Pourquoi ont-ils tous peur du postcolonial ?
Pour Edward W. Said (1935-2003)
et James Arthur Baldwin (1924-1987)
Contrairement à Edward Saïd, Homi Bhabha ou Gayatri Spivak, je ne suis pas un théoricien du postcolonialisme, encore moins l’un des grands prêtres de la pensée dite décoloniale et dont l’essentiel des thèses, tout comme au zénith de la théorie de la dépendance (ou de ce que l’on appelait alors « le développement du sous-développement »), nous viennent d’Amérique Latine. Des subaltern studies (un important courant de pensée historiographique né en Inde dans les années 1980), je n’en ai entendu parler qu’au début des années 1990, lorsque je me suis établi aux États-Unis après des études à l’université de Paris I-Panthéon Sorbonne et à Sciences-Po.

C’est vrai, j’ai publié en 2000 un essai intitulé De la postcolonie, une réflexion avant tout d’ordre esthétique qui tirait son inspiration de l’écriture romanesque et de la musique africaine de la fin du XXe siècle[1]. Passé sous silence en France, l’essai fut rapidement traduit en anglais et connut un remarquable succès aux États-Unis et dans les mondes anglo-saxons où il est devenu un classique[2]. Les « études postcoloniales » n’en constituaient pas l’objet. En vérité, il s’agissait d’une contribution à la critique de la tyrannie et de l’autoritarisme, ces facettes souvent inavouées et longtemps réprimées de notre modernité tardive.
J’interrogeais en particulier la manière dont les formations sociales issues de la colonisation s’efforcèrent, alors que les politiques néolibérales d’austérité accentuaient leur crise de légitimité, de forger un style de commandement hybride et baroque, marqué par la prédation des corps, une violence carnavalesque et une relation symbiotique entre dominants et dominés. À ces formations et à ce style de commandement, je donnais le nom de postcolonie, un terme inventé de toute pièce, qui jusqu’à ce jour, du moins à ma connaissance, n’existe d’ailleurs dans aucun dictionnaire français.
Ne me reconnaissant guère dans ces mouvem