Société

Discriminations à l’embauche selon l’origine : les testings ne suffisent pas

Économiste, Économiste

Une proposition de loi déposée cet été vise à multiplier et institutionnaliser le testing. Pour prendre toute la mesure des discriminations à l’embauche, il conviendrait toutefois de compléter cette méthode nécessaire et relativement simple à mettre en œuvre par des enquêtes de terrain plus fines.

En 2020, une opération de testing de grande ampleur (9 600 candidatures de femmes et d’hommes portant sur 11 métiers variés) réalisée sous l’égide de la Dares, le service statistique du ministère du Travail, met en évidence que, malgré des candidatures comparables en tous points, à peine plus de 20 % des candidat∙es dont les nom et prénom laissent supposer une origine maghrébine sont rappelé∙es contre un tiers de ceux/celles d’origine supposée française[1]. Autrement dit, les candidat∙es portant des nom et prénom d’origine maghrébine ont 30 % de chances de moins d’être contacté∙es pour un entretien.

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Ce résultat est dans la lignée de ceux des dizaines de testings menés en France depuis plus de 20 ans. Par ailleurs, certains testings récents soulignent que ce n’est pas tant l’origine maghrébine que l’origine arabo-musulmane des noms et prénom qui semble être source de discrimination, origine qui est d’ailleurs celle de la plupart des noms et prénoms maghrébins utilisés dans les testings[2].

Ceux-ci sont devenus incontournables dans de nombreux pays pour mesurer les discriminations à l’embauche. Ils sont de plus en plus perçus comme « le » thermomètre approprié pour prendre la mesure du phénomène étant considérés comme plus rigoureux et convaincants que les autres à la disposition des évaluateurs. D’ailleurs, un député de la majorité gouvernementale a déposé début juillet 2023 une proposition de loi appelant à étendre leur pratique et à les utiliser comme preuves de l’existence de discriminations[3]. Si la méthode du testing peut être coûteuse à grande échelle, dans son principe, elle est assez simple à mettre en œuvre. Elle consiste à envoyer, le plus souvent en réponse à des annonces d’offres d’emploi, des candidatures fictives qui sont, en moyenne, équivalentes en tous points (expérience, diplôme, spécialité de formation, etc.) excepté le critère testé.

Une autre méthode couramment utilisée consiste à étudier les écarts de taux de chômage entre les personnes originaires du Maghreb (qui constituent une grande part des individus portant un nom et prénom arabo-musulman en France) et celles sans ascendance migratoire qui ne sont pas expliqués par des caractéristiques observables (sexe, âge, niveau de diplôme, contexte géographique, etc.). Tout ou partie de ces écarts pourrait correspondre à des discriminations à l’embauche.

En 2017, selon une étude de l’Insee réalisée à partir de ses enquêtes Emploi, l’écart de taux de chômage entre les hommes descendants d’immigrés maghrébins et ceux sans ascendance migratoire s’élève de 10 à 20 points de pourcentage selon leur ancienneté sur le marché du travail[4]. Sur cet écart de 10 à 20 points, moins du tiers s’explique par des différences de caractéristiques observables entre ces deux populations, par exemple, par le fait que les hommes descendants d’immigrés aient en moyenne un niveau d’éducation un peu moins élevé que les hommes sans ascendance migratoire et résident plus souvent dans des quartiers prioritaires de la politique de la ville. Certains travaux mettent en regard ces écarts inexpliqués avec le sentiment de discrimination déclaré par les individus. Ainsi, à partir de l’enquête Trajectoires et Origines de 2008-2009, une étude observe qu’en France, la corrélation entre le « chômage inexpliqué » et la mention de « discriminations ressenties » est significative et particulièrement forte pour les immigré∙es et descendant∙es d’immigré∙es originaires du Maghreb, davantage que pour tous les autres groupes[5].

Si les résultats de ce type de travaux confortent ceux des testings, ils sont moins mis en avant et commentés dans la presse. Et pour cause, interpréter les écarts inexpliqués de taux de chômage en matière de discriminations à l’embauche reste critiquable. En effet, les travaux sur les écarts inexpliqués ne sont pas en mesure d’intégrer des éléments susceptibles de jouer un rôle déterminant dans l’accès à l’emploi, tels que le contenu et la présentation des candidatures (CV et lettre de motivation). Or, l’hypothèse selon laquelle en moyenne, la qualité des candidatures est susceptible de différer selon l’origine des candidat∙es ne peut être écartée. Cette différence de qualité pourrait être à l’origine d’une partie des écarts en matière d’accès à l’emploi et donc, des écarts de taux de chômage inexpliqués. Le testing est la seule méthode à même de tenir compte de ces éléments et de mesurer directement les éventuelles discriminations à l’embauche.

Le testing mené sous l’égide de la Dares en 2020 doit-il nous amener à conclure que le fait de porter des nom et prénom suggérant une origine arabo-musulmane diminue de 30 % les chances d’accéder à un emploi, en France, durant la période et pour les métiers considérés ? Bien que plus rigoureuse que d’autres méthodes de mesure des discriminations, le testing ne rend, en fait, que partiellement compte de la manière dont les personnes dont les nom et prénom laissent supposer une origine arabo- musulmane sont recrutées en France. En effet, les testings ne portent que sur une partie de ce que les économistes nomment le « processus d’appariement » sur le marché du travail, c’est-à-dire la rencontre entre une personne en recherche d’emploi et un employeur ayant un poste à pourvoir. Or, ce processus peut prendre des formes variées et se révéler relativement complexe à analyser.

Ainsi, employeurs et personnes en recherche d’emploi peuvent entrer en contact par le biais de plusieurs canaux : leurs relations personnelles, professionnelles ou encore familiales, les candidatures spontanées envoyées ou déposées par les secondes, les annonces d’offres d’emploi diffusées par les premiers, les intermédiaires du service public de l’emploi (Pôle emploi, missions locales, etc.) ou autres (APEC, cabinets de recrutement, etc.), etc. Or, pour des raisons pratiques, les testings se limitent généralement aux postes à pourvoir ayant fait l’objet d’une annonce d’offre d’emploi, une situation qui, d’après des chiffres récents de la Dares, ne concerne que 45 % d’entre eux. Mais surtout, les employeurs ne recrutent effectivement par ce canal que dans 15 % des cas. À titre de comparaison, la moitié des recrutements, environ, aboutissent grâce aux relations de l’employeur ou suite à l’examen de candidatures spontanées. La plupart des testings n’évaluent donc pas les comportements discriminatoires des employeurs lorsqu’ils utilisent d’autres canaux que les annonces, c’est-à-dire dans la majorité des embauches. Il est d’ailleurs difficile ne serait-ce que d’anticiper les résultats que fourniraient les testings s’ils étaient étendus à certains de ces canaux.

Par exemple, on pourrait supposer que lorsque les employeurs font appel à leurs relations pour trouver des candidat∙es ou à d’ancien∙es salarié∙es, ils adoptent moins souvent un comportement discriminant. En effet, dans la mesure où leurs relations leur ont recommandé les candidat∙es ou parce qu’ils connaissent la qualité de leur travail, les employeurs pourraient être moins influencés par leurs préjugés, que ceux-ci soient conscients ou non. Néanmoins, les personnes les plus discriminées pourraient aussi moins souvent disposer de relations susceptibles de les aider à obtenir un emploi, ce qui pourrait tempérer l’effet favorable de ce canal. Pour des raisons pratiques évidentes, il paraît difficile de construire une opération de testing permettant d’évaluer les discriminations à l’embauche via ce canal qui conduit à l’embauche dans près d’un tiers des cas.

Une autre limite des testings est qu’ils ne considèrent, à de très rares exceptions près, que la première étape du recrutement.

Par ailleurs, près de 30 % des embauches aboutissent grâce aux intermédiaires du marché du travail. Or, la manière dont ces intermédiaires traitent les candidatures selon leur origine supposée n’est généralement pas testée. Il n’est pas évident d’en deviner l’effet sur les comportements discriminatoires des employeurs. Étant plus souvent conscients et formés à la question des discriminations à l’embauche, ces intermédiaires pourraient davantage favoriser des candidatures d’horizons divers et évaluer ces dernières à partir de critères objectifs. Le fait que la présélection des candidatures ait été réalisée par ces intermédiaires plutôt qu’en interne pourrait ainsi limiter l’influence des stéréotypes de l’employeur. Néanmoins, certains intermédiaires tels que les cabinets de recrutement ou les agences d’intérim sont censés répondre aux demandes de leurs clients, ces dernières pouvant parfois s’avérer discriminatoires[6].

Les testings ne mesurent donc généralement l’étendue des discriminations que pour 15 % des recrutements si l’on se limite à ceux aboutissant grâce à la diffusion d’annonces d’offre d’emploi[7]. Il est possible d’y adjoindre les 20 % d’embauches réalisées suite à l’examen de candidatures spontanées. Ce dernier canal de recherche de candidat∙es est peu souvent testé car il implique des opérations de testings plus complexes et coûteuses notamment en raison des faibles taux de réponse global aux candidatures spontanées. Il faut dès lors effectuer un plus grand nombre de tests qu’en cas de réponse à des annonces d’offre d’emploi pour obtenir des résultats statistiquement robustes. Les résultats des quelques testings existants sont, sans surprise, dans la lignée de ceux réalisés en réponse à des annonces d’offres d’emploi.

Nous avons mené en 2023 une étude à partir de l’enquête Offre d’emploi et recrutement (Ofer) 2016 de la Dares sur la manière dont les personnes dont les nom et prénom suggèrent une origine arabo-musulmane sont recrutées en France. Cette étude donne quelques intuitions sur les résultats à attendre d’un élargissement des testings à d’autres canaux, même si elle ne permet pas de mesurer rigoureusement leurs conséquences en matière de discriminations à l’embauche[8]. En effet, nous nous limitons à l’étude des facteurs accroissant ou réduisant les chances d’embaucher une personne dont l’identité suggère une origine arabo-musulmane toutes choses égales par ailleurs, c’est-à-dire à métier, type de poste à pourvoir, caractéristiques de l’entreprise, localisation de l’établissement, caractéristiques du bassin d’emploi, etc. comparables, pour nous rapprocher d’une expérience de type testing. Ainsi, par exemple, lorsque l’employeur recherche des candidat∙es par le biais de ses relations, la probabilité qu’une personne soit effectivement recrutée par ce canal ne sera qu’en partie le reflet de son comportement discriminatoire puisque cette probabilité dépend également de l’accès des candidat∙es potentiel∙les au réseau de l’employeur.

D’après notre étude, à contexte d’embauche similaire, les autres canaux de recrutement ont le même effet que les annonces sur l’embauche des hommes, quelle que soit leur origine supposée. Autrement dit, la probabilité de recruter des candidats supposés d’origine arabo-musulmane ou sans ascendance migratoire est la même si l’employeur utilise un autre canal que les annonces pour recruter. Ce résultat suggère ainsi que l’élargissement des testings à d’autres canaux conduirait probablement à des résultats proches de ceux des testings existants. Il est néanmoins important de noter que des caractéristiques inobservables dans notre étude (aversion au risque des recruteurs, valorisation de certains critères, etc.) pourraient jouer un rôle et modifier nos conclusions[9]. Des travaux complémentaires sont ainsi nécessaires. Dans notre étude, nous constatons également que les annonces semblent être un canal de recrutement un peu plus favorable à l’embauche des femmes d’origine supposée arabo-musulmane que les autres canaux (à l’exception des intermédiaires publics). Du côté des femmes supposées sans ascendance migratoire, seul le recrutement via les relations des employeurs diffère du recrutement par le biais d’annonces, jouant défavorablement sur leur embauche. Compte tenu de ces résultats, dans le cas des candidates, l’extension des testings à d’autres canaux que les annonces pourrait conduire à une mesure des discriminations différente de celle des testings réalisés à ce jour.

Au-delà du fait qu’ils se limitent généralement aux annonces d’offres d’emploi, une autre limite des testings est qu’ils ne considèrent, à de très rares exceptions près, que la première étape du recrutement : la prise de contact en vue d’un entretien d’embauche. Même lorsque l’étape de l’entretien est testée, le résultat repose sur la performance des acteurs et actrices envoyé∙es pour réaliser l’entretien qui reste difficile à apprécier. En effet, contrairement aux candidatures fictives, leurs comportements lors de l’entretien ont peu de chances d’être comparables en tous points à l’exception de leur origine. Les testings ne permettent donc pas de savoir si le ou la candidat∙e sélectionné∙e lors de cette étape aurait été finalement recruté∙e. L’hypothèse selon laquelle les discriminations à l’embauche pourraient être encore plus fortes que celles mesurées par les testings ne peut donc être exclue.

Les économistes résument souvent ces limites en indiquant que les résultats des testings sont limités en termes de « validité externe ». Concrètement, cela signifie que leurs résultats ne sont valables que pour la période, les emplois et le canal testés ; ils ne s’appliquent également qu’à la première étape de sélection des candidatures et non à l’ensemble du processus de recrutement. De ce point de vue, la technique des « écarts inexpliqués » présente un avantage. Bien qu’elle ne permette pas de déterminer quelle part de l’écart inexpliqué s’apparente à des discriminations, cette technique confirme que les difficultés d’accès à l’emploi ne se restreignent a priori pas au champ couvert par les testings. De plus, les écarts inexpliqués sont bien ressentis comme des discriminations par les individus concernés[10]. Ainsi, quelle que soit la méthode retenue, peu de doutes subsistent sur l’existence de discriminations à l’embauche en France envers les personnes portant des nom et prénom d’origine arabo-musulmane.

Ces deux techniques, testings et écarts inexpliqués, présentent une autre limite importante. Elles ne sont généralement pas à même d’identifier empiriquement le contexte de l’embauche (temps disponible pour recruter, nombre de personnes impliquées, caractéristiques et fonction des recruteurs, méthodes de sélection utilisées, etc.), pas plus que les raisons des comportements discriminatoires des recruteurs. Ces connaissances sont pourtant indispensables pour concevoir des dispositifs appropriés pour lutter contre les discriminations. C’est d’ailleurs l’un des principaux intérêts de l’étude que nous avons réalisée même si, comme déjà mentionné, elle ne fournit pas une mesure directe de la discrimination.

Ainsi, le cadre expérimental des testings ne permet généralement pas de disposer d’informations sur les recruteurs, leurs véritables attentes et l’organisation de leurs recrutements. Néanmoins, leurs caractéristiques (sexe, origine), leur fonction (directeur, personnel des ressources humaines, manager, etc.) ainsi que le nombre et le rôle des autres personnes impliquées dans le processus d’embauche pourraient influer sur les comportements discriminatoires dès la première étape de sélection des candidatures. Certaines études[11] mettent en évidence que l’implication du service des ressources humaines dans le recrutement peut réduire les risques de discrimination, ce service étant davantage sensibilisé à ces risques. A contrario, ces risques sont accrus lorsque le futur responsable hiérarchique est impliqué dans le tri des candidatures ou les entretiens.

Quelques rares testings[12] constatent que l’homophilie, c’est-à-dire la tendance à créer plus fréquemment des liens avec des individus qui nous ressemblent, diminue le risque de discrimination à l’embauche si le recruteur présente les mêmes caractéristiques que les candidat∙es discriminé∙es. Notre étude aboutit à la même conclusion, à savoir que, si la ou l’une des personnes en charge du recrutement porte des nom et prénom laissant supposer une origine arabo-musulmane, la probabilité d’être recruté·es des candidat·es de ce groupe augmente. Ce résultat peut s’interpréter de deux manières.

Dans la première interprétation, le recruteur en question a plus d’affinités avec les personnes qui lui ressemblent et/ou a moins de stéréotypes négatifs à leur égard et exprime sa préférence en ce sens. Dans la seconde interprétation, si plusieurs personnes participent au recrutement, les stéréotypes des autres recruteurs peuvent être atténués par le fait qu’ils comptent parmi eux, une personne de même origine supposée que le ou la candidat·e, une explication étayée par d’autres travaux[13]. Les deux interprétations semblent valides pour les hommes dont les nom et prénom suggèrent une origine arabo-musulmane. A contrario, la première semble plus plausible dans le cas des femmes de même origine supposée puisque l’homophilie ne joue un rôle favorable que pour les recrutements n’impliquant qu’une seule personne. Par ailleurs, cette homophilie ne semble pas seulement refléter une plus grande propension des recruteurs d’origine supposée arabo-musulmane à utiliser leurs relations puisque les résultats restent vérifiés même lorsque le canal de recrutement de l’employeur est pris en compte.

Les chances qu’un candidat masculin dont les nom et prénom supposent une origine arabo-musulmane soit retenu sont moindres lorsque le savoir-être est mis en avant par les recruteurs.

Il est probable que la majeure partie des comportements discriminatoires interviennent dès la première étape de sélection analysée par les testings, soit avant la rencontre avec les candidat∙es sélectionné∙es. Qu’advient-il toutefois de ceux/celles qui ont passé cette étape d’examen des CV et lettres de motivation ? En effet, la propension des recruteurs à discriminer pourrait perdurer ou, au contraire, s’atténuer au cours des étapes ultérieures de la sélection. Cette propension est susceptible de varier selon les méthodes utilisées : entretiens individuels ou collectifs, demande de références, tests de connaissances, de langues, mises en situation, etc. Comme dans le cas des canaux, il est possible que certaines méthodes de sélection, en révélant davantage d’information sur les qualités des candidat·es, limitent l’emprise des éventuels stéréotypes des recruteurs. Dans notre étude, nous constatons que les employeurs favorisant les mises en situation, qui permettent d’apprécier directement et in situ les compétences des candidat∙es présélectionné∙es, ainsi que différents types de tests (tests de langue, sur les compétences de base – lire, écrire, compter –, de connaissance, etc.) ont un peu plus de chances de recruter des candidat∙es dont les nom et prénom suggèrent une origine arabo-musulmane. De même, ceux disposant d’informations plus complètes sur les candidat·es, via un grand nombre de pièces demandées (permis de conduire, certificats administratifs, etc.) ont aussi une probabilité plus élevée d’embaucher un homme d’origine supposée arabo-musulmane.

A contrario, les recruteurs utilisant les entretiens individuels, une des méthodes de sélection les plus répandues, ont moins de chances de retenir cette catégorie de candidat. Lors de ces entretiens, ils s’appuient peut-être davantage sur leur ressenti et leurs stéréotypes potentiellement défavorables à ces candidats. Par ailleurs, ce dernier résultat suggère que, s’arrêtant avant l’étape des entretiens, les testings pourraient sous-estimer les discriminations à l’embauche ; néanmoins, les résultats obtenus pour les autres méthodes de sélection (mise en situation et tests) impliquent que les testings pourraient les surestimer.

Enfin, l’un des principaux points faibles des testings est que leur protocole ne permet généralement pas d’identifier clairement les raisons des comportements discriminatoires des employeurs. Or, il est difficile d’envisager des outils efficaces pour lutter contre ces comportements sans connaître leurs motifs. L’idée selon laquelle, derrière les discriminations à l’embauche, se cachaient des comportements conscients et rationnels des employeurs a longtemps prévalu. Ces comportements étaient supposés s’expliquer par leurs « goûts », ceux de leurs clients et/ou de leurs employés et/ou des stratégies visant à limiter les risques de mauvais recrutement. Cependant, de plus en plus de travaux aboutissent à la conclusion que les comportements discriminants résulteraient, pour la plupart, de biais inconscients mesurables grâce à des « tests d’association implicites». Ces tests consistent à associer le plus rapidement possible des mots ou des images entre elles et permettent de mesurer la façon dont chacun est imprégné des stéréotypes positifs ou négatifs étudiés (liés au sexe, à la couleur de peau, à une appartenance ethnique, etc.). Ces biais touchent potentiellement tout le monde puisque toute personne peut être soumise à des informations véhiculant des stéréotypes, d’ailleurs parfois transmises de manière insidieuse et involontaire par n’importe quel individu.

Le contexte du recrutement sur le marché du travail est sans doute propice à la manifestation de ces biais. De nombreux employeurs sont amenés à prendre des décisions dans l’urgence, au milieu d’un ensemble de tâches, dans des situations de rationalité relativement limitée. La répétition des tâches pour les recruteurs professionnels comme la fréquence et la récurrence des embauches pour certains managers peut également jouer. Un travail mené en 2014 par l’association IMS Entreprendre pour la cité met en avant que les stéréotypes professionnels associés aux hommes d’origine maghrébine parmi les managers sont souvent négatifs, l’un d’entre eux étant des savoirs-être ne correspondant pas aux attentes. Notre étude confirme que les chances qu’un candidat masculin dont les nom et prénom supposent une origine arabo-musulmane soit retenu sont moindres lorsque le savoir-être est mis en avant par les recruteurs, de même que la capacité à évoluer dans l’entreprise. Dans l’étude d’IMS-Entreprendre pour la cité, les managers évoquent également parmi les stéréotypes professionnels positifs associés aux femmes maghrébines, leur courage et leur côté travailleur. Les résultats de notre étude vont dans le même sens que ceux de ce travail qualitatif puisque les recruteurs privilégiant le courage, le sérieux, la rigueur, la ponctualité et la réactivité des candidat∙es ont davantage de chances d’embaucher une femme dont l’identité laisse supposer une origine arabo-musulmane.

Dorénavant, les testings devraient plus systématiquement être prolongés par des enquêtes de terrain afin d’évaluer quelle part des discriminations observées relève de comportements conscients tels que les « goûts » des employeurs, des salariés ou de leurs clients et quelle part est attribuable à des biais « inconscients ». Les rares testings qui ont fait passer des tests d’association implicite aux recruteurs dont les offres faisaient l’objet du testing suggèrent que le lien entre les résultats à ces tests et les discriminations à l’embauche envers les candidat∙es portant un nom et prénom d’origine arabo-musulmane est important[14].

Au-delà de cet aspect, les études de terrain auprès des recruteurs testés doivent également permettre de mieux comprendre les contextes limitant ou favorisant ces discriminations (temps disponible pour recruter, méthodes de sélection utilisées, critères de sélection déterminants, nombre de personnes impliquées dans le recrutement, etc.). Une simple mesure des discriminations par des moyennes ne suffit plus, même si elle doit se poursuivre et être améliorée. L’urgence est à une meilleure compréhension du phénomène. Sans cela, il paraît difficile de concevoir des dispositifs adaptés pour l’endiguer. Si, depuis une vingtaine d’année, les méthodes utilisées pour évaluer les discriminations se sont perfectionnées, leur mesure reste partielle et aucun dispositif n’a fait ses preuves pour lutter efficacement contre.


[1] Dares-Mar, IPP et ISM Corum (2021), « Discrimination à l’embauche des personnes d’origine supposée maghrébine : quels enseignements d’une grande étude par testing», Dares Analyses, n° 67.

[2] M.A. Valfort (2015), Discriminations religieuses à l’embauche : une réalité, Institut Montaigne.

[3] « Emploi : afin de lutter contre les discriminations à l’embauche, Marc Ferracci (Renaissance) souhaite “généraliser“ la pratique du “testing” », Francetvinfo.fr, juin 2023.

[4] B. Boutchenik et J. Lê (2017), « Les descendants d’immigrés maghrébins : des difficultés d’accès à l’emploi et aux salaires les plus élevés », Insee Références, édition 2017, Dossier Emploi, chômage, revenus du travail.

[5] D. Meurs (2018), « Employment and Wages of Immigrants and Descendants of Immigrants: Measures of Inequality and Perceived Discrimination | SpringerLink », in Trajectories and Origins: Survey on the Diversity of the French Population, INED Population Studies book series (INPS, volume 8).

[6] A. Coulon, D. Prud’homme et P. Simon (2018), Le racisme et la discrimination raciale au travail, AFMD.

[7] En effet, même si les recruteurs recourent aux annonces dans 45 % de leurs recrutements, ils ne recrutent effectivement via ce canal que dans un tiers des cas. Ainsi, sur ce champ, d’autres comportements discriminatoires que ceux mesurés par les testings peuvent être à l’œuvre puis l’embauche résulte d’autres canaux dans deux-tiers des cas.

[8] V. Rémy et E. Valat (2023), « Au-delà des discriminations mesurées par les testings, comment sont recrutées
les personnes dont les nom et prénom suggèrent une origine arabo-musulmane ?
 », Dares analyses, n° 268.

[9] Par exemple, tel serait le cas si les employeurs exigeant davantage d’informations étaient également plus méfiants et donc davantage susceptibles de discriminer sur des critères tels que l’origine supposée. Dans ce cas, les résultats présentés sous-estimeraient l’effet positif des informations supplémentaires apportées, par exemple, par les relations, sur l’embauche des candidat·es d’origine supposée arabo-musulmane.

[10] Cf. note 4.

[11] Voir C. Berson, M. Laounan et E. Valat (2020), Outsourcing recruitment as a solution to prevent discrimination: A correspondence study – ScienceDirect ; Y. Fondeur (2014), « La “professionnalisation du recrutement” au prisme des dispositifs de sélection », Revue Française de Socio-Économie, vol. 14, n° 2, p. 135-153.

[12] Voir par exemple, A. Edo, N. Jacquemet, et C. Yannelis, (2019), « Language skills and homophilous hiring discrimination: Evidence from gender and racially differentiated applications », Rev Econ Household 17, 349–376.

[13] M. Brauer et A. Er-rafiy (2011), « Increasing perceived variability reduces prejudice and discrimination », Journal of Experimental Social Psychology, 47(5):871-881 ; « Les stéréotypes sur les origines, comprendre et agir dans l’entreprise. Guide pratique. », IMS-Entreprendre pour la cité en partenariat avec l’UE (2014).

Véronique Rémy

Économiste, Chargée d’études à la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) du ministère du Travail

Emmanuel Valat

Économiste, Maître de conférence à l’Université Gustave Eiffel, membre du laboratoire ERUDITE et conseiller scientifique à la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) du Ministère du Travail

Notes

[1] Dares-Mar, IPP et ISM Corum (2021), « Discrimination à l’embauche des personnes d’origine supposée maghrébine : quels enseignements d’une grande étude par testing», Dares Analyses, n° 67.

[2] M.A. Valfort (2015), Discriminations religieuses à l’embauche : une réalité, Institut Montaigne.

[3] « Emploi : afin de lutter contre les discriminations à l’embauche, Marc Ferracci (Renaissance) souhaite “généraliser“ la pratique du “testing” », Francetvinfo.fr, juin 2023.

[4] B. Boutchenik et J. Lê (2017), « Les descendants d’immigrés maghrébins : des difficultés d’accès à l’emploi et aux salaires les plus élevés », Insee Références, édition 2017, Dossier Emploi, chômage, revenus du travail.

[5] D. Meurs (2018), « Employment and Wages of Immigrants and Descendants of Immigrants: Measures of Inequality and Perceived Discrimination | SpringerLink », in Trajectories and Origins: Survey on the Diversity of the French Population, INED Population Studies book series (INPS, volume 8).

[6] A. Coulon, D. Prud’homme et P. Simon (2018), Le racisme et la discrimination raciale au travail, AFMD.

[7] En effet, même si les recruteurs recourent aux annonces dans 45 % de leurs recrutements, ils ne recrutent effectivement via ce canal que dans un tiers des cas. Ainsi, sur ce champ, d’autres comportements discriminatoires que ceux mesurés par les testings peuvent être à l’œuvre puis l’embauche résulte d’autres canaux dans deux-tiers des cas.

[8] V. Rémy et E. Valat (2023), « Au-delà des discriminations mesurées par les testings, comment sont recrutées
les personnes dont les nom et prénom suggèrent une origine arabo-musulmane ?
 », Dares analyses, n° 268.

[9] Par exemple, tel serait le cas si les employeurs exigeant davantage d’informations étaient également plus méfiants et donc davantage susceptibles de discriminer sur des critères tels que l’origine supposée. Dans ce cas, les résultats présentés sous-estimeraient l’effet positif des informations supplémentaires apportées, par exemple, par les relations, sur l’embauche des candidat·es d’origine supposée arabo-musulmane.

[10] Cf. note 4.

[11] Voir C. Berson, M. Laounan et E. Valat (2020), Outsourcing recruitment as a solution to prevent discrimination: A correspondence study – ScienceDirect ; Y. Fondeur (2014), « La “professionnalisation du recrutement” au prisme des dispositifs de sélection », Revue Française de Socio-Économie, vol. 14, n° 2, p. 135-153.

[12] Voir par exemple, A. Edo, N. Jacquemet, et C. Yannelis, (2019), « Language skills and homophilous hiring discrimination: Evidence from gender and racially differentiated applications », Rev Econ Household 17, 349–376.

[13] M. Brauer et A. Er-rafiy (2011), « Increasing perceived variability reduces prejudice and discrimination », Journal of Experimental Social Psychology, 47(5):871-881 ; « Les stéréotypes sur les origines, comprendre et agir dans l’entreprise. Guide pratique. », IMS-Entreprendre pour la cité en partenariat avec l’UE (2014).