Cinéma

Deux films allemands. Deux façons de voir l’histoire

Professeur de littérature comparée

Le cinéma allemand est à l’honneur cette semaine lors du 23e Festival qui lui est consacré au cinéma l’Arlequin, à Paris. L’occasion de revenir sur deux films allemands sortis cette année sur les écrans, et de comparer leur façon d’aborder les fantômes du passé : le communisme dans La Révolution silencieuse de Lars Kraume, le nazisme dans Transit de Christian Petzold.

Deux films allemands sont sortis sur les écrans au printemps, l’un ovationné, La Révolution silencieuse (mars 2018) de Lars Kraume, l’autre à l’accueil plus mitigé, Transit (avril 2018) de Christian Petzold. Le premier se retrouve encore aujourd’hui dans certaines salles et circulera bientôt dans les écoles, l’autre a pratiquement disparu. Tous deux ont à voir avec la grande histoire, comme on dit, désormais historique et mémorielle à la fois, pourtant le premier la raconte en reflétant une esthétique de la reconstitution dont notre époque est en appétit, le second s’inscrit en faux contre ce canon, nous laissant quasiment sur notre faim. Étude comparée sans concession.

Tout réalisme n’est pas conventionnel. Mais celui qui est le plus souvent adopté, surtout quand il s’agit d’événements historiques, repose sur l’alliance de la reconstitution la plus vraisemblable et de l’émotion que suscitent des personnages facilement reconnaissables ; le spectateur est alors invité à s’identifier à une partie d’entre eux et, de toute façon, à les reconnaître dans un décor qui doit leur sembler naturel. On connaît la critique que Brecht adresse aux facilités ambiguës de ce mimétisme auquel cèdent de nombreuses productions. C’est bien de cela qu’il est question avec La Révolution silencieuse, retraçant un événement contestataire en RDA, en 1956 : la minute de silence d’un groupe de lycéens de Terminale durant un de leurs cours, réagissant à la répression soviétique en Hongrie. Cette protestation douce déclenche une brutale réaction en chaîne de procédures disciplinaires que retrace l’intrigue en concentrant les stéréotypes les plus caricaturaux de la dictature communiste dans une petite ville non loin de Berlin, Stalinstadt (aujourd’hui Eisenhüttenstadt), haut lieu de l’industrie métallurgique.

Lars Kraume y drape certains éléments d’une connotation pseudo nazie (les fonctionnaires, les réunions dans la cour du lycée et même l’apparition d’officiers de l’Armée rouge accoutrés comme


[1] Voir l’entretien avec l’historienne Hélène Camarade (p. 9) dans le dossier pédagogique rassemblé par le groupe « zéro de conduite » : http://www.zerodeconduite.net/dp/zdc_larevolutionsilencieuse.pdf

[2] Ces informations et les citations suivantes viennent de l’entretien de Christian Petzold reproduit dans le dossier de presse mis à disposition par les films du Losange sur www.filmsdulosange.fr.

[3] Dénommée « révolte des ouvriers » (Arbeiteraufstand) ou « du peuple » (Volksaufstand), ce mouvement a contesté des mesures prises par le gouvernement de la RDA pour augmenter les cadences de travail et s’est transformé en véritable révolte causant de nombreux morts de la part des manifestants et des forces policières, et quantité d’arrestations. Il s’agit de la première révolte contre le communisme soviétisé dans le bloc est.

[4] Récente révélation du cinéma allemand, acteur et chorégraphe, Franz Rogowski interprète Christian dans le film de Thomas Stuber, In den Gängen (2018, littéralement « dans les couloirs », au titre français très mal traduit par La Valse des allées, écrasant sous des allures de comédie le double sens dramatique du mot couloir), où viennent remarquablement se combiner une chronique de la précarité dans un Land de l’ex-Allemagne de l’Est – le film se déroule la plupart du temps la nuit dans un supermarché, allégorie grotesque de la société de consommation – et un bilan désastreux de la réunification où aucune mémoire sociale ne permet d’établir un lien entre l’avant et l’après chute du Mur.

Philippe Mesnard

Professeur de littérature comparée, Université Clermont Auvergne

Rayonnages

Cinéma Culture

Notes

[1] Voir l’entretien avec l’historienne Hélène Camarade (p. 9) dans le dossier pédagogique rassemblé par le groupe « zéro de conduite » : http://www.zerodeconduite.net/dp/zdc_larevolutionsilencieuse.pdf

[2] Ces informations et les citations suivantes viennent de l’entretien de Christian Petzold reproduit dans le dossier de presse mis à disposition par les films du Losange sur www.filmsdulosange.fr.

[3] Dénommée « révolte des ouvriers » (Arbeiteraufstand) ou « du peuple » (Volksaufstand), ce mouvement a contesté des mesures prises par le gouvernement de la RDA pour augmenter les cadences de travail et s’est transformé en véritable révolte causant de nombreux morts de la part des manifestants et des forces policières, et quantité d’arrestations. Il s’agit de la première révolte contre le communisme soviétisé dans le bloc est.

[4] Récente révélation du cinéma allemand, acteur et chorégraphe, Franz Rogowski interprète Christian dans le film de Thomas Stuber, In den Gängen (2018, littéralement « dans les couloirs », au titre français très mal traduit par La Valse des allées, écrasant sous des allures de comédie le double sens dramatique du mot couloir), où viennent remarquablement se combiner une chronique de la précarité dans un Land de l’ex-Allemagne de l’Est – le film se déroule la plupart du temps la nuit dans un supermarché, allégorie grotesque de la société de consommation – et un bilan désastreux de la réunification où aucune mémoire sociale ne permet d’établir un lien entre l’avant et l’après chute du Mur.