Littérature

Éloge de la férocité – à propos de Pour tout vous dire de Joan Didion

écrivain

Figure du New Journalism, disparue il y a quelques semaines à l’âge de 87 ans, Joan Didion savait dépeindre les États-Unis en même temps qu’elle disséquait son identité propre dans un style écorché vif. En guise de testament pour ses lecteurs et lectrices, elle laisse plusieurs textes inédits en français – écrits entre 1968 et 2000 et réunis en un recueil – sur sa venue à l’écriture, la presse underground, la politique américaine, les femmes ; autant de thèmes déployés dans son œuvre.

«Ma façon d’écrire, c’est ce que je suis ; ou suis devenue. » Voilà un point-virgule qui à lui seul condense toute l’histoire d’un style laconique, coupant, virtuose, et l’éthos d’une écrivaine dont le corps physique (c’était un corps sec d’une classe folle, qui n’a jamais souri que sur une seule photographie parmi toutes celles qui furent prises d’elle, qui conduisait une Corvette jaune vif et ne semble jamais s’être autorisé le moindre relâchement), de plus en plus fluet, avait fini par n’être plus fabriqué que de phrases ironiques ou douces-amères.

Joan Didion est morte, il y a quelques semaines, à l’âge de 87 ans, la veille de Noël, chez elle, à Manhattan. Dans tous ses livres comme tous ses articles, jamais le portrait d’un pays (désert californien, des quartiers hippies de San Francisco, d’un ghetto noir, d’un groupe de Black Panthers, de la moiteur putride du grand Sud, des collines de Los Angeles arpentées par Manson et sa « famille ») ne fut séparé d’une recherche sur la mécanique d’une écriture débarrassée de tout sentimentalisme et sur ce que veut une femme. « Je veux que vous compreniez exactement à qui vous avez affaire : vous avez affaire à une femme qui, depuis quelque temps, se sent radicalement étrangère à la plupart des idées qui paraissent intéresser les autres » (Ici et ailleurs, Grasset, 2009).

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C’est cette même acuité dans la description de la société américaine, cette même dissection de l’identité personnelle comme ce même goût pour la phrase percutante, qu’on retrouvera donc dans Pour tout vous dire, recueil de douze textes inédits en français, écrits entre 1968 et 2000, et traduits par Pierre Demarty, qui paraît ces jours-ci chez Grasset.

L’icône de la littérature américaine, que ses amis surnommaient la « Kafka de Brentwood Park », et qui fut aussi l’auteure de scénarios pour Hollywood, s’y souvient de son admiration pour Hemingway dont, à douze ans, elle avait recopié le premier paragraphe de L’Adieu aux armes, comme pour en déchi


Sarah Chiche

écrivain, psychologue clinicienne et psychanalyste