Politique

Le « moment Benalla » : affaire d’État, affaire d’État de droit

Juriste

Qu’est-ce qui fait de l’« affaire Benalla » une affaire d’État ? Non pas la « dérive individuelle » d’Alexandre Benalla mais bien le cortège de mensonges proférés par les représentants des institutions et leur impunité. Véritable « moment politique », l’épisode soulève de profondes critiques envers l’élite au pouvoir, son « projet », et envers les vices des institutions de la Ve République.

Le scandale né du comportement individuel d’Alexandre Benalla le 1ermai 2018 et de ses répercussions institutionnelles est devenu une affaire d’État par les mensonges dans lesquels les plus hautes autorités publiques se sont embourbées. Il est aussi une « affaire d’État de droit » en ce qu’il invite à repenser la séparation des pouvoirs à la française.

Publicité

Les faits sont simples : au prétexte invraisemblable de s’être senti la nécessité de « prêter main-forte» aux forces de l’ordre, un collaborateur du président de la République et son ami, salarié du parti La République en marche et intermittent de l’Élysée, jouent aux policiers le 1ermai 2018 au Jardin des Plantes et place de la Contrescarpe et, ce faisant, sont susceptibles d’avoir commis plusieurs délits pénaux.

Les conséquences systémiques juridiques, politiques et institutionnelles de ces comportements individuels sont encore difficiles à évaluer. Un mois à peine après leur révélation le 18 juillet 2018 par Le Monde et la découverte subséquente d’une cohorte de bizarreries concernant la fonction occupée par Alexandre Benalla, les privilèges dont il bénéficiait (port d’arme, passeport diplomatique, logement de fonction, accès à l’Assemblée nationale…) et la mise en place d’une escouade « de sécurité » parallèle directement contrôlée par le président de la République, la question se pose encore de savoir s’ils portent en germe une ou des affaires d’État, ou s’ils ne seront au président Macron « que » ce que l’affaire Leonarda – cette jeune collégienne rom autorisée par le président de la République le 19 octobre 2013 à revenir en France alors qu’elle venait d’être expulsée vers le Kosovo avec sa famille – a été pour son prédécesseur à l’Élysée, dont il était alors secrétaire général-adjoint : la marque indélébile de son absence de crédibilité.

Ce qui, sans doute aucun, constitue une affaire d’État porte non pas sur les barbouzeries du duo Benalla/Crase, mais sur leur traitement administratif le 3 mai et l


[1]« Ce que je sais, c’est que, le lendemain, dès qu’ils l’ont su, mes collaborateurs à l’Élysée ont pris une sanction. (…) Cette sanction, elle a été prise, et il m’en a été rendu compte, et elle a été jugée alors proportionnée ».

[2] Les phrases contenues dans la lettre du 3 mai 2018 par lesquelles Patrick Strzoda « invite (Alexandre Benalla) à tirer toutes les conséquences de ces incidents et à faire preuve, à l’avenir, d’un comportement exemplaire. À défaut, je mettrai fin définitivement à votre collaboration au sein des services de la présidence de la République »,  ne peuvent davantage être considérées comme un avertissement disciplinaire : ces termes ne font que reprendre ceux déjà stipulés aux articles 6 (respect des principes déontologiques de la présidence de la République) et 9 (licenciement pour perte de confiance) du contrat de recrutement signé le 15 mai 2017 entre Alexandre Benalla et Patrick Strzoda.  

[3] Voir Le Canard enchaîné du 8 août 2018, qui publie page 3 un fac-similé d’un bristol sur lequel le préfet de police a, le 21 janvier 2018, adressé à son « cher ami » Alexandre Benalla un mot de remerciement pour la photo avec le « couple présidentiel » qu’il lui avait envoyée.

[4] L’on relèvera par analogie que si l’article 11 de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence prévoit que les données informatiques collectées à l’issue de perquisitions administratives doivent être détruites à l’issue d’un certain délai, nul n’est en mesure de contrôler l’effectivité de cette destruction.

[5] Ces recrutements par voie contractuelle de chargés de mission à la présidence de la République sur des emplois non permanents sont des emplois dits « de cabinet » qui échappent au champ d’application du décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 relatif aux agents contractuels de l’État, sauf si le contrat d’engagement prévoit une applicabilité partielle de ce décret.

[6]Voir la déclaration d’Alexis Kohler le 26 juillet 2018, devant la commission d’enquête parlementa

Paul Cassia

Juriste, Professeur de droit public à l'Université Panthéon-Sorbonne (Paris I)

Notes

[1]« Ce que je sais, c’est que, le lendemain, dès qu’ils l’ont su, mes collaborateurs à l’Élysée ont pris une sanction. (…) Cette sanction, elle a été prise, et il m’en a été rendu compte, et elle a été jugée alors proportionnée ».

[2] Les phrases contenues dans la lettre du 3 mai 2018 par lesquelles Patrick Strzoda « invite (Alexandre Benalla) à tirer toutes les conséquences de ces incidents et à faire preuve, à l’avenir, d’un comportement exemplaire. À défaut, je mettrai fin définitivement à votre collaboration au sein des services de la présidence de la République »,  ne peuvent davantage être considérées comme un avertissement disciplinaire : ces termes ne font que reprendre ceux déjà stipulés aux articles 6 (respect des principes déontologiques de la présidence de la République) et 9 (licenciement pour perte de confiance) du contrat de recrutement signé le 15 mai 2017 entre Alexandre Benalla et Patrick Strzoda.  

[3] Voir Le Canard enchaîné du 8 août 2018, qui publie page 3 un fac-similé d’un bristol sur lequel le préfet de police a, le 21 janvier 2018, adressé à son « cher ami » Alexandre Benalla un mot de remerciement pour la photo avec le « couple présidentiel » qu’il lui avait envoyée.

[4] L’on relèvera par analogie que si l’article 11 de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence prévoit que les données informatiques collectées à l’issue de perquisitions administratives doivent être détruites à l’issue d’un certain délai, nul n’est en mesure de contrôler l’effectivité de cette destruction.

[5] Ces recrutements par voie contractuelle de chargés de mission à la présidence de la République sur des emplois non permanents sont des emplois dits « de cabinet » qui échappent au champ d’application du décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 relatif aux agents contractuels de l’État, sauf si le contrat d’engagement prévoit une applicabilité partielle de ce décret.

[6]Voir la déclaration d’Alexis Kohler le 26 juillet 2018, devant la commission d’enquête parlementa