Éducation

Réconcilier le sensé et le sensible : les enjeux républicains de l’éducation artistique

Sociologue et historien

Françoise Nyssen et Jean-Michel Blanquer doivent présenter aujourd’hui leur « plan d’action commun afin de permettre à tous les enfants de bénéficier d’un parcours d’éducation artistique et culturelle de qualité ». L’éducation culturelle est depuis longtemps, malgré les déclarations et annonces successives, la grande oubliée de l’action publique. Elle remplit pourtant un rôle essentiel pour la démocratie en attribuant un sens et un horizon éthique à l’existence.

Perpétuellement évoquée comme une priorité, l’éducation artistique et culturelle peine à s’imposer. En dépit d’une unanimité toujours croissante, les arguments avancés dans le débat public demeurent incaprévables de convaincre de son utilité profonde. Jamais n’est exposée clairement la corrélation intime que cette éducation entretient avec une nécessité humaine absolument vitale : l’attribution d’un sens et d’un horizon éthique à l’existence.

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En 1789, la République a pourtant été bâtie sur l’idée que chaque citoyen devait porter une part de cette ambition. L’art et la culture se sont alors vus conférer une importance inédite dans la compréhension d’un monde désormais fondé sur la raison et les droits humains. Convaincre à nouveau qu’il existe un lien entre la transmission de l’art et cette ambition républicaine relève d’un enjeu politique majeur pour notre société.

Hémiplégie de l’éducation artistique et culturelle

La faible place faite à l’art dans la scolarité obligatoire traduit l’immense chemin qui reste à accomplir. Sa présence y est principalement assurée par l’enseignement pratique des arts plastiques et de la musique. La théorie et l’histoire de l’art n’y ont qu’une part récente et minime. L’éducation artistique est donc largement hémiplégique : elle ne considère que l’éveil de la sensibilité et de la créativité. Or, au pays de Descartes, seule compte la « raison ». Depuis l’origine, l’école française se caractérise par un profond divorce entre l’imaginaire et la rationalité. Fruit d’un choix effectué dès la fondation de l’instruction publique sous la Troisième République, cette séparation n’eut rien de spontané et elle explique largement l’étrange situation faite à l’éducation artistique et culturelle. À la fin du XIXe siècle, la priorité était de faire triompher la science pour généraliser le progrès matériel. L’art fit alors les frais d’une hégémonie positiviste qui, dans l’éducation, entendait limiter strictement la place de savoirs jugés non


Jean-Miguel Pire

Sociologue et historien, Ancien rapporteur général du Haut Conseil de l'Éducation artistique et culturelle