Littérature

De la chambre du fils – à propos de Disaster Falls de Stéphane Gerson

Sociologue

Dans Disaster Falls – titre terrible et prémonitoire –, Stéphane Gerson revient sur un tragique accident, la mort de son fils Owen. Sans se livrer à un quelconque excès de pathos, il tente de trouver un semblant de sens à l’inadmissible, une cohérence contre le chaos. Sans doute est-ce aussi dans cette perspective qu’il remonte le fil de l’histoire familiale pour évoquer ses grands-parents rescapés de la Shoah ou la figure si problématique de son père : c’est en quête d’une forme de réparation, face aux accrocs de la filiation.

« Owen est mort ». Ou plutôt, « nous avons perdu Owen », répètent au téléphone Stéphane Gerson et Alison, son épouse, tandis que le taxi les remmène vers l’aéroport, avec leur fils aîné, Julian. Owen, le petit frère, s’est noyé, lors de l’« accident » dans la « rivière ». Les mots ont des arêtes qui blessent, alors ils en réduisent le nombre, expurgent leur vocabulaire de toutes les métaphores aquatiques (« garder la tête hors de l’eau », « couler », etc., et elles sont nombreuses), ne gardent que les mots dont les arêtes, à force, peut-être s’émousseront. Et c’est sans doute pour cela, dans une des contradictions qui font le cœur du livre, que Stéphane Gerson, dès les premiers jours qui suivent la mort d’Owen, se met à écrire.

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Le récit du drame tient pourtant en peu de lignes. Ils étaient partis pour ce qui devait être des vacances familiales, et avaient prévu de descendre la Green, rivière qui coule entre l’Utah et le Colorado. Ils avaient procédé comme le font des milliers de touristes de par le monde : ils avaient compulsé des brochures, et réservé auprès d’une entreprise chargée d’organiser ce genre d’expédition. Le jour dit, ils s’étaient embarqués sur les rafts et duckys, avec tous les membres du groupe, s’en étaient remis aux accompagnateurs, à leurs conseils rassurants.

Parce que, le matin, Julian était dans le kayak et Owen dans le raft, Owen avait voulu changer pour la descente de l’après-midi : qu’importe si les rapides semblaient impressionnants, qu’importe s’il avait un peu peur. Ou peut-être justement, parce qu’il avait un peu peur, et qu’à huit ans, on veut se montrer fort. Un vrai garçon. Ses parents n’ont pas eu le cœur à le décourager, eux qui, quelques jours auparavant, lui avaient déjà interdit de dévaler un entonnoir rocheux au Parc National des Arches. On ne peut pas toujours avoir peur pour ses enfants, il faut bien, à un moment, leur lâcher la main. Owen est monté dans le kayak avec son père, et parce qu’il suffit de rien pour que


Christine Détrez

Sociologue, Professeure à l'ENS-Lyon

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