Éducation

Pourquoi j’ai fait la grève pendant le bac

Enseignante agrégée de Sciences sociales

Le président Emmanuel Macron a parlé récemment de « prise d’otage » pour évoquer la grève des enseignants qui ont décidé de retenir notes et copies du bac de cette année. La formule a choqué, elle vient couronner plusieurs mois de tensions autour de la réforme portée par le ministre de l’Éducation Nationale Jean-Michel Blanquer. Face à ce qu’elle estime être un passage en force, une enseignante et militante syndicale gréviste a tenu à donner, dans AOC, les raisons de son engagement.

La réforme du baccalauréat proposée par le ministre Blanquer veut « remuscler et simplifier le baccalauréat ». Bel élément de langage qui ne résiste pas à l’analyse. Le ministère estime à 80€ par élève le coût actuel d’organisation du baccalauréat. C’est d’abord pour réduire cette dépense qu’Emmanuel Macron avait annoncé cette réforme dès la campagne électorale des présidentielles.

En effet, en juin 2021, il n’y aura plus que 3 épreuves organisées nationalement : le français en épreuve anticipée de première, la philosophie et le « Grand oral » en terminale (contre 12 épreuves en moyenne actuellement sans compter les options). À partir de la prochaine rentrée, toutes les autres disciplines vont être évaluées localement, dans chaque lycée, en cours d’année, dès la classe de première, soit avec des « examens partiels » en décembre et au printemps pour les disciplines du tronc commun, soit, pour les spécialités, avant ou après les vacances de printemps, afin que les notes puissent être prises en compte dans Parcoursup.

L’économie budgétaire réalisée est donc énorme pour le ministère mais le transfert de la charge supplémentaire de travail gratuit, effectuée localement, dans chaque établissement, par les équipes de direction, de vie scolaire et les enseignants sera considérable.

Dès l’année prochaine en première, l’année scolaire va donc être interrompue et régulièrement désorganisée par ces évaluations locales récurrentes qui risquent, en outre, de dégrader la relation pédagogique de confiance entre les enseignants et leurs élèves, puisque, jusqu’à présent, les évaluations en cours d’année, servaient à vérifier les acquis, repérer les lacunes et y remédier et, in fine, faire progresser les élèves jusqu’au baccalauréat final, au bout de deux ans de préparation progressive. Le « bac Blanquer » impose un régime permanent d’évaluation qui peut être contraire aux apprentissages et à l’épanouissement des élèves.

Cette désorganisation permanente de l’année scolaire interrompue et amputée par les semaines de « partiels » en cours d’année conduit à l’impossibilité de traiter correctement[1] et entièrement les programmes toujours aussi encyclopédiques. En effet, ces programmes sont prévus pour une année scolaire théorique de 36 semaines, alors que la tenue des examens partiels locaux au printemps écourtera l’année scolaire à 26 semaines, dans le meilleur des cas, c’est-à-dire, sans compter l’organisation d’examens blancs, de jours dédiés à l’orientation, aux voyages et sorties scolaires, aux jours fériés…

Comme pour les autres services publics (police, justice, hôpital, transports collectifs, infrastructures de loisir, espaces verts…), il existe d’importantes inégalités entre les écoles, collèges et lycées, du fait des inégalités territoriales et sociales grandissantes depuis la crise de 2008 et des politiques d’austérité menées depuis. Le dossier scolaire des bacheliers est donc, malheureusement, déjà entaché de signaux réputationnels redoutables lors de l’orientation post-bac. La réforme du bac Blanquer, au lieu de lutter contre ces inégalités qui affaiblissent l’idéal républicain et l’objectif d’égalité des chances, va les accroitre, puisque 40% de la note du baccalauréat résultera du contrôle continu local.

Un lycée low cost qui tourne le dos à la démocratisation et à l’émancipation de la jeunesse

Comme le nouveau baccalauréat, le lycée Blanquer vise d’abord à récupérer des moyens, à économiser sur la formation des lycéens. Par la simple application de la réforme, 2600 postes vont être supprimés en 2019 au niveau national en collège et lycée, 600 postes dans l’enseignement privé et 400 dans les rectorats. De très nombreuses heures de cours, options et dispositifs à effectifs réduits vont disparaître. Il s’agit d’un plan social qui ne dit pas son nom. En Alsace, à la rentrée 2019, il y aura 1000 élèves de plus en collège et 1100 en lycée sans aucune création de postes. Les classes vont être encore plus surchargées. Cette année, ce sont essentiellement nos collègues vacataires et les heures supplémentaires qui absorbent cette diminution budgétaire dont souffrent les rectorats qui doivent répartir la pénurie de moyens.

La suppression des séries et la mise en avant d’une prétendue liberté de choix des élèves en fin de seconde n’est qu’un tour de passe-passe, un écran de fumée communicationnel pour masquer la dégradation de la qualité des conditions d’enseignements et la dégradation de l’encadrement des élèves.

La liberté de choix proposée aux élèves n’est qu’un leurre, et les élèves et parents de seconde cette année le savent parfaitement. Toutes les spécialités ne sont pas proposées dans tous les lycées, le nombre de places par spécialité est contingenté du fait de la taille des salles de classe et des dotations budgétaires en baisse dans chaque lycée. Sur le terrain, toutes les combinaisons de spécialités ne sont pas possibles. Les élèves peuvent être amenés à changer d’établissement ou à recourir à l’enseignement à distance du CNED en cas d’offre de spécialité manquante ou insuffisante dans leur lycée d’origine.

L’idéologie du libre choix individuel des spécialités place, en fin de seconde, les élèves et leur famille dans une grande insécurité. Il ne faut pas se tromper de choix et de combinaison. Mais comment savoir, 2 ans avant le moment de l’orientation post-bac ce que les formations qui seront alors choisies dans Parcoursup attendront comme spécialités suivies au lycée ? Et les élèves, entre 15 et 18 ans, changent et murissent beaucoup, il faut qu’ils aient le droit à l’hésitation, à l’erreur, à la bifurcation… Le lycée Blanquer est un lycée du tri social, car le libre choix des spécialités proposées aux élèves est un slogan et un piège. Le lycée Blanquer renvoie chaque élève au chacun pour soi, avec des ressources informationnelles et financières inégales selon l’origine sociale et la maturité des élèves. Le lycée Blanquer couplé à Parcoursup prépare des générations d’individus mis en concurrence et en insécurité sociale très précocement.

Le sort réservé aux mathématiques est un symbole éclatant de la logique du lycée Blanquer. On peut le déplorer, mais les mathématiques, sont, dans de nombreuses formations post-bac, une discipline incontournable et sélective. Ne pas offrir les mathématiques en enseignement pour tous en tronc commun et ne proposer qu’une spécialité au choix, qui plus est avec un programme ambitieux, c’est refuser de démocratiser les mathématiques, c’est renforcer l’élitisme dont souffre déjà le lycée général français, construit pour sélectionner une élite destinée aux classes préparatoires, qui ne concernent pourtant que 10% des bacheliers environ.

Autre symbole de l’improvisation et de la précipitation des réformes du ministre Blanquer, la création d’une nouvelle épreuve du baccalauréat dite le « Grand oral ». Il est prévu que les futurs lycéens, entre avril et juin de l’année de terminale, sans encadrement ni aucune heure dédiée à l’emploi du temps, préparent « en autonomie » leur Grand oral. Il s’agira d’un exposé de 10 minutes s’appuyant sur les deux spécialités conservées en terminale, suivi d’un entretien lui aussi de 10 minutes, comptant pour 10% de la note finale du baccalauréat Blanquer, c’est-à-dire autant que les épreuves anticipées de français (écrit et oral). Il existait pourtant cette année encore en première, un dispositif que la réforme aurait pu conserver et étendre en terminale pour former les élèves au Grand oral sur l’ensemble du cycle terminal. Mais la réforme Blanquer ne s’embarrasse guère de la qualité de la formation des élèves. Elle supprime donc les TPE source d’une économie budgétaire considérable. Imaginez : il s’agissait, pour toutes les classes de première, d’un travail de groupe des élèves durant 6 mois, encadré par deux enseignants de deux disciplines choisies par les élèves, à raison de 2 heures par semaine, « un pognon de dingue ».

Enfin, l’obligation pour les élèves, en fin de première, d’abandonner une des trois spécialités est une anomalie surprenante d’un point de vue budgétaire et pédagogique. Pourquoi l’État dépense de l’argent pour offrir en première une spécialité que les élèves seront obligés d’abandonner en terminale, soit un an avant les vœux Parcoursup ? Quel gaspillage de moyens financiers et humains que d’engager des élèves dans la spécialisation d’une nouvelle discipline, si c’est pour les contraindre à l’abandonner au bout d’un an alors qu’ils sont encore en pleine construction de leur fragile et provisoire projet d’orientation ?

Le lycée low cost du ministre Blanquer prône ainsi la concurrence entre les lycées mais aussi au sein des lycées. Le contraire de ce qu’il faut faire pour réduire les inégalités sociales et territoriales entre établissements. Le contraire également si l’on veut promouvoir les projets pluridisciplinaires et inventifs des équipes enseignantes. Puisque les élèves choisissent leurs trois spécialités en fin de seconde, chaque discipline a intérêt désormais à apparaître attractive et rentable en termes d’orientation post-bac. Quid de la culture générale des élèves en fin de lycée ? N’apprend-on que dans un but utilitariste ? Quel genre de relations humaines cette concurrence à tous les étages va-t-elle générer dans les établissements scolaires ?

Un ministre prêt à tout pour sauver son image

Notre ministre Blanquer a été, depuis sa nomination, omniprésent dans les médias. Il est le prétendu « ministre préféré du président Macron et de l’opinion ». Ses éléments de langage couplés à un exercice autoritaire et, ces derniers jours, menaçant du pouvoir et des relations avec le corps enseignant et leurs représentants syndicaux et associatifs, ont déstabilisé et neutralisé beaucoup d’enseignants. Cette façon de mener les réformes de l’éducation, contre ses personnels, c’est-à-dire contre celles et ceux qui vont devoir les appliquer sur le terrain est brutale. Les passages en force, rappelons que le Conseil Supérieur de l’Éducation, organe consultatif indépendant, a rejeté la réforme du lycée et les nouveaux programmes, la surdité face aux mobilisations des lycéens et des enseignants depuis 2 ans (contre Parcoursup d’abord), le simulacre de consultation des enseignants sur les projets de programme… tout cela explique pourquoi des enseignants, ont, pour la première fois, pris la difficile décision de se mettre en grève au moment du baccalauréat. Le baccalauréat, ce symbole, ce totem, ce rituel auquel nos élèves sont tellement attachés.

Les enseignants mobilisés ont réussi, pour la première fois, à mettre le ministre Blanquer en difficulté. Il a eu beau jouer les élèves contre leurs professeurs, les enseignants grévistes contre les non-grévistes, il a eu beau avoir le soutien de nombreux éditorialistes qui n’ont pas hésité à comparer la grève des enseignants à une prise d’otage voire à du terrorisme,  il n’a pas réussi à endiguer l’action collective. Pourtant, il s’en est donné les moyens deux fois.

Une première fois le 1er juillet, à la veille de la date butoir de saisie informatique des notes, il a menacé les enseignants grévistes de retenues rétroactives sur salaire allant jusqu’à 15 jours, comme si ces derniers étaient en grève depuis le retrait des copies et comme s’ils n’avaient pas corrigé, consciencieusement, leurs copies. Cette menace probablement illégale a, autour de moi, eu un fort effet mobilisateur auprès de collègues sceptiques sur le bien fondé de la grève pendant le baccalauréat.

Une seconde fois, le 3 juillet à 20h lors d’un passage à BFM TV où le ministre Blanquer a indiqué que, le lendemain à 8h, lors des délibérations du premier groupe, serait attribuée provisoirement la moyenne annuelle du candidat dans les matières sans note, et ensuite, quand toutes les notes du baccalauréat seraient connues, serait choisie la meilleure des deux. Cette injonction radiotélévisée a conduit à changer les règles du baccalauréat 2019 en cours de réalisation, quelques heures avant que les jurys souverains ne délibèrent. Il s’agit d’un tripatouillage qui ne respecte pas le code des examens. Il s’agit d’une injonction qui rompt brutalement l’égalité de traitement des candidats devant l’examen entre les candidats auxquels on aura choisi la meilleure note parmi 2 et les autres, entre les candidats avec livret scolaire et ceux qui n’en ont pas (candidat libre notamment).

Ce tripatouillage a conduit à de nombreuses irrégularités dans de nombreux centres de délibération car les membres des jurys ont souvent refusé ce bricolage à leurs yeux illégal et inégalitaire et les chefs de centre, sous pression rectorale et ministérielle, ont parfois joué aux apprentis sorciers. Il a choqué le corps enseignant et l’a conduit à s’unir derrière les collègues grévistes. Il a permis de dévoiler l’improvisation et l’autoritarisme du ministre Blanquer, prêt à tout pour sauver la face, y compris à inviter les personnels à falsifier les résultats de nombreux candidats.

De l’École de la confiance…

Réalise-t-on au gouvernement et à l’Élysée ce que signifie, vis-à-vis des candidats au baccalauréat et de leurs enseignants, mais aussi vis-à-vis de la hiérarchie intermédiaire et de l’opinion publique, un tel comportement du Ministre en personne ? Il faut nous imaginer qu’une telle annonce a été étudiée au ministère rue de Grenelle, lors de réunions de crise, par des conseillers imaginatifs mais complètement déconnectés des réalités de terrain. Que fera le ministre Blanquer si les recours au tribunal administratif des candidats lésés pleuvent et mettent en évidence les irrégularités commises par une hiérarchie désemparée, qui a dû, ici ou là, improviser, seule, jusqu’à saisir des « notes » pendant la nuit, pour que les résultats soient proclamés, coûte que coûte, le 5 juillet ? Quelle valeur ce gouvernement accorde-t-il au droit de grève ? Au code de l’Education et au règlement des examens ? Quelle valeur ce gouvernement accorde-t-il au diplôme national du baccalauréat ?

Quand aurons-nous un ministre soucieux du dialogue social, du respect des élèves et des enseignants ? Quand aurons-nous un ministre soucieux d’inspirer confiance aux personnels de l’Éducation nationale du haut en bas de la hiérarchie ? Quand aurons-nous un ministre qui initiera une réforme de l’École cherchant à rassembler une majorité des personnels, un projet ambitieux et enthousiasmant pour l’École, parce qu’il tourne le dos aux seules logiques d’économies budgétaires ? Quand aurons-nous un projet pour l’École renouant avec l’objectif de démocratisation et d’émancipation ?

Je ne veux pas perdre espoir et je vais continuer à me battre, avec mes collègues, et je serai là pour m’investir totalement dans la réussite d’un tel projet pour l’École.

 


[1] C’est-à-dire en laissant le temps à tous les élèves de s’approprier les connaissances et méthodes dont ils auront besoin pour réussir dans le supérieur.

Marjorie Galy

Enseignante agrégée de Sciences sociales, Militante syndicale

Notes

[1] C’est-à-dire en laissant le temps à tous les élèves de s’approprier les connaissances et méthodes dont ils auront besoin pour réussir dans le supérieur.