Economie

Amazon ou la menace proliférante de la loi de la jungle

Délégué général du Syndicat de la librairie française

L’Institute for local self-reliance (ILSR) a publié un rapport sur la machine de guerre que déploie Amazon – et ses dégâts. Face à ce géant du web qui a fait du livre son cheval de Troie, les libraires ont toujours été en première ligne. Le Syndicat de la librairie française a ainsi récemment fait traduire ce rapport de l’ILSR qui pointe les menaces pour l’économie, l’emploi, la confidentialité, la cohésion territoriale.

Le Syndicat de la librairie française (SLF) vient de traduire et de diffuser en France le rapport de l’institut américain de recherche ILSR (Institute for local self-reliance), Amazon, cette inexorable machine de guerre qui étrangle la concurrence, dégrade le travail et menace nos centres-villes. Ce rapport a pour ambition d’analyser la dimension protéiforme de la menace que représente l’expansion d’Amazon.

Publicité

Le SLF dénonce de longue date la concurrence déloyale d’Amazon que subissent de très nombreux commerces et PME, dont les librairies. Cet enjeu commercial justifierait, à lui seul, la critique du modèle imposé par Amazon. Mais, aujourd’hui, le risque est encore plus grand car c’est notre modèle de société en tant que tel, notre relation au travail, nos libertés individuelles, notre capacité à vivre ensemble, qui se trouvent menacés par la stratégie tentaculaire d’Amazon. Face à un tel enjeu, les réactions semblent bien timides quand elles ne se teintent pas d’une fascination pour la réussite commerciale foudroyante de cette multinationale américaine. En décryptant la stratégie d’Amazon et en pointant les menaces multiples dont elle est porteuse, le rapport de l’ILSR vise à contribuer à une prise de conscience du grand public ainsi que des responsables politiques, ces derniers étant appelés à réguler l’emprise d’Amazon avant que les dégâts économiques, sociaux, sociétaux et culturels ne soient irréversibles.

Quatre types de menaces sont identifiées.

Amazon, une menace pour l’économie 

Le rapport de l’ILSR montre comment Amazon menace l’économie par son expansion tentaculaire dans des dizaines de secteurs, sa quête de monopole, la manière dont il étrangle les PME, à commencer par celles qui sont présentes sur sa market-place, ou encore sa politique d’évasion fiscale qui fausse la concurrence et réduit les ressources fiscales pour les territoires où il réalise ses ventes.

Par la puissance de sa market-place, de ses infrastructures logistiques et de son service de stockage de données (Amazon Web Services), Amazon a dorénavant la faculté de fixer les conditions d’accès au marché pour des milliers d’entreprises dont il est par ailleurs le premier concurrent. Il scrute l’activité des entreprises qu’il héberge et, pour les plus profitables, s’approprie leur connaissance du métier et du produit avant de les racheter à vil prix ou de les concurrencer par des prix imbattables. Le PDG d’une entreprise américaine de jouets illustre cette dépendance en déclarant : « Nous nous sommes rendu compte que nous étions fichus si nous allions sur la market-place d’Amazon et fichus aussi si nous n’y allions pas. »

La domination du marché par Amazon atteint, aux États-Unis, des proportions hors normes. L’entreprise de Jeff Bezos y capte en effet la moitié des achats en ligne, certainement les deux tiers à l’horizon 2020. Elle possède des dizaines de filiales : sites e-commerce, livres audio, téléphonie mobile, transport, plateforme de streaming pour jeux en ligne, textile, chaussures, piles à combustible, caméras de surveillance, bases de données, statistiques et « data mining », distribution alimentaire… La moitié des Américains qui vont sur le net pour y faire des achats démarrent dorénavant directement leurs recherchse sur Amazon. Plus d’un foyer américain sur deux est abonné à son programme Prime. En prenant le contrôle du marché, en en fixant les règles, Amazon n’ambitionne pas seulement de le dominer, il veut « être le marché ».

Cette quête monopolistique est alimentée par la capacité à mener, à long terme, une stratégie de vente à perte financée par des investisseurs éblouis et acceptant les pertes comme autant de promesses d’écrasement des marchés au profit de leur champion.

Amazon, une menace pour le travail et pour l’emploi

Amazon crée des emplois mais il en détruit bien plus qu’il n’en crée.

Pénibilité et surveillance : les salariés d’Amazon subissent des conditions de travail harassantes, sont sous-payés et font l’objet d’une surveillance constante dans un système où la délation est encouragée. Pire, les salariés d’Amazon sont en fait, le plus souvent, des salariés d’agences d’intérim ou des travailleurs indépendants sur le modèle d’Uber, ce qui permet à la multinationale américaine de s’exonérer de ses obligations sociales.

Ubérisation et robotisation : le modèle d’Amazon s’appuie sur une automatisation toujours plus grande des tâches accomplies dans ses entrepôts, à tel point que la multinationale américaine a acheté, pour près d’un milliard de dollars, le fabricant de robots Kiva, devenant ainsi l’un des leaders mondiaux sur ce marché. 45 000 de ces robots sont aujourd’hui produits par Kiva au service exclusif d’Amazon. Ils viennent d’être déployés dans les entrepôts français. Le nombre de nouveaux robots croît plus rapidement (+ 50 % en deux ans) que celui des embauches de salariés. Une étude du MIT, publiée en mars 2017, estime que chaque robot introduit sur le marché du travail détruit six emplois et entraîne une baisse du salaire moyen sur le marché du travail du fait d’une demande accrue de postes. Sur cette base, Amazon aurait déjà détruit près de 300 000 emplois dans le monde, soit autant que le nombre de ses salariés !

À cela il faut ajouter les dizaines ou centaines de milliers d’emplois détruits chez les concurrents d’Amazon terrassés par sa politique de dumping financée par une capitalisation hors normes. Cette politique prédatrice ne touche pas seulement de grandes chaînes concurrentes mais également des commerçants indépendants dont la présence est essentielle à la vitalité économique et sociale des territoires, et particulièrement des centres-villes que l’expansion d’Amazon contribue à désertifier. Dans de nombreux États américains, Amazon réalise plusieurs milliards de dollars de chiffre d’affaires sans y employer une seule personne !

Amazon, une menace pour nos libertés

Amazon est l’un des leaders du stockage de données. Amazon Web Services, dont tout le monde, de Netflix à la CIA, est client, contrôle le tiers de la capacité mondiale de cloud computing, soit plus que Microsoft, IBM et Google combinés…

Il exploite, par ailleurs, l’inépuisable réserve de données personnelles que lui apporte une connaissance fine de nos habitudes d’achat. S’il s’en est servi jusqu’à présent pour se développer sur différents marchés et pour pousser ses propres produits, il pourra, demain, grâce à cette connaissance millimétrique de nos habitudes et de nos goûts, aux possibilités de l’intelligence artificielle sur laquelle il investit massivement et à l’introduction, au cœur de notre vie quotidienne, des appareils connectés qu’il développe, non plus seulement connaître nos choix, mais nous les dicter !

Amazon, une menace pour nos territoires

Fermeture de commerces indépendants en centre-ville, disparition de centres commerciaux, tarissement des ressources fiscales, si la pieuvre Amazon n’a aucune existence incarnée sur la majorité des territoires, elle n’en fait pas mois ressentir ses effets dévastateurs. L’ILSR démontre néanmoins que le réseau logistique d’Amazon a été bâti largement grâce à des subventions publiques, le montant de ces aides dépassant, selon le rapport, les bénéfices d’Amazon depuis l’origine. En France également, les implantations des entrepôts d’Amazon bénéficient systématiquement de soutiens financiers de la part des collectivités locales.

Le même rapport rappelle que 108 000 commerces indépendants ont disparu aux États-Unis durant les quinze dernières années. Si ce déclin a de nombreuses causes, les études montrent qu’Amazon en est, de loin, la principale.

La dévitalisation de nos quartiers, de nos centres-villes, appauvrit l’économie locale, déplace ou supprime des emplois et, au final, nuit gravement à notre capacité d’organiser et d’animer notre vie collective grâce au travail et aux actions éducatives, sociales, culturelles que développent nos communautés.


Guillaume Husson

Délégué général du Syndicat de la librairie française

Jean-Pierre Bacri joue un con

Par

Jean-Pierre Bacri a toujours adoré jouer les cons. Le dernier spécimen, celui qu'il interprète dans Place publique, le nouveau film d'Agnès Jaoui pas totalement réussi qu'il a écrit, est vraiment, vraiment con. Un... lire plus