Littérature

Des âmes fortes – sur Le Garçon de mon père d’Emmanuelle Lambert

écrivain

Perdre son père, c’est atroce et (/car/mais) banal. Écrire à ce propos pour dire qu’on a du chagrin n’est, en soi, pas une chose extraordinaire ni bien intéressante. Pourquoi ? Parce que la seule chose qui compte, quand on écrit là-dessus, c’est bien de trouver la forme la plus précise, la plus tranchante, la plus juste – sinon mieux vaut préférer ne pas. Emmanuelle Lambert a préféré écrire. Elle a rudement bien fait.

Les grands chagrins quand ils s’entrechoquent aux grandes joies ne laissent que peu de place à la pitié. Ils isolent qui les vit dans une chaleur glacée. Mais quand celle ou celui qui les vit tente, par l’écriture, d’en saisir la trace, ils donnent les pages les plus belles, car les plus profondes.

En septembre 2019, on peut trouver sur les tables de librairies un livre qui raconte avec passion et beaucoup de minutie un Jean Giono secret et bien plus tourmenté et solitaire qu’on peut le penser quand on croit, parce qu’on ne l’a pas lu, que son œuvre ne se résume qu’à la célébration lumineuse et fidèle de sa chère Provence. Son Giono furioso (Stock, 2019), Emmanuelle Lambert l’a composé en même temps qu’elle préparait une exposition sur l’écrivain au Mucem de Marseille, à l’occasion des cinquante ans de sa mort.

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Avant même sa sortie, on parle de l’essai. On le fait circuler. On le lit. On le recommande. Or, au moment même où l’on pourrait croire que tout lui sourit, Emmanuelle Lambert vit un drame secret. Elle est à l’hôpital, auprès de son père mourant. Il a lu la première version de Giono Furioso. Il se trouve qu’il en est un des personnages secondaires. Il en est profondément bouleversé, profondément heureux. Ses forces l’abandonnent. Le livre sort. Deux jours plus tard, il meurt. Giono Furioso remporte l’adhésion de la critique et des lecteurs. La consécration tombe : l’exposition Giono organisée par Emmanuelle Lambert s’ouvre au Mucem. Quasi simultanément, le livre obtient le prix Femina de l’essai.

Comment recevoir ce que la vie soudain vous donne précisément au moment où l’on est dévoré par un chagrin sans fond ? Peut-être en continuant à faire la seule chose qu’on sache faire : en l’occurrence, quand on écrit, continuer de vivre c’est continuer d’écrire, tout simplement. Billie Eilish le fredonne en cette rentrée dans son album Happy Forever, « Everybody dies, surprise, surprise » (Traduction et, attention, spoiler : « Tout le monde va mourir, surpr


Sarah Chiche

écrivain, psychologue clinicienne et psychanalyste

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