sud de l’Europe vers ceux du Nord ?

Un accord qui n’est pas inutile, mais payé trop cher en raison d’une erreur politique.

On peut souligner les limites d’un accord, rétablir la vérité sur ce qu’il contient vraiment, sans le tenir pour inutile ou inconsistant. On peut défendre l’utilité de l’accord passé au Conseil européen en considérant que, si l’Union européenne n’avait rien fait, on le lui aurait bien plus reproché que le compromis auquel elle est parvenue.

La France, l’Espagne et l’Italie sont les trois pays qui enregistreront la plus forte récession en 2020, selon les dernières estimations. Mais la France disposerait des plus fortes capacités de rebond, tandis que les faiblesses structurelles de l’économie espagnole se manifesteraient à nouveau, notamment au travers d’une explosion du chômage à des niveaux rappelant ceux de la crise de 2008, tandis que l’endettement très élevé de l’Italie lui pose un problème pour mobiliser les moyens supplémentaires dont elle aura besoin pour faire face à la situation exceptionnelle dans laquelle nous nous trouvons.

L’immobilisme n’était donc pas une position souhaitable. Avec cette crise et avec cet accord, l’Allemagne a également redécouvert sa dépendance vis à vis de l’Union européenne, alors que se ferment à leurs exportations d’automobiles et d’équipements, les marchés américains et certains marchés asiatiques ; c’est une bonne nouvelle.

L’Allemagne et la France ont beaucoup sacrifié pendant la négociation pour obtenir cet accord. On passera sur la réduction des subventions de 750 Mds€ à 350 Mds€ et le maintien des rabais à certains États européens, mais il a fallu aussi sacrifier le Fonds de transition juste qui devait permettre d’aider les pays les plus dépendants des énergies fossiles à passer à une économie moins carbonée ; il passe de 30 Mds€ prévus dans le projet de budget à 10 Mds€. Le programme de recherche Horizon 2020 perd 8 Mds€ des 13,5 Mds€ qui lui étaient attribués dans le projet de la Commission, tout comme InvestEU (moins 25 Mds€) ou Solvency (moins 26 Mds€), programme destiné aux entreprises en grande difficulté qui passe carrément à la trappe, de même que le programme santé, qui passe de 9,4 Mds€ à rien du tout, ou la politique de défense. Il faut y ajouter la PAC et les fonds structurels, sacrifiés également.

Cela finit par faire beaucoup et l’on peut redouter que l’avenir ait été sacrifié au profit de moyens sans doute trop limités pour le présent.

Macron et A. Merkel ont considéré qu’à partir du moment où un accord existait entre eux, l’accord des 25 autres était une formalité. Ils se sont trompés d’époque.

Macron poursuit son projet de renforcement de la construction européenne en dotant la zone euro d’un budget propre et l’Union européenne dans son ensemble de capacités budgétaires plus importantes pour améliorer sa résistance aux crises qui se succèdent. Il a pensé que la crise actuelle serait un moment favorable pour imposer ses vues et il s’est trompé. Il paie cher, sur des sujets qui sont normalement sa priorité, un succès qui pourrait rester de façade si les négociations à venir sur les ressources propres n’aboutissent pas et il a d’ores et déjà accepté un budget qui, pour 7 ans, n’est qu’un budget de reconduction.

Les divisions européennes se sont affirmées avec force pendant cette négociation. Il faudra formuler des objectifs autres que budgétaires pour les surmonter.

Il reste un long chemin à parcourir pour que cet accord soit mis en vigueur

Chaque pays européen devra présenter dans les mois qui viennent un plan de relance et le faire approuver par son parlement national avant de le présenter à la Commission européenne qui devra à son tour l’approuver.

Le Parlement européen, de son côté, a fait part de son insatisfaction sur les décisions du Conseil européen. Il souhaitait la suppression des rabais dont bénéficient certains États membres, un budget européen supérieur de près de 300 milliards d’euros à celui qui a été approuvé par le Conseil et un renforcement de la conditionnalité du versement des aides européennes au respect de certains critères.

Les présidents des principaux groupes parlementaires européens viennent d’adresser une lettre à la présidente de la Commission, Mme Von der Leyen, et à la chancelière Angela Merkel pour indiquer qu’ils ne poursuivraient pas les négociations sur le Cadre financier pluriannuel si le versement des aides prévues par le plan de relance européen n’était pas conditionné au respect de l’État de droit par le pays bénéficiaire. Ils appellent la présidente de la Commission européenne et la chancelière à négocier une disposition additionnelle au compromis de juillet sur ce point. La Hongrie fait sans doute partie des pays visés par cette lettre. Son accord n’avait été arraché par la Commission, l’Allemagne et la France en juillet, qu’au prix d’une renonciation à l’idée de conditionner le bénéfice du plan de relance au respect de l’État de droit.

Rouvrir une négociation sur ce point serait aussi s’exposer à la remise en cause de l’ensemble du compromis accepté en juillet. Même si le passé a montré que le Parlement était généralement incapable de s’imposer face à la Commission et au Conseil européen dans un bras de fer budgétaire, on ne peut pas présager de l’issue du conflit en cours.

Nul doute que le Parlement fasse feu de tout bois pour exprimer son mécontentement vis-à-vis du projet de budget européen en retrait de près de 300 milliards d’euros sur ses attentes, pourtant exprimées avec force au printemps et auquel il reproche d’avoir sacrifié au plan d’urgence tout ce qui était prioritaire à ses yeux : transition écologique, défense, santé, recherche.

Le compromis de juillet est donc bien fragile, à la merci de négociations politiques qui s’annoncent difficiles et du durcissement des mesures justifiées par la crainte d’une seconde vague de contamination par le Covid-19 qui réduisent les libertés et l’activité économique.


Jean-François Collin

Haut fonctionnaire

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