« Noli me Tangere » – sur notre devenir œuvres d’art
La consigne « ne pas toucher », on a plutôt l’habitude – en tant qu’adulte – de se l’entendre dire, et de l’appliquer au musée. On ne touche pas aux œuvres d’art pour ne pas les abîmer, les défigurer, les changer par le contact forcément consumant et consommant avec l’objet touché. Même si, surtout avec les sculptures, on a souvent très envie de caresser ces formes, palper ces textures qu’on devine et suppute d’une fermeté à nulle autre pareille malgré, et peut-être même exacerbée par, les plissures d’hommage au réalisme dont le Bernin, pour fixer une étoile dans cette constellation, est un apogée.
Ces surfaces, rendues plus pures par l’atmosphère ascétique des musées, sont si lisses qu’on en a les mains qui frémissent de désir. Et si tout le monde n’a pas la sensibilité de Stendhal, on se promène, dans les couloirs des musées, tout de même quelque peu enfiévrés d’un désir d’autant plus sublimé qu’on le sait d’avance impossible à décevoir et donc aussi, éternellement renouvelable.
L’interdit du toucher est la cerise sur le gâteau de la visite au musée, c’est la petite touche de transgression possible, le zeste de risque et de danger, qu’on peut volontiers s’imaginer en torture de Tantale qu’on accueille d’autant plus volontiers qu’il confirme notre emballement : ce qui est désirable est précieux (ou vice-versa) et donc doit être défendu de notre propre témérité. Ce qui fait office de garde-fou contre nous-même, nous protégeant de la tentation, c’est la présence toujours un peu balourde des gardiens de musée dont l’ennui métaphysique, qui semble souvent régner dans leurs gestes et visages, ne peut qu’être le camouflage de leur fonction divine.
Les musées sont en effet les dernières grandes églises du peuple, où murmurent avec autorité ces prélats, bedeaux, aumôniers ou sacristains, revêtus désormais du sombre uniforme de gardiens-des-musées. Et leur protocole a vite fait d’intégrer l’injonction sacrale par excellence : noli me tangere, qui encercle l’œuvre