Savoirs

La rédemption d’une photo : sur le rapport entre les images et les mots

Historien

Publiée dans AOC en mai, la remarquable enquête de l’historien de la photographie Guillaume Blanc-Marianne nous apparaissait avoir mis un terme à la controverse qui oppose, toujours dans nos colonnes, Georges Didi-Huberman et Enzo Traverso au sujet d’une photographie de Gilles Caron prise en août 1969 à Derry, en Irlande du nord, lors de la Bataille du Bogside, et présentée dans l’exposition « Soulèvements ». L’historien Enzo Traverso a toutefois tenu à lui répondre ; ce que fera donc également prochainement Georges Didi-Huberman.

Cher Guillaume Blanc-Marianne,

La longue « coda » que vous avez consacrée à la correspondance qui m’avait opposé l’année dernière à Georges Didi-Huberman dans les pages de AOC sollicite une réponse. Vos élucidations et la profondeur de vos analyses appellent à une poursuite de la discussion, mais je tiens d’abord à rendre hommage à votre travail d’enquête, qui a permis de percer le mystère de l’image à l’origine de cette controverse. Il s’agit, pour les lecteurs qui n’auraient pas pris connaissance de ces textes, d’une photo de Gilles Caron intitulée « Manifestations anticatholiques à Londonderry 1969 », incluse en 2016 dans l’exposition du Jeu de Paume intitulée Soulèvements, sous la direction de Georges Didi-Huberman. On y voit deux jeunes gens qui, tournant le dos à la caméra, sont en train de lancer des pierres.

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Votre exploration minutieuse des archives de la Fondation Gilles Caron, où sont conservées d’autres photos prises au même moment, indique qu’il s’agit bien de deux manifestants catholiques. Le tatouage que l’un d’entre eux exhibe fièrement ne laisse pas de doute quant à son identité de catholique républicain. Cette lecture des images est corroborée par la reconstitution des événements d’août 1969 à Derry, aujourd’hui connus comme « la bataille du Bogside », proposée par les historiens Simon Prince et Geoffrey Warner[1]. Ce travail remarquable de contextualisation historique et de « dévoilement » prouve la fécondité d’une approche qui consiste à « élever le doute au rang de méthode » et à ne pas faire confiance aux légendes qui accompagnent les images, en orientent la réception et, souvent, en scellent la postérité[2]. Votre étude est un exemple éloquent du « paradigme de l’indice » qui, en partant d’un détail, remonte la chaîne des signifiants qui permettent d’authentifier dans ce cas non pas l’auteur, déjà connu, mais le sujet de sa photographie. Nous pouvons sourire de Giovanni Morelli et de son « positivisme grossier[3] », mais Peter Burke a raison de souligner, dans le sillage de Carlo Ginzburg, que sa méthode « a des implications importantes pour les historiens[4] ».

Comme tous les visiteurs de Soulèvements et les lecteurs de son catalogue, j’ai donc été piégé par une légende trompeuse. Gilles Caron, vous expliquez, n’était que le dernier « maillon d’une longue chaîne » au bout de laquelle son image ne lui appartenait plus ; il en avait perdu le contrôle, comme c’est souvent le cas avec le « photoreportage d’auteur ». Nous ne savons pas comment ce titre trompeur a été posé sur cette image ; peut-être, vous écrivez, Gilles Caron lui-même s’est trompé ; reste que nous avons été abusés par ce « pouvoir de légiférer », comme vous le définissez en suivant Susan Sontag, qu’une légende s’arroge à l’égard des images qu’elle présente[5]. Vous avez raison d’écrire qu’elle « ouvre grand la porte à toute sorte de fraudes, corruptions et trahisons » et qu’il faut la manier avec les plus grandes précautions. Il n’en découle pas cependant que pour comprendre une image il faudrait l’interpréter systématiquement à l’opposé de sa légende.

Si votre observation incite au doute, elle ne prescrit pas pour autant une lecture des légendes qui en postulerait le caractère inéluctablement mensonger. Ma méprise partait de la même préoccupation, car ma position ne consistait pas à croire aveuglément en l’exactitude d’une légende ; elle consistait plutôt à exprimer un doute sur la possibilité d’interpréter une image, sans aucune explication, tout simplement à notre convenance, dans un sens complètement opposé à sa légende. Ce doute me paraît fécond et nécessaire dans les deux sens : peut-être la légende qui accompagne une image est fausse, mais si nous ne sommes pas en mesure de prouver son inexactitude, et surtout si nous l’acceptons comme vraie, en l’apposant à côté d’une image sans commentaire, nous ne pouvons pas faire dire à cette image le contraire de ce qu’affirme sa légende.

Vous écrivez que « tout rapprochement entre un texte et une image recèle en effet la possibilité d’une lutte[6] ». Vous avez raison. La dialectique qui les unit ne devrait pas fixer des hiérarchies mais favoriser leur éclairage réciproque. Une légende est conçue pour aider à situer, penser et comprendre une image, tout en sachant que, comme vous le soulignez à juste titre, les images ont leur propre autonomie et s’inscrivent dans un territoire « qui échappe à l’emprise du langage[7] ». Le travail admirable que vous avez effectué émancipe la photo de Gilles Caron de sa légende trompeuse, mais ne l’installe pas dans une métaphysique des images affranchie de tout ancrage historique. Au contraire, votre travail réclame une correction de la légende, c’est-à-dire la construction d’une dialectique fructueuse entre le texte et l’image, la seule manière de ne pas rendre stérile leur « lutte ».

Je crois donc, même si ce rapprochement risque de vous déplaire, que votre enquête illustre admirablement la démarche iconographique de Panofsky. Les mots par lesquels Kracauer rendait hommage à sa méthode décrivent très bien le dispositif analytique que vous avez mis en œuvre pour interpréter la photo de Caron : « C’est, écrit Kracauer, comme si la gravure était une forteresse presque imprenable que vous encerclez de tous les côtés, puis assiégez avec ardeur, jusqu’à ce qu’elle cède aux vagues constamment renouvelées de vos interprétations et lève son drapeau blanc. […] Seul un tel siège permet d’accéder à l’intériorité de l’image[8]… » C’est à la suite d’un tel siège que la légende trompeuse est tombée.

Or, votre démonstration s’accompagne d’une réflexion critique stimulante dans laquelle il me semble percevoir les signes d’une incertitude, tout au moins d’une hésitation. D’abord, vous suggérez d’ignorer les légendes, si souvent mensongères, afin d’accéder à ce territoire des images « qui échappe à l’emprise du langage » et qui consiste à saisir leur « présence visuelle » au-delà des mots, grâce à une « réflexion silencieuse ». Vous rejoignez ainsi l’approche choisie par Georges Didi-Huberman dans son exposition, orientée vers l’élaboration d’une « histoire sensible » peu soucieuse, voire indifférente à l’historicité sociale, politique et culturelle des images.

Puis, en conclusion de la seconde partie de votre texte, vous ajoutez que le projet d’une exposition comme Soulèvements, visant une « recontextualisation iconologique » des pièces présentées, impliquait aussi leur « décontextualisation historique », selon un procédé qui, vous admettez, a pu susciter bien des malentendus. Votre argumentation surgit en effet d’une enquête sur « l’intégralité du reportage réalisé par Gilles Caron en Irlande du Nord en 1969 », une documentation indispensable sans laquelle, vous écrivez, « il [vous] aurait été impossible de [vous] prononcer » sur la nature de cette photo controversée. Il s’agit bien, vous en conviendrez, d’un travail iconographique de « contextualisation historique[9] ». Vos conclusions plaident ainsi pour une réhabilitation du langage. C’est finalement le texte qui apporte la « rédemption » de l’image, grâce au mot « Irlande » tatoué sur le bras du lanceur de pierres : « C’est donc dans le langage, écrivez-vous, que la photographie a trouvé sa perte comme son rachat[10]. » Cela revient à reconnaître que la dialectique reliant le texte à l’image n’est pas forcément négative. Autrement dit, nous ne pouvons pas ignorer la légende d’une image.

Une « histoire sensible », j’ajouterais pour ma part en m’appuyant sur vos conclusions, présente un grand intérêt si, au lieu d’isoler les « formes de pathos » dont sont faites nos vies et nos actions collectives, elle les inscrit dans leur temps et dans des lieux concrets, car nos passions et nos gestes ne sont jamais neutres ; ils sont des passions et des gestes politiques dans lesquels nos idées, nos espoirs, nos symboles et nos positions (notre manière de nous situer dans un espace conflictuel) ne sont pas interchangeables. Ces « formes de pathos », selon la formule de Warburg si chère à Georges Didi-Huberman, ne sont pas librement flottantes dans l’éther mais surgissent de quelque part. Là réside sans doute le nexus qui unit l’esthétique et le politique, sur lequel je reviendrai plus loin. Il me semble que cette contextualisation historique était totalement absente dans Soulèvements et cette image à la légende trompeuse en était une expression emblématique.

Cette critique, je tiens à vous rassurer, ne visait pas à remettre en cause l’ensemble de l’œuvre de Georges Didi-Huberman. Ma correspondance avec lui dans les pages d’AOC a révélé des divergences plus profondes que je n’imaginais, mais cela n’enlève rien à la qualité et à la valeur de ses travaux, que je n’ai jamais eu l’intention de contester. Je n’ai d’ailleurs aucune autorité pour le faire. Nos divergences, dont il a souhaité lui-même débattre, portent sur l’usage politique des images et sur leur place dans l’histoire culturelle.

Dans l’exposition et dans son catalogue, la photo de Gilles Caron représente une « manifestation anticatholique ». Dans mon échange avec Georges Didi-Huberman, il affirmait en revanche qu’elle montrait des catholiques et je répliquais que rien ne le prouvait. Les éclairages que vous apportez sur cette image controversée rendent nécessaire une mise au point de ma part. Il ne fait pas de doute, maintenant, que cette photo a toute sa place dans une exposition consacrée à une interrogation sur « ce quoi nous soulève » et à l’exploration des formes de la révolte. Elle y a sa place maintenant, après votre enquête, et avec une légende corrigée et expliquée. Je continue de penser qu’elle n’y avait pas sa place en 2016, lorsqu’elle fut incluse dans l’exposition avec une légende la présentant comme une « manifestation anticatholique » à Derry, en août 1969. Cette légende trompeuse tient sans doute à la faute des archivistes d’une agence de presse, peut-être aussi à la mégarde de Caron lui-même, selon une hypothèse que vous contemplez, mais elle a été utilisée, sans la moindre précaution, dans cette exposition, jusqu’à devenir la couverture de son catalogue.

Il y a une éthique des images qui demande à être respectée et aucune « histoire sensible » ne nous autorise à la transgresser.

C’est pourquoi l’ambiguïté de Soulèvements me semble confirmée par votre enquête. Si la photo a été incluse dans l’exposition en pensant, comme le suggère sa légende, qu’elle montrait des manifestants « anticatholiques », c’est toute la conception de l’entreprise qui pose un problème, car cela reviendrait à faire de Soulèvements un répertoire de Pathosformeln dans lequel la beauté du geste prime sur sa nature politique et son historicité apparaît insignifiante. Les images de Soulèvements seraient donc des pures « icônes », des « Fragonards » – je connaissais le peintre rococo, pas le concept qui lui est attaché – dans lesquels « les seules qualités formelles de l’image deviennent un critère justifiant sa publication[11] ». Devant un « Fragonard », la différence qui distingue un manifestant catholique d’un protestant en Irlande du Nord, en août 1969, s’estompe. J’évoquais une esthétique « dépolitisée », je ne connaissais pas cette définition technique sans doute plus appropriée pour la critique d’art, qui n’est pas mon domaine.

Si en revanche Georges Didi-Huberman était convaincu que la photo présentait des manifestants catholiques, comme il prétend dans ses lettres publiées par AOC (à la différence de ce qu’il affirmait lors de l’exposition), d’autres questions se posent. Pourquoi ne pas avoir mis en garde les visiteurs et les lecteurs du catalogue, avec une note mentionnant le caractère peu fiable de la légende, ou tout au moins ses doutes à ce sujet ? Dans ce cas, nous serions confrontés à quelque chose de pire qu’un « Fragonard », car si nous colportons consciemment une légende mensongère nous devenons complices de sa tromperie. Nous ne trompons pas seulement les visiteurs de l’exposition et les lecteurs du catalogue, inutilement déroutés et pris dans le piège du malentendu. Nous trahissons l’intention et l’esprit de l’auteur de l’image qui, comme vous le montrez, avait pris d’autres photos de ces manifestants catholiques et qui, selon ses propres mots que vous citez, était « très emballé par [leur] énergie et [leur] allant ».

Nous faisons preuve enfin d’un évident manque de respect, voire de mépris, à l’égard des manifestants eux-mêmes, car en les présentant comme « anticatholiques » nous trahissons aussi bien leur identité que la mémoire du passé dont ils ont été les acteurs : être du côté catholique ou protestant, c’est-à-dire républicain ou unioniste, lors de la « bataille du Bogside » de 1969 n’est pas aussi anodin qu’être catholique ou protestant dans la France de 2023, où la foi (ou l’incroyance) des manifestants qui font face à la police militarisée du ministre Darmanin n’a strictement aucune importance. J’ai participé, comme vous, Guillaume Blanc-Marianne, et, je suppose, comme Georges Didi-Huberman, à nombre de manifestations. Je n’aimerais pas me reconnaître dans une photo des cortèges des années 1970 avec une légende trompeuse indiquant « manifestation néofasciste, Milan, 1976 », ni imaginer que je pourrais, dans cinquante ans, apparaître dans la photo d’une exposition légendée « manifestation antimusulmane, Paris, 2012 ». Certes, mon allant ne m’a jamais prédisposé à être immortalisé par le « Fragonard » d’une agence de presse, mais il y a une éthique des images qui demande à être respectée et aucune « histoire sensible » ne nous autorise à la transgresser, même si dans cinquante ans ni moi ni la plupart des manifestants apparaissant aujourd’hui dans une photo de manifestation ne serions identifiés.

Vous avez raison, Guillaume Blanc-Marianne, de souligner les malentendus liés à l’expression « esthétisation de la politique ». J’ai déjà précisé, dans une de mes réponses à Georges Didi-Huberman, que je ne l’utilisais pas dans le sens de Walter Benjamin, pour lequel il s’agissait d’un des traits distinctifs du fascisme. Je me suis excusé pour l’équivoque que mes mots auraient pu induire, car le soupçon de sa complicité avec le fascisme ne m’a jamais effleuré. Cela étant dit, il faut ajouter que le rapport entre l’esthétique et la politique va bien au-delà du fascisme et que Walter Benjamin n’est pas le premier à l’avoir étudié. Peut-être la formule « esthétique dépolitisée » est aussi source de méprise car, comme vous le dites, la distinction entre esthétique et politique a été remise en cause depuis longtemps, bien avant les essais de Jacques Rancière et Ariella Azoulay que vous mentionnez[12].

Ce fut la Révolution française, selon George L. Mosse, à avoir réinventé cette relation dans la modernité en déployant des liturgies séculières dans lesquelles le politique prenait une forme esthétique, notamment dans ce qu’on pourrait qualifier de « formes de pathos » collectives[13]. Le cortège et la manifestation de rue, ainsi que l’affrontement des manifestants avec la police, sont des lieux privilégiés de cette esthétique de la politique – sa part sensible – dont la France de ces derniers mois a été un laboratoire intéressant et un théâtre très riche. La dimension esthétique de ces pratiques (il suffit de penser à l’inventivité des banderoles et des slogans, à la géométrie des cortèges, à la symbolique des couleurs, au jeu de la dispersion et de l’attaque) me semble évidente et, je l’avoue, réjouissante. C’est bien de cela que nous parle la photo de Gilles Caron, davantage que de la politique de l’art, pour reprendre la typologie de Rancière.

Or, je ne vois rien d’« infâme » dans cette esthétisation de la politique ; j’y vois plutôt un signe puissant de la créativité d’une action collective qui libère ses sujets. La communauté qui en surgit prend une forme, qui est instable et éphémère – la durée d’une manifestation – mais qui se situe aux antipodes de l’« esthétisation de la politique » pratiquée par le fascisme, dont le but, indiquait Kracauer, ne consistait pas à faire des masses des sujets agissants mais à les transformer en figures ornementales[14], comparses et spectateurs à la fois de la mise en scène du mythe aryen d’une Allemagne éternelle, fusion du Volk, de l’art classique et de la technologie moderne[15]. Parler d’esthétisation ne relève pas toujours de l’« accusation calomnieuse ». Si je mentionnais, au sujet de la photo de Caron, une esthétique dépolitisée, ce n’était certes pas afin de « condamner » l’image mais plutôt d’en critiquer l’usage, qui consistait à sauver sa forme esthétique tout en faisant fi de son contenu politique.

Je ne suis d’ailleurs pas le seul à avoir saisi cette tendance dans Soulèvements. Tout en reconnaissant que cette exposition possédait une dimension politique indéniable, Sabine Bouckaert se demandait si elle ne prenait pas « le parti de l’esthétisation du politique plutôt que celui d’une politique de l’art[16] ». Émettre une telle réserve critique n’a strictement rien à voir avec le fascisme. Philippe Artières, historien très attentif aux formes des luttes sociales, ne dit pas autre chose dans sa critique de l’exposition, qui procédait à ses yeux par une sorte de réductionnisme esthétique dont le résultat était une « neutralisation de l’histoire ». Le moment dans lequel, lors d’un soulèvement, les dominés deviennent des sujets historiques, était ramené dans Soulèvements à sa pure dimension esthétique : « La barricade devient une installation artistique, le fusillé, un performer, le manifestant, un danseur et les archives policières ou médicales, des œuvres. Il n’y a plus d’histoire, il n’y a plus d’acteurs de l’histoire, plus de collectifs, juste des figures, des formes, des tableaux[17]. » Je partage cet avis.

La référence que vous faites à Carl Schmitt, pour lequel la « dépolitisation » du monde moderne est le fait d’un processus de sécularisation qui érige la technique en nouvelle foi et lui assigne la solution des tâches autrefois réservées à la politique[18], ne me semble pas appropriée. Schmitt n’est certes pas le seul penseur politique à avoir utilisé ce concept. L’histoire de la modernité est faite d’alternances entre des périodes d’intense politisation de l’art et de la culture et des longues phases de dépolitisation. En Italie, cette tendance était devenue dominante pendant les années 1980 (Pasolini l’avait annoncé peu avant sa mort[19]). Elle a pris le nom de « reflux » (riflusso), par opposition aux passions politiques de la décennie antérieure, et ce mot est ensuite entré dans le dictionnaire Treccani avec cette signification.

Mais on pourrait donner bien d’autres exemple. C’est une scission entre la théorie et la praxis et un repli dans une sphère esthétique indifférente au combat politique qui caractérise la trajectoire de l’école de Francfort et d’Adorno en particulier. Walter Benjamin critiquait cette tendance à la conclusion de son essai sur « L’auteur comme producteur » (raison pour laquelle il ne l’envoya pas à ses amis) et fit les frais de ce choix quelques années plus tard, lorsque son essai sur Baudelaire et Paris fut censuré par Adorno[20]. À la fin des années 1960, Herbert Marcuse critiqua ouvertement la dépolitisation de l’Institut de recherche sociale à l’époque réinstallé en Allemagne[21]. Dès 1933, Georg Lukács avait consacré à l’École de Francfort une étude intitulée ironiquement « Grand Hôtel Abîme » (Grand Hotel Abgrund). Cet établissement luxueux et confortable était situé au bord du gouffre, écrivait-il, mais ses locataires se plaisaient à élaborer des théories aussi audacieuses et séduisantes que politiquement stériles[22].

Je ne pense pas que Soulèvements, encore moins l’ensemble de l’œuvre de Georges Didi-Huberman, mérite un jugement si sévère. Je cite ces exemples simplement pour rappeler qu’il y a plusieurs formes de repli esthétique aboutissant à la dépolitisation de la culture qui vont bien au-delà de l’esthétisation de la politique pratiquée par le fascisme. Ma critique de Soulèvements, formulée en termes très respectueux et amicaux dans une ligne de mon livre intitulé Révolutions[23], ne visait certes pas à lancer des anathèmes ou des accusations infamantes.

Prenant la défense de cette exposition, vous plaidez, Guillaume Blanc-Marianne, pour une « maïeutique visible » qui propose au spectateur de « voir pour savoir » au lieu d’une didactique qui prétend de lui dire « quoi et comment regarder, et quoi penser[24] » (bref, une didactique bonne pour les « analphabètes des images », selon l’élégante expression que Georges Didi-Huberman emprunte à Brecht pour me qualifier). Cette « maïeutique visible » me semble discutable. Elle serait encore défendable si les images de l’exposition étaient présentées sans aucune légende, laissant ainsi le spectateur libre de les interroger et de les interpréter à sa guise. Or, la légende de cette photo nous dit ce que nous sommes en train de regarder (une « manifestation anticatholique » à Derry en août 1969) et nous suggère aussi comment la regarder (une expression de « ce qui nous soulève », un énoncé visuel de nos « désirs d’émancipation »[25], selon les mots du catalogue). Par cette légende, hélas, le « quoi » et le « comment » se heurtent violemment.

L’image inscrit le geste des lanceurs de pierre dans une mémoire iconique de la révolte qui fait partie de notre inconscient, d’une archive visuelle héritée et implicitement assumée qui assigne à ce geste une connotation morale et politique « de gauche » – s’insurger contre l’injustice – dont nous pourrions aisément trouver d’innombrables équivalents. C’est précisément parce que ce geste est un lieu de mémoire visuel de la gauche que cette légende rend incompréhensible et déroutant l’« acte iconique »[26] de la photo. La légende, nous dit Roland Barthes, est un « message linguistique » qui permet au spectateur de « fixer la chaîne flottante des signifiés » d’une image en lui donnant un ancrage[27]. Elle, ajoutait Barthes, remplit aussi une fonction « répressive » qui, en tranchant sur la polysémie des images et sur le décodage spontané de notre mémoire iconique, répond à la question : « qu’est-ce que c’est ?[28] » Dans le cas de notre photo, cette réponse ne nous autorise pas, contrairement à ce que suggère Georges Didi-Huberman, à simplement ignorer le « tableau historique » de la révolte.

Votre enquête, Guillaume Blanc-Marianne, donne à réfléchir sur le caractère polysémique d’une légende. Dans la langue française, nous explique le Petit Robert, ce mot d’origine latine signifie à la fois un récit « plus ou moins fabuleux » (ce qui en fait un synonyme de conte, fable, ou mythe) et « une inscription qui accompagne une image et lui donne un sens ». Or, dans la plupart des langues occidentales, cette double signification tend à disparaître : le mot demeure d’usage courant pour définir un récit mythique (legend, Legende, leggenda, leyenda) mais il est presque toujours remplacé par des termes plus précis afin de désigner la légende des œuvres montrées dans une exposition ou dans un musée (caption, Bildunterschrift, didascalia, leyenda persiste en espagnol à côté de pie). Cette indistinction sémantique n’est peut-être pas étrangère aux querelles interprétatives qui s’attachent à la présentation d’une photo.

La signification d’une image ne se réduit pas à sa légende, j’en conviens, mais cette dernière peut l’occulter ou la mystifier. Présenter une photo prise lors d’une révolte en lui superposant une légende qui en dénature le sens revient à la tuer. « Sous la photographie d’un être humain, son histoire se trouve enfouie comme sous un manteau de neige », écrit Kracauer[29]. Le travail de l’historien consiste précisément à la délivrer de cette couche qui, avec le temps, devient épaisse et risque de l’étouffer. Kracauer observait que, contrairement au lieu commun qui consiste à la considérer comme une restitution exacte de la réalité capable de défier le temps, la photographie s’attache surtout à la tuer. C’est en donnant l’exemple des journaux illustrés qu’il nous met en garde contre l’illusion d’une éternisation du réel : le présent photographié « semble être arraché à la mort ; en réalité, il lui est livré[30] ».

Le texte qui accompagne une image devrait permettre de préserver au moins une toute petite parcelle de sa vérité. Mais cette virtualité de la photographie comme forme d’art et, en même temps, moyen de connaissance se heurte parfois aux contraintes de l’industrie culturelle qui se fixe d’autres buts. Vous attirez l’attention sur cette fonction détournée dans la société marchande lorsque vous expliquez la méthode de travail de Caron. Bien reconnaissables dans certaines photos, les policiers auxquels s’affrontent les manifestants catholiques de Derry deviennent, dans celle qui fait l’objet de nos débats, des silhouettes indiscernables. Le flou de cette image, qui devient, comme vous écrivez, un véritable « obstacle cognitif », n’est pas la conséquence d’une contrainte technique mais un choix du photographe, « un dégagement escompté du visible en attente du dicible[31] ».

Ce choix, vous l’expliquez, tient à une exigence professionnelle, car il met en œuvre « une capacité d’anticipation sur les attentes et les pratiques de la presse[32] ». La décontextualisation de l’image est en quelque sorte programmée. L’emphase placée par cette photo sur le geste des deux jeunes qui lancent des pierres, devons-nous en conclure, relève d’un parti pris iconologique – saisir une « forme de pathos » – qui découle d’une contrainte professionnelle à laquelle sont soumis les photographes qui travaillent pour une agence de presse. Une contrainte qui est aussi une forme d’aliénation, puisqu’ils ne contrôlent pas les résultats de leur travail.

C’est sans doute pour cette raison que, en s’interrogeant sur l’« auteur comme producteur », à savoir sur son rôle non pas à l’égard mais à l’intérieur des rapports de production, que Walter Benjamin soulignait la nécessité de surmonter « la barrière entre écriture et image ». « Ce que nous avons à demander au photographe, écrivait-il, c’est qu’il soit capable de donner à sa prise de vue cette légende [Beschriftung] qui l’arrache à l’usure de la mode et lui confère sa valeur d’usage révolutionnaire[33] ». Cela n’a rien à voir, je vous assure, avec l’idée naïve selon laquelle « les artistes seraient ou pourraient être les moteurs de la révolution[34] », une illusion que je n’ai jamais eue et qui n’est certes pas à l’origine de mes critiques à l’exposition de Georges Didi-Huberman. Je pense, à vrai dire, que ni Benjamin ni les artistes de son époque n’ont jamais nourri de telles illusions. Ils pensaient plutôt à un art capable de participer à un mouvement émancipateur dont ils étaient des instigateurs mais certes pas les principaux acteurs. C’est le sens du célèbre manifeste rédigé en 1938 par Léon Trotski, André Breton et Diego Rivera que je citais dans une de mes lettres en réponse à Georges Didi-Huberman, dont les allusions au surréalisme et à l’art soviétiques des années 1920 ne me semblaient pas très pertinentes. La photographie de Gilles Caron n’appartient pas à cette tradition esthétique. Son engagement, dont son œuvre témoigne et auquel vous rendez hommage, Guillaume Blanc-Marianne, est d’une autre nature.

Une photographie possède une valeur de document, de trace, de mémoire qui dépasse les intentions du photographe. Cela ne s’affiche pas toujours directement, naturellement, mais demande parfois un travail de décryptage ou de reconstitution. C’est ce travail iconographique qui permet d’arracher une image à l’injustice d’un statut de « présence visuelle » indéchiffrable ou, pourrait-on dire avec les mots de Kracauer, de « réalité fantomatique non délivrée [unerlöst][35] », afin de lui restituer sa place dans une « histoire sensible » de la révolte. La photo de Caron s’inscrit dans notre mémoire visuelle des luttes, mais en tant qu’image elle n’offre qu’une apparence, elle ne raconte rien et ne dévoile pas sa signification. Cette dernière tient aux fonctions cognitives qui façonnent notre regard et qui se condensent dans sa légende. C’est cette articulation entre apparence et signification qui, selon John Berger, fonde la dialectique de l’image et du texte[36].

Vous écrivez, Guillaume Blanc-Marianne, que rarement la photographie de presse relève du « document », car elle prend forme comme « un magma maniériste où se rencontrent toutes sortes de marques de subjectivité » : la légende n’est que la dernière touche, apposée par un rédacteur, à cette longue chaîne qui, après le photographe, passe aussi par le retoucheur et le maquettiste. Le résultat final peut ainsi s’éloigner de l’image de départ et se charger de signifiants qui ne coïncident pas forcément – ou qui parfois contredisent – les intentions originelles de l’auteur. Cela est vrai, mais permettez-moi de douter des conclusions que vous en tirez. Je pense pour ma part que les photos de presse sont aussi des « documents » (ne serait-ce que des preuves documentaires de la réification marchande, à savoir du traitement des images par l’industrie culturelle). Elles demeurent, comme toutes les photos, des « reliques du passé, des traces de ce qui est advenu[37] ».

Je tiens la notion de vérité historique comme un garde-fou indispensable sans lequel nos idées, nos actions, nos passions et nos gestes deviennent indéchiffrables et tout risque d’apparaître faux.

Mais une photo de presse déconstruite, contextualisée et resignifiée, comme vous le faites admirablement dans votre étude de cette photo de Caron, acquiert le statut de « document » historique, c’est-à-dire de source de connaissance. Toute source, des photos aux textes, demande à être authentifiée, déconstruite et interprétée. C’est en la délivrant de cette épaisse « couche de neige » qui la recouvre qu’elle peut nous renseigner et nous restituer un fragment du passé. Certes, une photographie n’est qu’un bout de réalité capturé par la caméra à un moment donné, dont la configuration spatiale a été choisie par le photographe et peut-être modifiée par le maquettiste, mais elle reste tout de même un instant du Lebenswelt, cet univers caléidoscopique dans lequel se mêlent idées, actions, gestes, émotions et sensations. Si nous parvenons à démêler les strates de sens qui entourent cette image – et qui, loin d’être superflus, demandent à leur tour à être interprétés –, nous parvenons à un noyau de vérité qui demeure certes problématique, qui peut faire l’objet d’interprétations différentes, mais dont l’histoire culturelle et même l’« histoire sensible » ne peuvent se passer.

À la différence de Roland Barthes, je ne tiens pas la notion de vérité historique pour « un grand surmoi vide[38] » mais plutôt, comme j’ai déjà écrit dans une de mes lettres à Georges Didi-Huberman en citant Carlo Ginzburg, comme un garde-fou indispensable sans lequel nos idées, nos actions, nos passions et nos gestes deviennent indéchiffrables et tout risque d’apparaître faux[39]. C’est pourquoi il n’est pas sans importance de savoir qui sont les manifestants de Derry en août 1969, qui les a photographiés et quel traitement a subi cette image. Pareillement – c’est Georges Didi-Huberman qui nous l’a expliqué[40] – il n’est pas sans importance de savoir si la photo d’une chambre à gaz a été prise par les membres du Sonderkommando d’Auschwitz dans le but d’alerter le monde sur la réalité de l’extermination, ou par des gardiens du camp ; si les photos de partisans pendus en Biélorussie en 1943 ont été prises par des civils soucieux de dénoncer un crime ou par des soldats allemands qui voulaient enrichir leurs albums de souvenirs de guerre, comme ce fut souvent le cas. Toutes ces images sont des documents, mais l’histoire sensible qu’elles dégagent n’est pas la même. C’est pourquoi la légende d’une photo peut contribuer, comme vous l’écrivez, Guillaume Blanc-Marianne, tant à « réveiller » et « abreuver » des « désirs d’émancipation »[41] qu’à les étouffer et les dissoudre, au-delà du constat évident que l’émancipation ne se fera pas dans les salles d’un musée ou d’une exposition.

Tout le monde peut se tromper, j’écrivais dans mon ultime réponse à Georges Didi-Huberman, et vous le réaffirmez dans votre texte, Guillaume Blanc-Marianne, en ajoutant que la Fondation Gilles Caron peut aussi se tromper, de même que les historiens de l’art. La lecture de votre « coda » m’a conduit à reprendre en main un vieux livre auquel j’avais participé, il y a désormais presque un quart de siècle, dans lequel j’ai trouvé très aisément la confirmation de ce truisme. Il s’intitule Révolutions et a été dirigé par Michael Löwy. Il s’agit d’une histoire photographique des révolutions depuis la Commune de Paris, au centre de laquelle il y a ce rapport, aussi essentiel que controversé, entre l’esthétique et le politique. Un des chapitres que j’ai écrits, cosigné par Rebecca Houzel, est consacré à la Révolution russe et comporte deux images dont la légende est incontestablement fausse (et leur place dans le livre fort discutable)[42].

La première est un photogramme universellement connu, tiré du film de Serguei Eisenstein Octobre (1927), qui met en scène la prise du Palais d’Hiver. La légende dit simplement « La prise du Palais d’hiver, novembre 1917 ». La seconde s’intitule « Le croiseur Aurore, le 7 novembre 1917, devant le Palais d’hiver ». Les façades des immeubles à côté desquels s’avance le navire arborent des énormes portraits de Marx et Lénine, ce qui indique clairement que cette photo ne peut pas avoir été prise en novembre 1917 mais au moins sept années plus tard, après la mort de Lénine. Le caractère erroné de ces légendes est si flagrant que nous l’avions remarqué, j’en garde le souvenir, au moment de la sélection des photos et je ne saurais dire comment elles ont pu se retrouver dans le livre. Mais elles y sont et malheureusement elles figurent aussi dans l’édition anglaise, parue en 2020. J’espère que les futures éditions, s’il y en a, sauront rectifier ces fautes.

Dans certaines circonstances, des légendes trompeuses peuvent avoir des conséquences bien plus graves. Je pense notamment à l’exposition consacrée aux crimes de la Wehrmacht, organisée en 1995 par l’Institut für Sozialforschung de Hambourg, qui circula pendant plusieurs années dans les principales villes d’Allemagne et fut visitée par plus d’un million de personnes pendant une dizaine d’années. Son impact fut immense, puisqu’elle brisait le mythe de l’innocence de l’armée allemande, qu’on prétendait restée à l’abri des crimes perpétrés par les SS et la Gestapo, en montrant par une documentation accablante son implication dans la politique génocidaire du régime nazi. La campagne menée par la presse conservatrice contre l’exposition – le Frankfurter Allgemeine Zeitung en tête – fut extrêmement violente. Elle toucha son point d’orgue lorsque deux chercheurs apportèrent la preuve que quelques-unes des images incluses dans l’exposition et légendées comme des crimes de la Wehrmacht sur le front oriental entre 1941 et 1944 montraient en réalité des victimes de la NKVD, la police secrète soviétique. Jan Philipp Reemtsma, le directeur de l’Institut hambourgeois, décida de fermer l’exposition et de nommer une commission d’enquête, composée d’historiens pas uniquement allemands, spécialistes reconnus en la matière, qui passa au crible toutes les pièces exposées. Au bout d’un an, la commission statua que, sur les 1 433 photographies de l’exposition, 20 étaient erronées, car elles ne montraient pas les victimes de la violence de l’armée allemande mais du NKVD (ou, pour quelques-unes, des soldats hongrois ou finnois), tout en reconnaissant cependant le bien-fondé de l’exposition.

Face à une telle masse de « pièces à conviction », le rôle majeur joué par la Wehrmacht dans la mise en œuvre des crimes nazis sur le front oriental ne pouvait pas être contesté : l’armée allemande avait bien mené une guerre d’agression et d’anéantissement. Pour beaucoup d’Allemands qui virent leur père ou leur grand-père dans ces images, ce fut un trauma considérable. L’exposition fut donc rouverte, expurgée des images controversées. La nouvelle version du catalogue raconte le détail de cette mésaventure et s’étend sur les difficultés rencontrées par l’équipe remarquable de chercheurs qui, en toute bonne foi, avaient sélectionné les sources controversées[43]. Il ne s’agissait pas, dans ce cas, des obstacles cognitifs représentés par le maquillage, le recadrage ou les légendes peu fiables des images d’une agence de presse. Il s’agissait de milliers de photos qui apparaissaient parfois dans plusieurs archives (allemandes, américaines ou soviétiques) avec des légendes différentes.

Il est évident que la Wehrmachtaustellung de 1995 n’a rien à voir avec Soulèvements, deux expositions qui se fixaient des objectifs et se fondaient sur des conceptions différentes, et dont l’impact a été évidemment incomparable. Les deux, cependant, montraient des images. Les commissaires de l’exposition hambourgeoise n’étaient pas des historiens de l’art ou des penseurs des images, mais ils étaient confrontés au problème du traitement de leurs sources et ils partageaient aussi les préoccupations de tout commissaire d’exposition ou directeur de musée : montrer pour apporter des connaissances, stimuler une réflexion et aider à comprendre. Élaborer la mémoire de l’oppression et de la violence est tout aussi important que garder les traces des luttes émancipatrices du passé, car l’histoire est faite de leur entrelacement infini. C’est bien cette dialectique qui relie les larmes aux armes, la mélancolie à la révolte. Dans les deux cas, tant le deuil que l’extase, s’ils sont abandonnés à eux-mêmes, demeurent stériles. Il faut être capables de « dire », non seulement de « sentir », car c’est de cette dialectique entre le texte et l’image que surgit notre regard.


[1] Simon Prince, Geoffrey Warner, Belfast and Derry in Revolt. A New History of the Start of the Troubles [2012], Newbridge, Irish Academic Press, 2019.

[2] Guillaume Blanc-Marianne, « Image floue, histoire myope. Coda à la querelle Didi-Huberman/Traverso (1.2) », AOC, 4 mai 2023.

[3] Voir Carlo Ginzburg, « Signes, traces, pistes. Racines d’un paradigme de l’indice », Le Débat, 1980, n° 6, p. 4.

[4] Peter Burke, Eyewitnessing. The Uses of Images as Historical Evidence, Ithaca, NY, Cornell University Press, 2001, p. 188.

[5] Guillaume Blanc-Marianne, « Image floue, histoire myope (1.2) » ; Susan Sontag, Devant la douleur des autres, Paris, Christian Bourgois, 2003, p. 18.

[6] Guillaume Blanc-Marianne, « Image floue, histoire myope (1.2) ».

[7] Ibid.

[8] Siegfried Kracauer, Erwin Panofsky, Briefwechsel 1941-1966, éd. Volker Breidecker, Berlin, Akademie Verlag, 1996, p. 139.

[9] Guillaume Blanc-Marianne, « Image floue, histoire myope (1.2) ».

[10] Guillaume Blanc-Marianne, « Image floue, histoire myope. Coda à la querelle Didi-Huberman/Traverso (2.2) », AOC, 5 mai 2023.

[11] Guillaume Blanc-Marianne, « Image floue, histoire myope (2.2) ».

[12] Guillaume Blanc-Marianne, « Image floue, histoire myope (2.2) » ; Jacques Rancière, Le partage du sensible. Esthétique et politiques, Paris, La fabrique, 2000 ; Ariella Azoulay, « Getting rid of the distinction between the aesthetic and the political », Theory, Culture & Society, vol. 27, n° 7-8, 2010, pp. 239-262.

[13] Cf. George L. Mosse, The Nationalization of the Masses. Political Symbolism and Mass Movements in Germany from the Napoleonic Wars through the Third Reich, Introduction by Victoria de Grazia, Madison, The University of Wisconsin Press, 2022 [1975], ch. 2.

[14] Siegfried Kracauer, Totalitäre Propaganda [1936], éd. Bernd Stiegler, Frankfurt/M, Suhrkamp, 2013.

[15] Cf. Éric Michaud, Un art de l’éternité. L’image et le temps du national-socialisme, Paris, Gallimard, 1996 ; Johann Chapoutot, La Révolution culturelle nazie, Paris, Gallimard, 2017.

[16] Sabine Bouckaert, « Un peu d’imagination, camarades ! Soulèvements (Jeu de Paume, 18 octobre 2016 – 17 janvier 2017) », Écrire l’histoire. Histoire, littérature, esthétique, n° 17, 2017, p. 247.

[17] Philippe Artières, « L’histoire sociale n’est pas de l’art ! », Libération du 8 janvier 2017.

[18] Carl Schmitt, « L’ère des neutralisations et des dépolitisations » (1929), La Notion de politique, éd. Julien Freund, Paris, Flammarion, 1992, p. 129-151.

[19] « Je prévois la dépolitisation complète de l’Italie : nous deviendrons un grand corps sans nerfs ni réflexes. » Ces mots de Pasolini (Stampa sera du 9 janvier 1975), ont fait l’objet de nombre de commentaires, jusqu’à être souvent qualifiés de « prophétiques ».

[20] Voir Walter Benjamin, « L’auteur comme producteur », Essais sur Brecht, éd. R. Tiedemann, trad. Philippe Ivernel, Paris, La fabrique, 2003, p. 144. Sur la censure de l’essai Howard sur Baudelaire, cf. Eiland, Michael W. Jennings, Walter Benjamin. A Critical Life, Cambridge, The Belknap Press/Harvard University Press, 2014, pp. 622-646.

[21] Voir Theodor W. Adorno, Herbert Marcuse, « Correspondance on the German Student Movement », trad. Esther Leslie, New Left Review, n° 233, 1999, pp. 118-123.

[22] Georg Lukács, « Grand Hotel Abgrund » (1933), repris dans son recueil Revolutionäres Denken. Georg Lukács: Eine Einführung in Leben und Werk, éd. Frank Benseler, Luchterhand, Neuwied, 1984, pp. 179-196.

[23] Enzo Traverso, Révolution. Une histoire culturelle, Paris, La Découverte, 2022, p. 21.

[24] Guillaume Blanc-Marianne, « Image floue, histoire myope (2.2) ».

[25] Georges Didi-Huberman, « Introduction », Soulèvements, Paris, Gallimard/Jeu de Paume, 2016, p. 18.

[26] Voir Horst Bredekamp, Théorie de l’acte d’image, trad. Frédéric Joly, Yves Saintomer, Paris, La Découverte, 2015.

[27] Roland Barthes, « Rhétorique de l’image », Communications, n° 4, 1964, p. 44.

[28] Ibid., pp. 44-45.

[29] Siegfried Kracauer, « La photographie » [1927], L’ornement de la masse. Essais sur la modernité weimarienne, trad. Sabine Cornille, Préface Olivier Agard, Paris, La Découverte, 2008, p. 39.

[30] Ibid., p. 47.

[31] Guillaume Blanc-Marianne, « Image floue, histoire myope (2.2) ».

[32] Ibid.

[33] Walter Benjamin, « L’auteur comme producteur », p. 134 ; « Der Autor als Produzent » [1934], Aufsätze, Essays, Vorträge. Gesammelte Schriften, II.2, éd. Rolf Tiedemann, Hermann Schweppenhäuser, Frankfurt/M, Suhrkamp, 1991, p. 693.

[34] Guillaume Blanc-Marianne, « Image floue, histoire myope (2.2) ».

[35] Siegfried Kracauer, « La photographie », p. 44 ; « Die Photographie », Das Ornament der Masse. Essays, éd. Karsten Witte, Frankfurt/M, Suhrkamp, 1977, p. 32.

[36] John Berger, Understanding a Photograph, éd. Geoff Dyer, London, Penguin Books, 2013 [1967], pp. 52, 66.

[37] Ibid., p. 57. Susan Sontag, à qui est dédié l’essai de Berger, ne disait pas autre chose lorsqu’elle définissait la photo « une trace, une sorte de stencil immédiat, comme l’empreinte d’un pas ou un masque mortuaire », Sur la photographie, Paris, Christian Bourgois, 1993 [1977], p. 182.

[38] Roland Barthes, « Le discours de l’histoire » [1967], Essais critiques, t. 4, Le bruissement de la langue, Paris, Seuil, 1984, p. 165.

[39] Carlo Ginzburg, Le fil et les traces. Vrai faux fictif, Lagrasse, Verdier, 2010, p. 17.

[40] Georges Didi-Huberman, Images malgré tout, Paris, Éditions de Minuit, 2003.

[41] Guillaume Blanc-Marianne, « Image floue, histoire myope (2.2) ».

[42] Rebecca Houzel, Enzo Traverso, « La Révolution russe de 1917 », in Michael Löwy (dir.), Révolutions, Paris, Éditions Hazan, 2000, pp. 157-158.

[43] Hamburger Institut für Sozialforschung (dir.), Verbrechen der Wehrmacht. Dimensionen des Vernichtungkrieges 1941-1945. Austellungskatalog, Hamburg, Hamburger Edition, 2002. Voir notamment le chapitre consacré à la controverse sur l’exposition : « Kontroversen über eine Austellung », pp. 687-730. Voir aussi une présentation de l’histoire de cette exposition par un des historiens de la commission d’enquête : Omer Bartov, « The Wehrmacht Exhibition Controversy : The Politics of Evidence », in Omer Bartov, Atina Grossmann, Mary Nolan (dir.), Crimes of War. Guilt and Denial in the Twentieth Century, New York, The New Press, 2002, pp. pp. 41-60.

Enzo Traverso

Historien, Professeur à Cornell University

Notes

[1] Simon Prince, Geoffrey Warner, Belfast and Derry in Revolt. A New History of the Start of the Troubles [2012], Newbridge, Irish Academic Press, 2019.

[2] Guillaume Blanc-Marianne, « Image floue, histoire myope. Coda à la querelle Didi-Huberman/Traverso (1.2) », AOC, 4 mai 2023.

[3] Voir Carlo Ginzburg, « Signes, traces, pistes. Racines d’un paradigme de l’indice », Le Débat, 1980, n° 6, p. 4.

[4] Peter Burke, Eyewitnessing. The Uses of Images as Historical Evidence, Ithaca, NY, Cornell University Press, 2001, p. 188.

[5] Guillaume Blanc-Marianne, « Image floue, histoire myope (1.2) » ; Susan Sontag, Devant la douleur des autres, Paris, Christian Bourgois, 2003, p. 18.

[6] Guillaume Blanc-Marianne, « Image floue, histoire myope (1.2) ».

[7] Ibid.

[8] Siegfried Kracauer, Erwin Panofsky, Briefwechsel 1941-1966, éd. Volker Breidecker, Berlin, Akademie Verlag, 1996, p. 139.

[9] Guillaume Blanc-Marianne, « Image floue, histoire myope (1.2) ».

[10] Guillaume Blanc-Marianne, « Image floue, histoire myope. Coda à la querelle Didi-Huberman/Traverso (2.2) », AOC, 5 mai 2023.

[11] Guillaume Blanc-Marianne, « Image floue, histoire myope (2.2) ».

[12] Guillaume Blanc-Marianne, « Image floue, histoire myope (2.2) » ; Jacques Rancière, Le partage du sensible. Esthétique et politiques, Paris, La fabrique, 2000 ; Ariella Azoulay, « Getting rid of the distinction between the aesthetic and the political », Theory, Culture & Society, vol. 27, n° 7-8, 2010, pp. 239-262.

[13] Cf. George L. Mosse, The Nationalization of the Masses. Political Symbolism and Mass Movements in Germany from the Napoleonic Wars through the Third Reich, Introduction by Victoria de Grazia, Madison, The University of Wisconsin Press, 2022 [1975], ch. 2.

[14] Siegfried Kracauer, Totalitäre Propaganda [1936], éd. Bernd Stiegler, Frankfurt/M, Suhrkamp, 2013.

[15] Cf. Éric Michaud, Un art de l’éternité. L’image et le temps du national-socialisme, Paris, Gallimard, 1996 ; Johann Chapoutot, La Révolution culturelle nazie, Paris, Gallimard, 2017.

[16] Sabine Bouckaert, « Un peu d’imagination, camarades ! Soulèvements (Jeu de Paume, 18 octobre 2016 – 17 janvier 2017) », Écrire l’histoire. Histoire, littérature, esthétique, n° 17, 2017, p. 247.

[17] Philippe Artières, « L’histoire sociale n’est pas de l’art ! », Libération du 8 janvier 2017.

[18] Carl Schmitt, « L’ère des neutralisations et des dépolitisations » (1929), La Notion de politique, éd. Julien Freund, Paris, Flammarion, 1992, p. 129-151.

[19] « Je prévois la dépolitisation complète de l’Italie : nous deviendrons un grand corps sans nerfs ni réflexes. » Ces mots de Pasolini (Stampa sera du 9 janvier 1975), ont fait l’objet de nombre de commentaires, jusqu’à être souvent qualifiés de « prophétiques ».

[20] Voir Walter Benjamin, « L’auteur comme producteur », Essais sur Brecht, éd. R. Tiedemann, trad. Philippe Ivernel, Paris, La fabrique, 2003, p. 144. Sur la censure de l’essai Howard sur Baudelaire, cf. Eiland, Michael W. Jennings, Walter Benjamin. A Critical Life, Cambridge, The Belknap Press/Harvard University Press, 2014, pp. 622-646.

[21] Voir Theodor W. Adorno, Herbert Marcuse, « Correspondance on the German Student Movement », trad. Esther Leslie, New Left Review, n° 233, 1999, pp. 118-123.

[22] Georg Lukács, « Grand Hotel Abgrund » (1933), repris dans son recueil Revolutionäres Denken. Georg Lukács: Eine Einführung in Leben und Werk, éd. Frank Benseler, Luchterhand, Neuwied, 1984, pp. 179-196.

[23] Enzo Traverso, Révolution. Une histoire culturelle, Paris, La Découverte, 2022, p. 21.

[24] Guillaume Blanc-Marianne, « Image floue, histoire myope (2.2) ».

[25] Georges Didi-Huberman, « Introduction », Soulèvements, Paris, Gallimard/Jeu de Paume, 2016, p. 18.

[26] Voir Horst Bredekamp, Théorie de l’acte d’image, trad. Frédéric Joly, Yves Saintomer, Paris, La Découverte, 2015.

[27] Roland Barthes, « Rhétorique de l’image », Communications, n° 4, 1964, p. 44.

[28] Ibid., pp. 44-45.

[29] Siegfried Kracauer, « La photographie » [1927], L’ornement de la masse. Essais sur la modernité weimarienne, trad. Sabine Cornille, Préface Olivier Agard, Paris, La Découverte, 2008, p. 39.

[30] Ibid., p. 47.

[31] Guillaume Blanc-Marianne, « Image floue, histoire myope (2.2) ».

[32] Ibid.

[33] Walter Benjamin, « L’auteur comme producteur », p. 134 ; « Der Autor als Produzent » [1934], Aufsätze, Essays, Vorträge. Gesammelte Schriften, II.2, éd. Rolf Tiedemann, Hermann Schweppenhäuser, Frankfurt/M, Suhrkamp, 1991, p. 693.

[34] Guillaume Blanc-Marianne, « Image floue, histoire myope (2.2) ».

[35] Siegfried Kracauer, « La photographie », p. 44 ; « Die Photographie », Das Ornament der Masse. Essays, éd. Karsten Witte, Frankfurt/M, Suhrkamp, 1977, p. 32.

[36] John Berger, Understanding a Photograph, éd. Geoff Dyer, London, Penguin Books, 2013 [1967], pp. 52, 66.

[37] Ibid., p. 57. Susan Sontag, à qui est dédié l’essai de Berger, ne disait pas autre chose lorsqu’elle définissait la photo « une trace, une sorte de stencil immédiat, comme l’empreinte d’un pas ou un masque mortuaire », Sur la photographie, Paris, Christian Bourgois, 1993 [1977], p. 182.

[38] Roland Barthes, « Le discours de l’histoire » [1967], Essais critiques, t. 4, Le bruissement de la langue, Paris, Seuil, 1984, p. 165.

[39] Carlo Ginzburg, Le fil et les traces. Vrai faux fictif, Lagrasse, Verdier, 2010, p. 17.

[40] Georges Didi-Huberman, Images malgré tout, Paris, Éditions de Minuit, 2003.

[41] Guillaume Blanc-Marianne, « Image floue, histoire myope (2.2) ».

[42] Rebecca Houzel, Enzo Traverso, « La Révolution russe de 1917 », in Michael Löwy (dir.), Révolutions, Paris, Éditions Hazan, 2000, pp. 157-158.

[43] Hamburger Institut für Sozialforschung (dir.), Verbrechen der Wehrmacht. Dimensionen des Vernichtungkrieges 1941-1945. Austellungskatalog, Hamburg, Hamburger Edition, 2002. Voir notamment le chapitre consacré à la controverse sur l’exposition : « Kontroversen über eine Austellung », pp. 687-730. Voir aussi une présentation de l’histoire de cette exposition par un des historiens de la commission d’enquête : Omer Bartov, « The Wehrmacht Exhibition Controversy : The Politics of Evidence », in Omer Bartov, Atina Grossmann, Mary Nolan (dir.), Crimes of War. Guilt and Denial in the Twentieth Century, New York, The New Press, 2002, pp. pp. 41-60.