Éducation

Quelle place pour les lab schools, dans le paysage éducatif ?

Psychologue

C’est la rentrée ! L’occasion de découvrir une initiative intéressante de refondation du système scolaire français : les lab schools, écoles laboratoires assistées par des départements de recherche en pédagogie et sciences de l’enseignement. La première lab school publique accueille ses élèves cette année à Montceau-les-Mines, ouvrant ainsi la voie nouvelle des « établissements apprenants ».

L’éducation et les institutions scolaires connaissent actuellement des changements inédits et rapides dans le monde entier. Le contexte socio-économique, en pleine mutation, et les bouleversements qui affectent nos sociétés globalisées obligent les enseignants à faire évoluer leurs pratiques. Mais il faut reconnaître que la tâche n’est pas aisée : ils sont tenus tout à la fois de continuer à permettre aux enfants d’acquérir les bases du socle commun de connaissances, de compétences et de culture, de s’adapter année après année à des réformes imposées bien souvent sans réelle concertation, sans moyens, dans des conditions matérielles et financières de plus en plus dégradées, et enfin, sans bénéficier d’une formation initiale ou continue qui leur donne véritablement les moyens d’exercer leur mission.

Publicité

La situation de la France est particulièrement préoccupante, ainsi qu’en témoignent divers classements internationaux tels que PISA, TIMMS ou PIRLS, qu’il s’agisse de l’incapacité de notre système scolaire à résorber les inégalités ou du niveau des écoliers en lecture et en mathématiques. Les enseignants sont aussi concernés que les élèves : cela fait plus de trois décennies que les médias et la littérature scientifique se font l’écho du « malaise enseignant ». Ainsi que le fait observer le sociologue Bernard Delvaux, « L’École est de plus en plus en décalage avec les évolutions sociétales. Elle évolue peu et lentement alors qu’autour d’elle tout change de manière accélérée. »

Face à ce constat, deux récents rapports soulignent la nécessité et l’urgence d’une transformation des cultures professionnelles dans notre système éducatif. Cédric Villani et Charles Torrossian préconisent de « modifier profondément les cultures professionnelles au sein des écoles » (21 mesures pour l’enseignement des mathématiques), tandis que François Taddei et ses collègues soulignent la « nécessité d’un changement de culture progressif à tous les étages du monde éducatif » (Un plan pour co-construire une société apprenante). À cette fin, les deux rapports proposent de prendre appui sur le concept d’« organisation apprenante », concept qui a émergé dans les années 1990-2000 à partir des travaux de Chris Argyris et de Peter Senge.

L’une des autres pistes proposées, par ailleurs, dans le travail de François Taddei est de « s’inspirer des lab schools pour créer des espaces de recherche de solutions dans chaque structure de la société apprenante » (proposition 14). Le mot lab school renvoie à des réalités très contrastées et il n’existe pas de consensus quant à sa définition. De quelle manière ce modèle originaire d’Amérique du Nord peut-il inspirer ceux qui cherchent à transformer le système éducatif ? Comment l’adapter au contexte hexagonal et le concilier avec d’autres approches existantes ? En France, deux projets au moins s’inspirent déjà explicitement des lab schools : celui du Lycée Parriat de Montceau-les-Mines, qui démarre à la rentrée 2018, et celui de la Lab School Paris, ouverte à la rentrée 2017. De quelle façon les porteurs des projets se sont-ils approprié la notion de lab school ? Quelles similarités et quelles différences entre leurs approches ? Et pour commencer, qu’est-ce qu’une lab school ? 

Qu’est-ce qu’une lab school ?

Une « école laboratoire » (laboratory school) est une école associée à un département d’université ou à une institution qui forme des enseignants. La première a été fondée à la fin du XVIIIsiècle : Rutgers Preparatory, dans le New Jersey, avait pour objectif de préparer les élèves à entrer au Queen’s College, l’université voisine. Au cours du XIXsiècle, ce sont des écoles de formation des enseignants qui ont été développées au sein des universités, à l’image de ce qu’on qualifierait, en France, d’« école d’application », dans lesquelles la recherche n’avait pas nécessairement sa place.

C’est à John Dewey que l’on doit le qualificatif de laboratory school. Il l’a proposé lorsqu’il a ouvert son école, au sein de l’université de Chicago en 1894, la comparant à un laboratoire de recherche comme il en existait en sciences, et ajoutant aux dimensions d’enseignement et de formation, déjà incluses dans les précédentes écoles rattachées aux universités, l’objectif spécifique de recherche, c’est-à-dire, selon lui, qu’il fallait y exposer, tester, vérifier et critiquer les principes et affirmations théoriques, et contribuer aux connaissances nouvelles.

Traditionnellement, trois activités complémentaires sont associées dans une lab school : l’enseignement, la formation et la recherche. La proximité physique entre l’école et le laboratoire de recherche favorise tout naturellement les échanges entre chercheurs et acteurs éducatifs et, par conséquent, entre recherche et applications pédagogiques – un lien qui fait encore souvent défaut en France. Aux États-Unis et au Canada, les lab schools sont le plus souvent privées, mais certaines d’entre elles sont publiques et bénéficient d’un soutien financier de la part des universités qui les accueillent.

Après une période de stagnation durant le XXesiècle, on assiste à un renouveau du mouvement des écoles laboratoires, y compris en dehors de l’Amérique du Nord, notamment via leur association internationale (IALS). Elles partagent l’ambition d’articuler effectivement les dimensions d’enseignement, de formation et de recherche, en lien avec des universités ou des équipes de recherche, et de participer à l’innovation pédagogique. Pourtant, en pratique, la dénomination de lab school renvoie à des réalités très différentes d’un établissement à l’autre en matière de publics, d’organisation, de financement, ainsi que du point de vue des liens avec les structures administratives et politiques. Il est cependant possible d’identifier plusieurs types d’écoles laboratoires : certaines continuent à être avant tout des écoles préparatoires à l’enseignement supérieur, dispensant un enseignement élitiste ; d’autres accueillent essentiellement les enfants des enseignants de l’université à laquelle elles sont affiliées ; d’autres enfin ont été créées avec l’intention spécifique d’accueillir des enfants issus de milieux défavorisés, et de leur fournir un enseignement de haute qualité leur permettant d’avoir les mêmes chances d’accès à l’université que les enfants plus favorisés.

C’est assurément ce dernier modèle qui est susceptible d’intéresser les acteurs éducatifs français confrontés aux inégalités scolaires et à la recherche de nouveaux modèles susceptibles de favoriser la transformation de notre système éducatif et la réussite de tous les élèves. 

Les premières lab schools en France

En 2015, j’ai créé avec quelques collègues chercheurs, enseignants ou parents d’élèves un réseau d’acteurs désireux de mettre la recherche au service de la réussite éducative : le Lab School Network. Il a pour vocation de faciliter la rencontre entre le monde de la recherche et celui des applications pédagogiques, notamment à travers des séminaires, des colloques, des rencontres de partage de pratiques et des événements ouverts à tous. L’un des projets de ce collectif était également, dès l’origine, la création d’une lab school et, si possible, la dissémination du concept dans l’aire francophone.

C’est ainsi que la Lab School Paris, première lab school française, a vu le jour à la rentrée 2017, après deux années d’élaboration du projet, avec l’accompagnement de différents chercheurs du comité scientifique du Lab School Network. Nous étions tous animés par l’espoir de voir également se développer des lab schools dans le public, ou plus largement des écoles où la pédagogie prenne en compte les résultats de la recherche, comme par exemple les écoles du socle. Les échanges ont été particulièrement riches avec André Giordan et Jérôme Saltet, auteurs de Changer le collège, c’est possible ! Et pour nos enfants, c’est urgent !  ainsi qu’avec Frédérique Alexandre-Bailly, alors professeure à l’ESCP Europe, devenue depuis rectrice de l’académie de Dijon.

C’est précisément dans cette académie que sera créée à la rentrée 2018 la première lab school publique, dans le cadre du lycée Parriat de Montceau-les-Mines, grâce à l’impulsion de la rectrice, mais aussi grâce à l’engagement de deux enseignants enthousiastes – Fanny Egger et Yves Leblanc –, au soutien des proviseurs successifs et à l’adhésion de l’ensemblede l’équipe pédagogique. Ce projet associe le laboratoire de recherches de l’université de Bourgogne, l’Institut de recherches sur l’éducation (Iredu), l’ÉSPÉ de Dijon, Canopé et le rectorat de Dijon. Il ne s’agit pas d’une création ex nihilo, mais de la transformation d’un établissement dans lequel étaient déjà menées diverses expérimentations : classes tablettes, projet cogni-classes, seconde interdisciplinaire, classe sans notes, etc.

Plus largement, Frédérique Alexandre-Bailly se propose de « transformer l’académie de Dijon en académie apprenante ». Il s’agit non seulement de développer l’innovation pédagogique avec l’appui des chercheurs et de tisser dans l’académie un réseau d’établissements apprenants labellisés « lab school » pour une durée de trois ans, mais aussi de développer une culture de la formation tout au long de la vie qui s’appuierait sur les dernières avancées de la recherche. L’exemple du lycée Parriat a déjà inspiré d’autres établissements : plusieurs projets sont actuellement en cours d’élaboration dans l’académie, dans d’autres niveaux (collège et école élémentaire).

Ce projet prometteur et ambitieux a été précédé d’un an par la micro-expérimentation que constitue la Lab School Paris. Les différences entre les deux projets sont nombreuses, à commencer par la question du statut, des niveaux scolaires et de l’échelle. D’une part, la Lab School Paris, gérée par une association de loi 1901 dont le siège social est situé à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), est nécessairement hors contrat dans un premier temps, puisqu’il faut cinq ans d’exercice avant de pouvoir solliciter un agrément pour une classe sous contrat. D’autre part, pour la première année, seuls 25 à 30 élèves âgés de 8 à 11 ans ont été accueillis dans une classe multi-niveau de CE2, CM1 et CM2. Cependant, parce que l’école est née dans le cadre du Lab School Network, qui réunit notamment des chercheurs et des enseignants du public, l’équipe de la Lab School Paris entretient naturellement des liens étroits avec l’Éducation nationale, à la différence de la majorité des écoles privées hors contrat, ce qui favorise le partage d’expériences.

L’équipe s’est attachée à mettre en œuvre d’emblée, à toute petite échelle, les trois volets caractéristiques des lab schools : une approche pédagogique et didactique fondée autant que possible sur des données probantes ; l’ouverture à la recherche, avec des protocoles validés, et dans le strict respect des conditions éthiques ; la formation, à travers l’accueil de stagiaires et l’accompagnement de groupes de travail dans l’Éducation nationale. Nous avons ainsi eu, une stagiaire et moi, la chance d’accompagner, dans le cadre de projets soutenus par la CARDIE, une circonscription qui devient « circonscription apprenante » et un groupe de développement professionnel sur le bien-être à l’école.

Des « établissements apprenants » pour transformer les cultures professionnelles

Au-delà de leurs différences, ces deux lab schools participent d’une même dynamique de changement dans le paysage éducatif français. L’élément le plus saillant qui les rapproche est la volonté, partagée par l’ensemble des parties prenantes, d’expérimenter de manière ouverte, d’innover, d’évaluer et de documenter les pratiques pédagogiques en partenariat avec des chercheurs et de partager les expériences entre pairs en vue d’un enrichissement mutuel. On reconnaît là un certain nombre de caractéristiques propres aux « organisations scolaires apprenantes » telles que les présente, par exemple, l’OCDE :

  1. une culture commune dans l’établissement, centrée sur l’apprentissage de tous les élèves
  2. l’encouragement à la formation tout au long de la vie pour l’ensemble du personnel
  3. la valorisation de la collaboration et de l’apprentissage en équipe
  4. une culture de recherche, d’innovation et d’expérimentation
  5. des dispositifs qui favorisent l’échange et le partage de connaissances
  6. l’apprentissage à partir de l’environnement extérieur

La création de lab schools est un moyen parmi d’autres de faire évoluer les cultures professionnelles dans le système éducatif, en associant de manière systémique enseignement, formation et recherche. Encourager leur développement sur l’ensemble du territoire permettrait de réduire le clivage qui existe encore trop souvent aujourd’hui entre les chercheurs et les professionnels de l’éducation, en partant des problématiques rencontrées sur le terrain et en associant l’ensemble des acteurs concernés. Cela permettrait aussi d’accompagner les enseignants désireux d’expérimenter de nouvelles approches pédagogiques, en évaluant les effets des dispositifs mis en place afin de s’assurer de leur efficacité.

Plus largement, s’inspirer des lab schools revient à proposer un changement de posture à tous les niveaux de la hiérarchie, pour devenir des « établissements apprenants », dans des « territoires apprenants », et répondre collectivement à la nécessaire et urgente transformation de notre système éducatif. On le voit : ce changement est déjà à l’œuvre. Il doit se poursuivre et se généraliser pour fournir aux élèves – à tous les élèves –, les moyens de déployer leur potentiel et pour leur offrir la possibilité de devenir, à leur tour, des « apprenants tout au long de la vie ».


Pascale Haag

Psychologue, Maître de conférences à l'EHESS