Savoirs

Poincaré, Kolmogorov et Un coup de dés jamais n’abolira le hasard

Économiste

L’épidémiologie et la climatologie : deux systèmes physiques qui suivent des trajectoires imprédictibles tout en étant régis par des lois de probabilités calculables. Deux cas classiques de « théorie du chaos », dont le mathématicien Poincaré a posé les fondements il y a plus d’un siècle. À cet égard peut-être a-t-il eu une influence sur l’imaginaire de Mallarmé, un de ses proches amis, et auteur du fameux Un coup de dés jamais n’abolira le hasard. Face au climato-scepticisme et au covido-scepticisme, qu’aurait répondu le poète ?

Dans mon livre Ressusciter quand même. Le matérialisme orphique de Stéphane Mallarmé, et en particulier dans les chapitres consacrés à Un coup de dés jamais n’abolira le hasard, j’émets l’hypothèse selon laquelle les étonnantes intuitions mathématiques de Stéphane Mallarmé résultent largement de ses conversations avec Henri Poincaré. Nous n’en avons aucune preuve par sa correspondance. Mais l’absence de preuve n’est pas la preuve de l’absence. J’ai répété, à la suite de Jean-Luc Steinmetz, qu’il n’y a aucune raison pour que tous les échanges d’idées, toutes les sources d’inspiration de Mallarmé aient fait l’objet d’un écrit, article publié, cahier ou lettre retrouvée.

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Songeons par exemple à la profonde influence d’Alfred de Vigny repérée dans Un coup de dés, où le matérialisme orphique de Mallarmé se déploie dans un dialogue implicite avec l’auteur de La Maison du berger, lequel n’est pourtant cité qu’en deux minuscules incidentes, très significatives il est vrai, dans toutes les Œuvres complètes et l’immense Correspondance complète : « de Vigny, pour qui j’ai un culte » et « Henri de Régnier, qui, comme de Vigny, vit là-bas, un peu loin, dans la retraite et le silence, et devant qui je m’incline avec admiration. » De même, Gérard de Nerval, père du vocabulaire de l’orphisme poétique, n’est jamais cité du tout dans ce que nous connaissons de Mallarmé… mais fraternellement salué par une allusion au dernier vers du Guignon.

Mais le présent texte n’est pas consacré au cœur du Coup de dés, version renouvelée du matérialisme orphique : simplement à son imagerie mathématique. Ce que nous savons : Henri Poincaré était l’un fidèles des Mardi de Mallarmé[1]. Dans la période encadrant l’année de la publication du Coup de dés et de la mort de Mallarmé, 1898, il travaillait précisément sur l’imprédictibilité des évènements pourtant supposés régis par le déterminisme laplacien. Origine de ce qu’à fin du siècle suivant on appellera « théories du chaos », plus préciséme


[1] H. Mondor, Vie de Mallarmé, Gallimard, 1941, p. 698

[2] A. Dahan Dalmelic, J.-L. Chabert et K. Chemla (dir.), Chaos et déterminisme, Le Seuil, 1992.

Alain Lipietz

Économiste, Ancien député européen (Vert)

Notes

[1] H. Mondor, Vie de Mallarmé, Gallimard, 1941, p. 698

[2] A. Dahan Dalmelic, J.-L. Chabert et K. Chemla (dir.), Chaos et déterminisme, Le Seuil, 1992.