Société

Famille, sexes et genres dans le Code civil : de Napoléon à aujourd’hui

Sociologue

Fierté de Napoléon, le Code civil de 1804 est à la fois l’enfant de la Révolution et en rupture avec ses idéaux. D’un côté, il entérine la laïcité ou l’égalité successorale, mais de l’autre, il rétablit la suprématie patriarcale ou certaines inégalités sociales. Avant que les années 1970 n’opèrent une révolution sociale et juridique, toujours en cours, transformant mariage, autorité parentale ou filiation…

En 1807, une loi donne le nom de « Code Napoléon » au premier code civil des Français, promulgué le 21 mars 1804. L’empereur a toujours attaché la plus grande importance à s’en voir reconnu la paternité, comme en témoigne la phrase célèbre dite à Sainte-Hélène : « Ma vraie gloire, ce n’est pas d’avoir gagné quarante batailles ; Waterloo effacera le souvenir de tant de victoires. Ce que rien n’effacera, ce qui vivra éternellement, c’est mon Code civil. »

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Et on sait que sur le tombeau des Invalides que lui a offert la monarchie de Juillet, un bas-relief représente le génie de Napoléon donnant le Code aux Français, assorti de l’inscription : « Mon seul code, par sa simplicité, a fait plus de bien en France que la masse de toutes les lois qui m’ont précédé. »

Pourtant, la vérité historique ne corrobore pas tout à fait une telle légende. Le Code civil de 1804 est d’abord et avant tout un héritage de la Révolution française qui en posa le principe, en promulgua les fondements majeurs et au cours de laquelle en furent rédigés les premiers projets. Mais il est vrai aussi qu’il fallut attendre le Consulat pour que Bonaparte achève l’entreprise.

Et c’est à certaines ruptures assumées avec le droit révolutionnaire que l’ordre familial hiérarchique institué en 1804 doit sa cohérence et sa longévité. Il faudra attendre les années 1970 pour qu’émerge une tout autre logique du droit civil de la famille, quand l’égalité de sexe deviendra une valeur cardinale des sociétés démocratiques.

Le Code de 1804, héritier de la Révolution française

« Il sera fait un code de lois civiles » : dès la Constitution de 1791, le projet est annoncé. Il répond à une grande ambition de la Révolution, celle de compléter l’œuvre politique d’édification de la nation française par une « constitution civile » régissant les relations privées de tous les habitants du territoire : droit de la famille, de la propriété, des contrats.

Il s’agit là aussi de s’émanciper des principes organisateurs de l’Ancien régime, de faire succéder au fouillis des coutumes un ensemble cohérent de règles justifiées en raison, et enfin d’émanciper le mariage de la tutelle de l’Église, en référence à la liberté de conscience énoncée par la Déclaration des droits de l’homme. Plusieurs projets vont se succéder. Ils contiennent déjà de nombreux articles qui seront repris dans le Code de 1804. En matière familiale, le Code Napoléon doit à la Révolution française trois acquis majeurs, qui n’ont jamais été remis en cause jusqu’à ce jour.

La laïcité de l’état civil

Le titre II du livre I, « Des actes de l’état civil », précise la manière dont l’officier d’état civil établit les actes de naissance, mariage et décès. Il entérine ainsi la loi du 20 septembre 1792, qui a ôté aux curés des paroisses la tenue des registres. L’enjeu était capital : depuis la révocation de l’édit de Nantes, les protestants se mariaient « au désert » et leurs enfants étaient considérés comme des bâtards. Ce scandale avait, dès 1787, suscité un « édit de tolérance » accordant un état civil aux non-catholiques du royaume, protestants et juifs.

Avec la Révolution, le principe d’un état-civil commun à tous avait donné un fondement nouveau à la société tout entière : la laïcité de l’identité civile, à laquelle chacun peut adjoindre librement la pratique de sa foi. Jean Jaurès en soulignera l’importance : « C’est une des mesures les plus profondément révolutionnaires qui aient été décrétées. Elle atteignait jusqu’en son fond la vie sociale ; elle changeait, si je puis dire, la base même de la vie [1]. »

Le mariage civil fondé sur le libre choix du conjoint

Le code Napoléon reprend aussi les lois de 1792 sur le mariage civil : commun à tous, il doit être célébré avant le mariage religieux dont il devient la condition, différence capitale avec les pays de common law. Alors que le mariage n’avait toujours été que religieux, la Constitution de 1791 posa le principe dissociant contrat et sacrement : « La loi ne considère le mariage que comme un contrat civil. » Ce mariage civil fut aussi la fin du mariage pacte de famille soumis à la toute-puissance du chef de lignage.

Comme on le voit dans les œuvres de Molière et Marivaux, la revendication du mariage d’amour n’avait cessé de monter à la fin de l’Ancien régime. En décidant que le mariage civil serait fondé sur le libre choix du conjoint, la Révolution dessina une sorte de majorité civile en regard de la majorité politique. Le Code reprend tout cela à son compte. S’il ne met pas fin à la pratique des mariages arrangés, il ouvre vers une véritable redéfinition du sens de l’institution : à l’idée pluriséculaire d’alliance entre deux familles succède celle d’alliance entre deux personnes.

L’égalité successorale entre enfants légitimes

Enfin, le troisième grand acquis de la Révolution entériné par le Code est la transformation des principes successoraux. Avec la suppression des lettres de cachet, la fin du pouvoir d’exhéréder ses enfants avait été une limite majeure mise à la toute-puissance du pater familias.

Un autre monde s’était ouvert en matière de sexe et d’âge, avec la fin du droit d’aînesse et l’égalité entre tous les enfants légitimes assurée par la réserve héréditaire. Proclamée par les lois du 17 nivôse an II, cette égalité entre héritiers garçons et filles demeure dans le Code de 1804, même si des tempéraments lui sont trouvés afin, par exemple, de ne pas diviser la ferme ou l’entreprise.

Mariage du Code Napoléon et inégalité des sexes

Cependant, le Code Napoléon est aussi en rupture avec le droit révolutionnaire, accusé après Thermidor d’avoir trop accordé à la liberté individuelle, voire d’avoir tenté de détruire la famille. « Nous avons voulu promouvoir l’esprit de famille qui est si favorable, quoi qu’on en dise, à l’esprit de cité », écrit Portalis, l’un des principaux rédacteurs du Code, dans son célèbre Discours préliminaire. Il accorde une place centrale au mariage, seule institution inscrite dans la nature humaine elle-même : « Le mariage n’est ni un acte civil, ni un acte religieux, mais un acte naturel, qui a attiré l’attention des législateurs et que la religion a sanctifié [2]. »

Parce que le mariage est le fondement de la famille et que son objet est d’assurer la permanence des liens entre générations, ce contrat est « perpétuel par destination », insiste Portalis. De là un tournant dans la définition même du lien matrimonial.

Alors que la Révolution avait institué en 1792 un divorce extrêmement libéral en référence à l’issue nécessaire face aux abus de la puissance maritale, à la recherche légitime du bonheur et à la liberté individuelle « dont un engagement indissoluble serait la perte », les rédacteurs du Code civil considèrent au contraire que rien dans l’essence du mariage – dont le but est, selon Portalis, le dévouement à la permanence des liens entre générations – n’implique la possibilité du divorce. Celui-ci est conservé en 1804 pour des raisons purement politiques, liées à la liberté des cultes (protestants et juifs admettent la dissolution du mariage), et réduit dans les causes possibles.

Un tel recul sur le principe de dissolubilité du lien matrimonial signe l’avenir : dès 1816, la Restauration abolira le divorce pour presque un siècle. Bien que cet enjeu paraisse neutre au regard du genre, il ne l’est pas : les victimes en seront les épouses, dont l’assujettissement à la puissance maritale dans un mariage malheureux n’aura plus d’issue.

Que ce mariage civil revisité soit le socle de la seule « vraie » famille se traduit aussi par le recul le plus extrême : celui des droits des enfants naturels. Alors que la Révolution leur avait permis l’héritage, le Code civil fait des bâtards de véritables parias sociaux. La famille naturelle n’existe pas en droit. La « fille-mère » est celle qui est devenue mère tout en étant encore une fille, et son enfant n’héritera pas de ses grands-parents. L’article 342 interdit la recherche en paternité au motif que des filles malhonnêtes pourraient accuser des hommes innocents et troubler ainsi la paix des familles.

On ne saurait trop souligner l’importance du grand principe de division des femmes ainsi inscrit au cœur même de l’ordre sexuel du Code civil : les filles perdues et prostituées d’un côté ; les honnêtes épouses et mères de famille de l’autre. Sans aucun équivalent pour les hommes, il assure l’impunité de leur domination sexuelle, en particulier sur les femmes qu’ils emploient (domestiques, lavandières, ouvrières…).

Quant à l’homosexualité, elle devient au XIXe siècle une « pathologie » témoignant de la nature viciée de tout l’individu, dont les bonnes mœurs bourgeoises exigent au minimum l’enfouissement dans le secret. Ces inégalités sociales et dominations de genre seront encore redoublées dans les colonies de l’empire français par les rapports entre colons et indigènes [3].

Si le « lien de sang » ne vaut pour les hommes que dans le cadre du mariage, c’est bien lui qui donne sa signification ultime à la filiation légitime. Le mariage est l’institution qui donne un père aux enfants que les femmes mettent au monde, et son cœur est la présomption de paternité. L’adultère féminin est puni comme un crime sans commune mesure avec l’adultère masculin. La puissance paternelle inclut le droit du père de faire enfermer ses enfants récalcitrants.

Enfin, l’adoption, que la Révolution avait célébrée en référence au rôle éminent de la volonté dans la constitution de la famille, est quasiment abolie. Réservée aux adoptants de plus de cinquante ans et aux adoptés majeurs, elle ne sert plus qu’à faire, sur le tard, un héritier.

Le modèle familial du Code civil et la hiérarchie des rôles de genre

Avec le recul, on aperçoit à quel point le Code Napoléon est dédié à la défense d’un modèle unique de la famille nucléaire légitime. Moralisant la sexualité reproductive, il est réputé seul conforme au droit naturel. Les caractères respectifs de l’Homme (supérieur en raison, seul apte à gouverner) et de la Femme (supérieure en altruisme, sensible au plus faible que soi) justifient la partition des rôles : il gouverne et protège, elle administre et doit obéissance à son époux.

La puissance maritale fait de la femme une éternelle mineure. La complémentarité hiérarchique, que l’anthropologue Louis Dumont a définie comme « englobement de la valeur contraire [4] », accorde au mari et père le statut de représentant de la famille tout entière, justifiant que lui seul ait le droit de vote.

La partition hiérarchique des rôles de genre dans la famille se prolonge dans l’ensemble de la société dont le principe organisateur est la division du monde en deux : le monde public et masculin de l’art, de la science, de l’entreprise, de la politique et de la guerre englobe et domine le monde privé et féminin de la vie domestique, des invitations et des soins aux enfants, aux malades et aux personnes âgées.

La IIIe République apportera des aménagements aux « excès » de ce modèle : le divorce pour faute est rétabli en 1884, le droit de correction inhérent à la puissance paternelle est limité. Mais les revendications féministes exigeant le droit de vote n’aboutissent pas, et ce n’est qu’en 1938 que la puissance maritale et l’incapacité juridique de la femme mariée seront abolies, avant que le régime de Vichy, les enjeux de la guerre, puis de la reconstruction, ne renvoient à plus tard toute réforme de la famille.

Années 1970, la révolution de velours du Code civil

L’égalité des sexes, ce n’est pas seulement plus de droits pour les femmes. C’est aussi, au plan fondamental des relations sociales, les reconnaître comme de véritables interlocutrices des hommes (et des autres femmes).

Dans les années 1930, un nouvel idéal du couple naît dans les sociétés démocratiques occidentales : celui du « mariage conversation », dont la possibilité du divorce est une condition constitutive. L’idéal du lien n’est plus la pérennité quoi qu’il arrive, mais l’accord amoureux de deux volontés libres, capables d’affronter les crises du couple et de refonder à nouveaux frais le contrat conjugal au fil du temps. Au « ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfant », fin de l’histoire des contes d’autrefois, succède le « ils se marièrent, et se remarièrent et se remarièrent (ensemble) » des comédies hollywoodiennes du remariage, subtilement analysées par le philosophe Stanley Cavell [5].

Il faudra un demi-siècle pour que cet idéal se démocratise. Ayant obtenu le droit de vote en 1945, les femmes françaises questionnent désormais le droit civil où s’enracine leur subordination.

On prend aujourd’hui la mesure de l’importance de la révolution sociale et juridique entamée dans les années 1970, quand – dans un contexte social et économique marqué par l’urbanisation, la tertiarisation, les nouvelles technologies, les progrès de l’éducation des filles et le renouveau du féminisme – une série de réformes mettent en cause, l’air de rien, l’ancienne cohérence du Code Napoléon [6].

Réformes des régimes matrimoniaux (1964), institution de l’adoption plénière (1966), remplacement de la puissance paternelle par l’autorité parentale (1970), réforme de la filiation reconnaissant la famille naturelle et posant le principe d’égalité entre enfants naturels et légitimes (1972), réforme du divorce réinstaurant le divorce par consentement mutuel (1975). Toutes ces lois, proposées par des gouvernements de droite libérale sous la présidence de Georges Pompidou, puis de Valéry Giscard d’Estaing, sont appuyées par la gauche et ne suscitent l’opposition que de la fraction la plus traditionaliste des catholiques : on a parlé à leur propos de « révolution de velours ».

Le paradoxe est qu’on ne perçut pas d’emblée toute la portée de cette révolution. Certes, on voulait que la famille cesse d’être une exception aux valeurs de liberté et d’égalité et on promouvait les droits de l’enfant. Mais on pensait simplement « moderniser » la famille nucléaire qui avait triomphé dans les années 1945-1965, marquées par une forte nuptialité, une forte fécondité et une faible divortialité. Or, c’est justement là que l’aspiration des nouvelles générations à l’égalité de sexe allait changer la donne.

Code civil et démariage : vers un droit de la famille commun et pluraliste

À la fin du XXe siècle, un phénomène social inédit, et qui reste encore aujourd’hui largement méconnu, a commencé à transformer la famille : le « démariage [7] ». Le mot ne signifie pas seulement qu’on se marie moins (la majorité des enfants naissent aujourd’hui de parents non mariés) et que la divortialité explose, touchant désormais un couple sur deux. Plus profondément, le concept de démariage désigne la traduction sociale de l’idéal du couple-conversation égalitaire : la dissolubilité du lien devient ce qui donne sens et valeur à l’engagement et se marier ou non, se démarier ou non, devient une question de conscience personnelle.

Dans l’ordre privé et familial, c’est une révolution aussi importante que ce qui se passa il y a un peu plus de deux siècles dans l’ordre politique, quand une religion d’État cessa d’être l’horizon obligé de la vie sociale et que les religions (ainsi que le droit de ne pas croire) entrèrent à l’intérieur des consciences privées : il fallut refonder toutes les institutions de la vie politique.

Que se passe-t-il pour le Code civil quand le mariage ne peut plus être l’horizon indépassable des rapports sexués et sexuels, cette institution pivot sur laquelle s’édifiait tout le droit de la famille, tout l’ordre sexuel du permis et de l’interdit, et toute l’organisation sexuée de la vie sociale ?

Le mariage devient l’institution d’un lien de couple

Le mariage change de sens, cesse d’être l’institution « donnant un père aux enfants » et devient fondamentalement l’institution d’un lien de couple. La conjugalité vaut désormais comme lien d’amour entre deux personnes, indépendamment de tout enjeu de filiation. Le couple lui-même change de sens, et cesse d’être assimilé au seul couple hétérosexuel.

Le Pacs (1998) et plus encore le mariage pour tous (2013) auraient été « impensables » quand le mariage était, par définition, l’union d’un homme et d’une femme pour fonder une famille, et que la présomption de paternité en était le centre. Ils sont devenus possibles quand la métamorphose structurelle du mariage des hétérosexuels a convergé avec un changement majeur des représentations de l’homosexualité dans les sociétés démocratiques, issu des mobilisations du mouvement LGBT récusant toute pathologisation et tout enfermement dans le secret.

Le mariage pour tous signifie que, désormais, nos sociétés considèrent le couple de même sexe comme un lien aussi légitime que le couple de sexes différents.

La filiation devient l’axe du droit commun de la famille

Parallèlement, la notion de parent change de sens.  L’axe du droit commun de la famille se déplace du mariage vers la filiation, qui est désormais le seul lien social idéalement inconditionnel et indissoluble. Plus valorisée que jamais, la filiation devient le lien de parenté commun à tous, au fur et à mesure que les droits et devoirs qui la définissent deviennent identiques pour tous les enfants, que leurs parents soient mariés ou non mariés, unis ou séparés, de sexe différent ou de même sexe. Mais parallèlement, la filiation s’affirme aussi comme un lien pluriel quant à ses fondements possibles, avec la valorisation nouvelle de la volonté et de l’engagement parental.

Trois grandes modalités d’établissement de la filiation se dégagent, disant qui peut légalement se revendiquer comme parent d’un enfant : la procréation, l’adoption, et de plus en plus la procréation médicalement assistée (PMA) avec tiers donneur, qui sort lentement du secret et devrait s’ouvrir en 2021 aux couples de femmes. Là encore, on voit que l’homoparenté, naguère encore « impensable », est devenue pensable quand elle a convergé avec les transformations structurelles de la filiation hétéroparentale.

Parallèlement, les deux catégories de personnes que le Code Napoléon n’avait pas intégrées, au risque de les laisser subir de graves sévices physiques et psychiques, les personnes intersexuées et les personnes transgenres, ont revendiqué leur existence et leurs droits fondamentaux.

Ce faisant, la notion de « sexe à l’état civil » a été interrogée pour tous, et il s’est avéré qu’il ne s’agissait pas d’une simple catégorie descriptive des corps (les cas d’intersexuation étant niés) mais bien d’une catégorie normative, désignant un « statut social de genre ». Ce statut peut désormais être modifié à la demande des personnes transgenres, et un débat plus général est désormais engagé sur les diverses façons possibles de faire, ou non, mention du genre à l’état civil.

Une nouvelle cohérence du Code civil s’impose ainsi peu à peu. Son rôle n’est plus la défense d’un modèle unique de « la » famille légitime, mais au contraire la valorisation d’un droit pluraliste, intégrant toute une diversité de configurations familiales dès lors qu’elles renvoient aux nouvelles valeurs communes de liberté individuelle, d’égalité des sexes et de responsabilité générationnelle définissant le lien familial contemporain [8].

Peur du démariage, identité religieuse et nostalgie de la complémentarité hiérarchique

Cependant, le démariage reste un phénomène en émergence, encore largement méconnu. Parmi nos contemporains, beaucoup – surtout parmi les plus âgés – voient l’ancien qui se défait et non pas le nouveau qui se construit. De là des peurs, des crispations hostiles. On a vu, en 2013, les opposants au « mariage pour tous » arborer bonnets phrygiens et cocardes tricolores en hommage explicite au Code Napoléon de 1804, comme si la métamorphose actuelle du code civil était à leurs yeux sa destruction pure et simple.

Les désarrois et les oppositions que provoque la transformation du droit de la famille, en France comme dans le monde, sont indissociables de la coupure qui s’est opérée dans les sociétés démocratiques entre le mariage civil et le mariage religieux, qui dans toutes les religions monothéistes reste défini comme l’union d’un homme et d’une femme.

Beaucoup s’inquiètent de la façon dont notre société d’égalité des sexes saura penser les genres masculin et féminin sans les abolir, et donner sens à notre condition commune d’êtres sexués et mortels. L’ordre pluriséculaire et lisible qu’était la complémentarité hiérarchique des rôles de genre, exaltant ce qu’on voyait comme l’excellence propre de chaque sexe, suscite des nostalgies plus ou moins avouées. L’avenir n’est pas tracé d’avance.

Si la mutation contemporaine paraît inéluctable, si la moitié du genre humain y joue son émancipation, elle suscite aussi un peu partout des tentatives de contre-révolution particulièrement aiguës. Les accusations d’« immoralité », voire d’« immoralité occidentale », visant l’émancipation des femmes, la fréquence du divorce, l’avortement, l’homosexualité, la procréation assistée se multiplient et il est difficile de présumer jusqu’où conduira le renouveau de la notion d’identité religieuse au XXIe siècle.

Cet article a été commandé dans le cadre de l’exposition « Napoléon » de la Réunion des Musées Nationaux et La Villette, il fait partie du supplément « Manifesto » conçu par AOC et prochainement disponible sur le site de l’exposition.


[1] Jean Jaurès, Histoire socialiste de la Révolution française (1901-1903), tome III, éditions revue Paris, 1970.

[2] Voir Irène Théry et Christian Biet (dir.), La famille, la loi, l’État, de la Révolution au Code civil, Imprimerie nationale/éditions du Centre Pompidou, 1989.

[3] Emmanuelle Saada, Les Enfants de la colonie, les métis de l’empire français entre sujétion et citoyenneté, La Découverte, 2007.

[4] Louis Dumont, Homo hierarchicus (1965), Gallimard, 1979.

[5] Stanley Cavell, À la recherche du bonheur, Hollywood et la comédie du remariage, traduit de l’anglais par Sandra Laugier, éditions Vrin, 2017.

[6] Jean Carbonnier, Essais sur les lois, 2e édition, Répertoire du Notariat Defrènois, 1995.

[7] Irène Théry, Le Démariage, Odile Jacob, 1993.

[8] Irène Théry et Anne-Marie Leroyer, Filiation origines, parentalité, le droit face aux nouvelles valeurs de responsabilité générationnelle, Odile Jacob, 2014.

Irène Théry

Sociologue, Directrice d'études à l'EHESS

Mots-clés

FéminismeLaïcité

Notes

[1] Jean Jaurès, Histoire socialiste de la Révolution française (1901-1903), tome III, éditions revue Paris, 1970.

[2] Voir Irène Théry et Christian Biet (dir.), La famille, la loi, l’État, de la Révolution au Code civil, Imprimerie nationale/éditions du Centre Pompidou, 1989.

[3] Emmanuelle Saada, Les Enfants de la colonie, les métis de l’empire français entre sujétion et citoyenneté, La Découverte, 2007.

[4] Louis Dumont, Homo hierarchicus (1965), Gallimard, 1979.

[5] Stanley Cavell, À la recherche du bonheur, Hollywood et la comédie du remariage, traduit de l’anglais par Sandra Laugier, éditions Vrin, 2017.

[6] Jean Carbonnier, Essais sur les lois, 2e édition, Répertoire du Notariat Defrènois, 1995.

[7] Irène Théry, Le Démariage, Odile Jacob, 1993.

[8] Irène Théry et Anne-Marie Leroyer, Filiation origines, parentalité, le droit face aux nouvelles valeurs de responsabilité générationnelle, Odile Jacob, 2014.