Politique

Et si l’avenir de la gauche passait par le polar ?

Politiste

Le roman noir de tradition américaine peut nous aider à réimaginer la gauche, à l’écart des séductions électorales précaires et relatives masquant des dérèglements idéologiques profonds. Et si on commençait par Gone, Baby, Gone de Dennis Lehane (1998) et En attendant le jour de Michael Connelly (2017) ?

Une frêle hirondelle électorale circonstancielle et réversible ne fait pas le printemps. La politique apparaît encore dans le brouillard, et particulièrement à gauche en crise structurelle de sens, en France ainsi que dans d’autres pays sous des modalités variées. Le score de Jean-Luc Mélenchon (auquel j’ai donné ma voix contre l’extrême droite) au premier tour de la présidentielle et les rafistolages de dernière minute de la NUPES (à laquelle j’ai aussi donné ma voix aux deux tours, comme un moindre mal de mon point de vue libertaire) pour les législatives, avec ses résultats inattendus il y a encore quelques mois, ont eu l’avantage pour la gauche de sortir symboliquement la tête de l’eau. Il n’y a, le plus souvent, pas grand-chose à attendre de la politique du pire, celle qui croit gager des « lendemains qui chantent » sur un effondrement préalable.

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L’extrême droite, le brouillard et la gauche d’émancipation

Cependant, au-delà des bons scores de la NUPES, les législatives 2022 expriment un haut niveau d’abstention, en particulier dans les milieux populaires, une mobilité hésitante de secteurs significatifs de ceux qui continuent à voter, un enracinement du vote pour le Rassemblement national et une gauche qui s’installe électoralement dans une position nettement minoritaire (autour de 30 % au 1er tour).

Au passage, la « macronie » aura révélé un visage de cynisme politicien assez banal en participant à détricoter de manière confusionniste la frontière symbolique avec l’extrême droite, par l’assimilation de la NUPES à une position « extrême » hors cadre « républicain », empêchant le plus souvent l’appel à un vote de barrage contre l’extrême droite au second tour, à peine deux mois après avoir dragué… Mélenchon et son électorat au second tour de la présidentielle pour justement faire barrage à Marine Le Pen. Pourquoi un président qui ne peut pas se représenter une troisième fois s’inquiéterait de donner ainsi des ressources à l’extrême droite dans la perspective de 2027 ? Après Jupiter, le déluge… et, avant, le krach éthique !

Les candidats Insoumis ne font guère mieux quant au brouillage de la frontière symbolique avec l’extrême droite, dans la continuité cette fois avec la position de Mélenchon au second tour de la présidentielle, en n’appelant pas à voter contre l’extrême droite au second tour des législatives (exceptée Nathalie Manchado dans le Tarn-et-Garonne), les candidats PS, EELV et PCF de la NUPES étant plus partagés.

Au-delà des scintillements de l’immédiat, le brouillard éthique, idéologique et politique perdure donc au sein des espaces publics. L’ultraconservatisme continue à connaître une dynamique idéologique dans les débats publics hexagonaux et apparaît appuyé involontairement par le développement d’un confusionnisme, entendu comme le développement d’interférences entre des postures et des thèmes d’extrême droite, de droite classique, du « macronisme », de gauche modérée dite « républicaine » et de gauche radicale, depuis le milieu des années 2000

Les jeux de l’extrême droitisation et du confusionnisme se sont même accélérés en 2021-2022, accentuant les dégâts au sein des gauches. Après le stalinisme pour le pôle communiste, reconnu comme une impasse à une échelle large avec la chute du mur de Berlin en 1989, après le néolibéralisme économique pour la social-démocratie à partir du tournant de 1983, dont le quinquennat de François Hollande a constitué une énième et ultime illusion perdue, le confusionnisme a apporté des dérèglements nouveaux dans les repères émancipateurs de la gauche.

Pour tenter de réinventer une gauche d’émancipation, il faut alors pouvoir faire des pas de côté vis-à-vis des intérêts politiciens et de l’assèchement utopique provoqué par l’immersion dans les immédiatetés électorales successives, vis-à-vis du zapping médiatique sur les évidences d’une « actualité » toujours le nez dans le guidon, vis-à-vis des croyances militantes comme des attentes de magie unitaire du côté des sympathisants de gauche. Le polar peut nous y aider, dans son registre propre, dans son « jeu de langage » pourrait-on dire dans le sillage du philosophe Ludwig Wittgenstein, qui n’est pas celui de la pensée politique universitaire ou militante, mais qui, en dialogue avec elle, est susceptible de participer à rouvrir son imagination[1].

Pour initier modestement cette exploration politique hérétique, je m’arrêterai sur deux romans contemporains : Gone, Baby, Gone de Dennis Lehane[2], adapté au cinéma en 2007 dans un film réalisé par Ben Affleck, et En attendant le jour de Michael Connelly[3].

Le social, le sens et le complot chez Lehane

Gone, Baby, Gone appartient à la série dédiée aux détectives Patrick Kenzie et Angie Gennaro. Une petite fille, Amanda McCready, issue d’un milieu populaire dans un quartier ouvrier blanc de Boston marqué par le racisme, a été enlevée. Lehane, lui-même issu de ce milieu, oriente sa critique sur les rapports sociaux-raciaux de domination de manière compréhensive. Par exemple, Helene, la mère célibataire d’Amanda, est « persuadée qu’il existait un projet libéral secret visant à corrompre les honnêtes citoyens américains – projet dont elle ignorait tout, sauf qu’il la privait de la possibilité d’être heureuse et permettait aux Noirs de toucher les allocations chômage ».

Une théorie du complot est ainsi déjà présente à ce niveau, non pas comme organisatrice de l’intrigue, mais dans la socio-psychologie d’un des personnages. Or, c’est un défi important pour la gauche aujourd’hui de trouver des narrations alternatives au conspirationnisme, tout en prenant au sérieux son impact dans les débats publics, alors que les tuyaux rhétoriques complotistes sont abondamment utilisés dans les secteurs les plus radicalisés de l’idéologie ultraconservatrice, c’est-à-dire sa zone « postfasciste » (le « national-socialiste français » Alain Soral, le vichyste islamophobe Éric Zemmour ou le théoricien du « grand remplacement » Renaud Camus).

Au cours de l’enquête de Patrick et d’Angie, on découvre les zones noires de la condition humaine, comme fréquemment dans la tradition du roman noir : « Gerry et Evandro éventraient leurs victimes, les décapitaient, les éviscéraient et les crucifiaient par plaisir ou par cruauté, parce que Gerry en voulait à Dieu, ou juste parce que. »

Or, l’ignoble et le tragique ont trop souvent été marginalisés dans un optimisme béat à gauche. La gauche a à reconquérir un certain pessimisme, non pas pour se couler dans l’inaction fataliste, mais parce que l’émancipation doit, plus lucidement, se coltiner ce que Maurice Merleau-Ponty a appelé l’adversité[4], dans les effets des inerties du monde à l’extérieur de nous et en nous. Le genre noir peut justement beaucoup apprendre à la gauche en matière d’adversité.

Dans le roman de Lehane, on est aussi confronté aux zones grises de tout un chacun : « Nous sommes tous des êtres insaisissables dont les impulsions obéissent à des forces diverses et variées qui, pour bon nombre d’entre elles, échappent à notre propre entendement. »

Fragilités existentielles et fragilités sociales interagissent dans Gone, Baby, Gone. Or, un des axes de la gauche n’est-il pas de traiter politiquement des interactions entre les effets des inégalités et des discriminations sociales, d’une part, et le sens de l’existence, d’autre part ? C’est pourquoi la gauche peut être définie comme tout à la fois sociale et spirituelle. Et même une gauche laïque, surtout une gauche laïque, c’est-à-dire une gauche qui demeure fidèle au principe de base de l’article premier de la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des Églises et de l’État : la liberté de conscience, et non pas une gauche laïcarde obsédée par les religions en général et aujourd’hui par l’islam en particulier.

Peut-on être de gauche au sens de l’émancipation sociale, indissociablement individuelle et collective, sans donner une portée spirituelle à nos actes, c’est-à-dire en posant des problèmes afférents au sens et aux valeurs de l’existence, dans un cadre non nécessairement religieux[5] ?

Cependant, la gauche a eu tendance à oublier ces deux plans, le social et le spirituel, dans la froideur des penchants bureaucratiques des organisations politiques, du carriérisme politicien, des miroitements de l’électoralisme, de l’adaptation aux injustices du capitalisme néolibéral et de l’éloignement des expériences populaires. Or, les dérèglements de l’âme, au sens d’une raison sensible qui casse l’opposition platoniste de l’intelligible et du sensible, confrontée aux dérèglements sociaux constituent bien une des matières principales du polar.

Par ailleurs, complot, question sociale et interrogations éthiques vont se nouer de manière originale à la fin du roman de Lehane en le laissant ouvert sur un doute mélancolique. Tout d’abord, ce complot a la particularité peu fréquente d’être un complot pour le bien, qui ne constitue pas un réducteur d’incertitudes au cœur de l’intrigue, comme dans le cas des manichéismes conspirationnistes, mais un activateur d’incertitudes et de tiraillements moraux. Patrick et Angie apprennent ainsi que c’est un policier, qui a dirigé au départ l’enquête sur le rapt, et sa femme, Jack et Tricia Doyle, qui ont enlevé l’enfant. Ils ont pris Amanda pour la protéger d’une mère droguée, Hélène, qui la mettait quotidiennement en danger.

Angie ne veut pas les dénoncer. « Ils sont gentils avec elle », insiste-t-elle. Et elle ajoute : « Hélène est un poison Patrick. De l’arsenic. […] Elle bousillera tout ce qu’il y a de vivant dans cette petite. » Patrick rétorque : « Cette enfant ne leur appartient pas, Ange […] elle appartient à Hélène. »

Ils s’opposent dans un échange dans lequel Patrick est le narrateur : « — Ce n’est pas à nous de juger, ai-je poursuivi. Ce n’est pas… — Alors qui ? — Pas eux en tout cas, ai-je répondu en indiquant la maison. Ces personnes ont décidé de juger elles-mêmes de l’aptitude des autres à élever un enfant. Mais de quel droit Doyle agit-il ainsi ? »

La réflexivité éthique de nos sociétés individualistes contemporaines ne relève pas seulement du for intérieur de chaque personne, le dispositif narratif retenu, en lui donnant une tournure dialogique, pointe la pluralité des voix en jeu et en interaction. La gauche en perdant de vue le social et le spirituel est en train de perdre de vue l’éthique, une éthique non pas au sens d’injonctions moralistes absolues, mais d’un questionnement supposant un dialogue, en situation. Comme chez Lehane.

Patrick livrera Doyle à la police et Amanda retrouvera sa mère. Angie quittera Patrick. Dans l’épilogue, il retourne voir Amanda et Helene. Il s’aperçoit que cette dernière s’occupe toujours aussi peu de sa fille. D’où l’activation des doutes et de la culpabilité : « Un brusque sentiment de douloureuse lassitude m’a serré le cœur. » Les fragilités éthiques se nourrissent des fragilités sociales, sans pouvoir trancher définitivement et sans remords. Le complot, dans cette configuration, ne constitue pas le lieu principal de l’explication, comme dans le conspirationnisme, mais se présente comme un révélateur de logiques sociales et d’interrogations éthiques qui le débordent. C’est une des voies narratives originales ouvertes par le polar contemporain permettant de se libérer du rouleau compresseur rhétorique de l’hypercriticisme complotiste en retrouvant les chemins d’une critique sociale sensible aux fragilités humaines.

Les maux, le Mal et le complot à l’ère de #MeToo chez Connelly

Dans En attendant le jour, une nouvelle héroïne apparaît chez Connelly : Renée Ballard, inspectrice au LAPD, la police de Los Angeles, comme un autre héros récurrent de Connelly, Harry Bosch. En paraissant en 2017 aux États-Unis (et donc écrit avant), ce polar a précédé de très peu l’ère #MeToo.

Renée, trentenaire, a été placardisée au quart de nuit du commissariat d’Hollywood pour avoir porté plainte contre le lieutenant Olivas, son chef, pour agression sexuelle. Les « affaires internes » du LAPD n’ont finalement pas donné de suite à la plainte. Renée vit dans un van ou dans une tente sur la plage, et, hors travail, s’épuise en pratiquant le paddle. Née à Hawaï, les cheveux blonds et la peau mate, elle est solitaire avec sa chienne Lola, principalement attachée à sa grand-mère Tutu de 82 ans. Son père a disparu en mer sur une planche de surf alors qu’elle était jeune.

Ses enquêtes l’occupent bien au-delà des heures légales de boulot et des consignes de sa hiérarchie. Dans En attendant le jour, elle va suivre en même temps trois affaires : un cambriolage avec vol de carte de crédit, un massacre dans une boîte de nuit et le tabassage d’un.e prostitué.e transgenre. Les choses s’embrouillent. Son ex-coéquipier, Ken Chastain, va être assassiné. Le lecteur, comme Ballard elle-même au départ, aimerait bien qu’un fil transversal unisse les différentes affaires : l’attente d’un Mal unique ou principal qui nous simplifierait la vie. Toutefois l’expérience de maux pluriels complique inévitablement nos existences, comme en écho aux problématiques de l’intersectionnalité.

À un moment elle se retrouve seule face à Olivas : « — Pourquoi mentez-vous ? lui renvoya-t-elle. Il n’y a que nous ici. Ne me dîtes pas que vous vous êtes raconté ça si souvent que vous en êtes arrivé à le croire ! — Ballard, vous… — Nous savons tous les deux très exactement ce qui s’est passé. Vous m’avez clairement fait comprendre, et plus d’une fois, que ma trajectoire dans le service dépendait de vous et que j’allais devoir “assurer” pour ne pas me faire virer. Et, à la fête de Noël, vous me coincez contre un mur et essayez de me coller votre langue dans la gorge. Et vous croyez que me mentir en face va me convaincre que ça n’est jamais arrivé ? »

Sur la base de l’hostilité légitime de Renée vis-à-vis d’Olivas, Connelly va produire un leurre narratif qui va attirer tant Renée que le lecteur : et si le lieutenant harceleur avait aussi une responsabilité dans plusieurs meurtres ? Plusieurs salauds en un seul ? Hypothèse tentante, mais fausse piste ! Les complications du monde vont faire exploser cette interprétation unifiante. C’est un autre flic corrompu qui est dans le coup. Des maux et des salauds ! Et Renée elle-même est affectée par les dérèglements auxquels son travail la confronte.

La docteure Carmen Hinojos, la patronne de l’unité des sciences du comportement du LAPD, lui dit à ce propos : « Votre boulot vous immerge dans les abîmes les plus sinistres de l’âme humaine. […] Plongez dans les ténèbres et c’est aussitôt en vous qu’elles plongent, elles aussi. »

Reconnaissant ses capacités d’investigation, Olivas lui propose de revenir dans son unité. Le sens de sa propre dignité rivé au corps, elle refuse : « Lieutenant, dites à la face du monde ce que vous m’avez fait, reconnaissez-le et je reviendrai travailler avec vous. » Olivas n’en a pas l’intention : il est bien un salaud… mais pas LE salaud intégral qui ferait converger tous les fils du Mal. Qu’est-ce que cela peut dire à la gauche ?

La critique du néolibéralisme économique constitue un acquis de la gauche radicale. Pour ma part, j’y ai participé dès 1983 au sein du mensuel En Jeu dirigé par Didier Motchane situé dans la galaxie de ce qui constituait le principal courant de gauche du Parti socialiste, le CERES. Nous étions peu nombreux à l’époque à résister à ce qui était présenté comme un « réalisme économique ». Cependant, au fil du temps et de l’écho grandissant de la critique du néolibéralisme économique, cette critique a connu un écueil : la diabolisation. Cette tentation de la diabolisation du néolibéralisme économique apparaît implicitement adossée à une politique quasi-théologique du Mal, au sens de la religiosité sommaire des vulgates religieuses et non des riches traditions d’interrogations théologiques.

Dans nombre de discours publics des secteurs critiques de la gauche, « le néolibéralisme » apparaît ainsi comme un monstre attrape-tout à têtes proliférantes. La focalisation sur un Mal supposé principal ou même unique (« le néolibéralisme »), parfois omniprésent et omniscient, dans des schémas à pentes conspirationnistes (« les lobbys », « Davos », « les médias »…), agissant à travers des incarnations elles-mêmes diabolisées (« Sarkozy salaud ! », « Hollande salaud ! », « Macron salaud ! »…), empêche de se coltiner politiquement une pluralité de maux, d’intensité et de dangerosité variables, ayant seulement entre eux des interactions et des intersections (le néolibéralisme et ses dégâts sociaux, mais aussi les dangers écologiques, qui ne sont pas que dérivés de ce dernier, les résistances régressives de l’ordre patriarcal, l’extrême droitisation, l’islamophobie, l’antisémitisme, la négrophobie, l’islamophobie, les islamoconservatismes légalistes et les djihadismes meurtriers, les tendances bureaucratiques et autoritaires de l’étatisme, même dans les États de droit sous une forme modérée, l’impérialisme poutiniste…)

Cette tentation contribue, par ailleurs, à l’attention obsessionnelle contemporaine à penchants complotistes sur des « personnalités », en dégradant la critique sociale structurelle des mécanismes impersonnels contraignant nos vies, comme ceux du capitalisme ou des régimes politiques représentatifs professionnalisés. On se focalise superficiellement sur des adversaires en oubliant les adversités qui enrayent nos actions. Dans l’adversité, il y a donc aussi la façon dont « les ténèbres plongent » en Renée Ballard et la palette des sources impersonnelles des maux qui nous assaillent quotidiennement. C’est notamment sur ce plan que le pas de côté de Connelly peut nourrir le pas de côté d’une gauche d’émancipation à réinventer.

Rouvrir l’imagination politique en rupture avec les fermetures politiciennes

Les rugosités du polar contemporain américain nous éloignent de l’auto-illusionnisme des soirées de bons résultats électoraux… D’ailleurs, si le rééquilibre partiel du pouvoir macronien constitue une bonne nouvelle démocratique, l’avenir de la NUPES demeure incertain. Cela pourrait capoter rapidement en s’avérant ne constituer qu’un pétard mouillé électoraliste. Cela pourrait devenir un des fils importants d’une recomposition dynamique de la gauche partisane, malgré les adhérences confusionnistes répétées de Jean-Luc Mélenchon lui-même (conspirationnisme, ambiguïtés vis-à-vis de l’islamophobie, dans sa période laïcarde jusqu’en novembre 2019, et vis-à-vis de l’antisémitisme, encore récemment, complaisances face au poutinisme, tentations nationalistes, accents autoritaires…)[6], l’histoire prenant souvent des chemins paradoxaux. Cela pourrait également conduire à un approfondissement des perturbations confusionnistes à gauche.

Les deux dernières possibilités ne sont pas exclusives l’une de l’autre : François Mitterrand, figure chérie par Mélenchon, a d’abord été un véhicule de la rénovation de la gauche à partir du congrès d’Épinay du Parti socialiste de 1971 (malgré son passé mi-pétainiste/mi-résistant ou son rôle de ministre de l’Intérieur répressif pendant la guerre d’indépendance algérienne), pour ensuite symboliser son enlisement, social-libéral à partir de 1983, auquel se sont ajoutés les usages de plus en plus « monarchiques » des institutions de la Vème République.

Quoi qu’il en soit, la sortie de la crise intellectuelle, éthique et politique de la gauche supposera des pas de côté vis-à-vis des configurations politiciennes. Ce qui réclamera notamment des syndicalistes, des militants associatifs, des collectifs citoyens, des désobéissants et des expérimentateurs autonomes, actifs et lucides, ainsi que des intellectuels critiques, des artistes explorateurs et des journalistes indépendants ne se laissant pas mélenchoniser comme une partie d’entre eux furent mitterrandisés jadis. Dans cette perspective, les cultures ordinaires (polars, cinéma, séries TV, chansons….) peuvent nous aider à rouvrir l’imagination critique et utopique, en la lestant d’une mélancolie ouverte sur l’avenir tout en atteignant des publics larges.


[1] Voir P. Corcuff, Polars, philosophie et critique sociale, avec des dessins de Charb, Textuel, 2013.

[2]D. Lehane, Gone, Baby, Gone [1e éd. : 1998], Rivages/Thriller, 2003.

[3] M. Connelly, En attendant le jour [The Late Show, 1e éd. : 2017], Calmann-Lévy/Noir, 2019.

[4] Voir M. Merleau-Ponty, « L’homme et l’adversité » [conférence du 10 septembre 1951], repris dans Signes [1e éd. : 1960], Gallimard, 1987, pp. 284-308.

[5] Voir P. Corcuff, Pour une spiritualité sans dieux, Textuel, 2016.

[6] Pour documenter précisément les dérèglements confusionnistes variés et répétés dans les discours de Mélenchon depuis les années 2010, voir P. Corcuff, La grande confusion, Paris, Textuel, 2021, pp. 90-91, 286-288, 361-362, 434-442, 519-521, 551-552, 581-588 et 623-625 ; O. Maruani, « Quelques réflexions sur l’antisémitisme et son déni à La France insoumise », site du collectif Golema, 7 février 2022 ; P. Graulle, « Urkraine : Mélenchon aux prises avec son passé », Mediapart, 26 février 2022 ; ou J.-Y. Pranchère, « Anti-impérialisme ou complicité avec l’agression russe ? », site de la revue Esprit, mars 2022.

Philippe Corcuff

Politiste, maître de conférences de science politique à l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon, membre du laboratoire de sociologie CERLIS

Mots-clés

Gauche

Notes

[1] Voir P. Corcuff, Polars, philosophie et critique sociale, avec des dessins de Charb, Textuel, 2013.

[2]D. Lehane, Gone, Baby, Gone [1e éd. : 1998], Rivages/Thriller, 2003.

[3] M. Connelly, En attendant le jour [The Late Show, 1e éd. : 2017], Calmann-Lévy/Noir, 2019.

[4] Voir M. Merleau-Ponty, « L’homme et l’adversité » [conférence du 10 septembre 1951], repris dans Signes [1e éd. : 1960], Gallimard, 1987, pp. 284-308.

[5] Voir P. Corcuff, Pour une spiritualité sans dieux, Textuel, 2016.

[6] Pour documenter précisément les dérèglements confusionnistes variés et répétés dans les discours de Mélenchon depuis les années 2010, voir P. Corcuff, La grande confusion, Paris, Textuel, 2021, pp. 90-91, 286-288, 361-362, 434-442, 519-521, 551-552, 581-588 et 623-625 ; O. Maruani, « Quelques réflexions sur l’antisémitisme et son déni à La France insoumise », site du collectif Golema, 7 février 2022 ; P. Graulle, « Urkraine : Mélenchon aux prises avec son passé », Mediapart, 26 février 2022 ; ou J.-Y. Pranchère, « Anti-impérialisme ou complicité avec l’agression russe ? », site de la revue Esprit, mars 2022.