écologie

Safari climatique

Artiste et chercheuse

Il y a quelques années, les chasses à l’éléphant de l’ex-roi espagnol Juan Carlos avaient fait scandale ; aujourd’hui, plus de risque : chasser les espèces en voie de disparition est devenu du dernier ringard. Le nouveau safari est climatique. Le riche occidental ne vient plus décimer la faune d’une charmante région tropicale, mais sauver la biodiversité. Peut-être s’amuse-t-il moins, mais il se donne bonne conscience. Parmi cette élite au grand cœur, un certain B, à la tête d’un mastodonte de la vente en ligne, est un adepte particulièrement fervent. Toute ressemblance…

Planète B tente d’appréhender un monstre en pleine expansion : une société du numérique, appelée « ∀ » dirigée par l’entrepreneur « B », en passe d’acquérir le monopole de la vente à l’échelle mondiale. Cette entreprise aux tentacules planétaires se nourrit de la basse résolution et de la vitesse de propagation de l’information appliquées à toute chose, transformant la Terre en un hypermarché-monde. Pourtant, son succès repose sur la production d’une quantité astronomique de produits jetables et bien souvent inutiles.

Obsession du confort

Au XIXe siècle, le chiffonnier parisien était le héros nettoyeur de la ville, dépeint et encensé par les peintres, les poètes et les écrivains de l’époque. Il sombre dans l’oubli lorsque se met en place un système de machines faisant du nettoyage des rebuts de la ville une industrie à part.

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Les cycles de dégradation par putréfaction et de recyclage sans ajouts de chimie, autrefois orchestrés par les réseaux des chiffonniers, vont être remplacés par l’industrialisation du recyclage et le traitement des matériaux pétrochimiques. Pour le dire simplement, à ce moment-là naît la jetabilité des choses – une jetabilité qui n’existait pas auparavant – et émerge la terminologie même du « recyclage » et de ses détournements sémantiques.

Dans son livre Homo confort[1], l’anthropologue Stefano Boni pose la question des dommages collatéraux de l’idéal du confort. Le confort a été et reste sans doute toujours, en Occident, le programme politique par excellence, toujours en contrepoint des projets affichés. Or cet idéal de confort génère une production de choses qui, avec le temps, s’avèrent plus toxiques qu’elles n’y paraissent, mentionnées en petit sur les étiquettes, jamais lues, oubliées ou refoulées. Le confort prime sur la toxicité des milieux de production comme de consommation.

Ce fut comme une boucle rétroactive : la valorisation de cet idéal par les médias a amplifié le besoin de confort et de bien-être en occultant leurs effe


[1] Stefano Boni, Homo confort, Paris, L’Échappée, 2022.

[2] Pierre Cassou-Noguès, La bienveillance des machines. Comment le numérique nous transforme à notre insu, Seuil, 2022.

[3] En 2022, 300 millions d’articles ont été vendus dans le monde pendant deux jours de fête promotionnelle. 100 000 articles sont vendus par minute dont majoritairement des gadgets électroniques. 22 % de « croissance » supplémentaire par rapport à l’année 2021.

[4] L’Atlas du nuage agrège les images des infrastructures d’internet et de ses usages : clics des commandes, usines automatisées, livraisons en flux tendu, hyperconsommation, fluidité des infrastructures, montagnes de déchets, industries extractivistes, promesses d’un monde lisse et sans accrocs où toute chose est atteignable en un clic, où chaque désir promet d’être exaucé et chaque action vouée à être optimisée. De cet immense nuage tombent comme par magie des produits, des plats cuisinés, des chauffeurs, des relations potentielles…

[5] « Le transport aérien américain de produits ∀ a bondi de près de 30 % par rapport à 2018. […] ∀ a été jusqu’à acheter en janvier dernier, pour sa propre compagnie aérienne de fret ∀ Air, 11 gros-porteurs Boeing 767. Au total, avec les avions qu’∀ loue, sa flotte comptabilise actuellement 80 aéronefs. Elle devrait atteindre 200 avions en 2028. » Mickaël Correia, « La politique climatique en carton d’Amazon », Mediapart, 22 décembre 2021.

[6] Emmanuel Bonne, Diego Landivar et Alexandre Monnin, Héritage et fermeture une écologie du démantèlement, Éditions Divergences, 2021.

[7] Alexandre Monnin, Héritage et fermeture une écologie du démantèlement.

[8] Il s’agit de B Earth Fund.

[9] « Il est scientifiquement impossible de compenser les gaz à effet de serre émis lorsque ∀ vous vend et vous livre un colis en plantant un arbre. Pourquoi ? ∀ émet instantanément ce qu’un arbre va mettre une dizaine d’années à absorber. Un arbre met 10 ans à absorber environ 100kg de CO2. Pour absorber les 51,17 millions de

Gwenola Wagon

Artiste et chercheuse, Maître de conférences en Arts plastiques à l'Université Paris 8

Notes

[1] Stefano Boni, Homo confort, Paris, L’Échappée, 2022.

[2] Pierre Cassou-Noguès, La bienveillance des machines. Comment le numérique nous transforme à notre insu, Seuil, 2022.

[3] En 2022, 300 millions d’articles ont été vendus dans le monde pendant deux jours de fête promotionnelle. 100 000 articles sont vendus par minute dont majoritairement des gadgets électroniques. 22 % de « croissance » supplémentaire par rapport à l’année 2021.

[4] L’Atlas du nuage agrège les images des infrastructures d’internet et de ses usages : clics des commandes, usines automatisées, livraisons en flux tendu, hyperconsommation, fluidité des infrastructures, montagnes de déchets, industries extractivistes, promesses d’un monde lisse et sans accrocs où toute chose est atteignable en un clic, où chaque désir promet d’être exaucé et chaque action vouée à être optimisée. De cet immense nuage tombent comme par magie des produits, des plats cuisinés, des chauffeurs, des relations potentielles…

[5] « Le transport aérien américain de produits ∀ a bondi de près de 30 % par rapport à 2018. […] ∀ a été jusqu’à acheter en janvier dernier, pour sa propre compagnie aérienne de fret ∀ Air, 11 gros-porteurs Boeing 767. Au total, avec les avions qu’∀ loue, sa flotte comptabilise actuellement 80 aéronefs. Elle devrait atteindre 200 avions en 2028. » Mickaël Correia, « La politique climatique en carton d’Amazon », Mediapart, 22 décembre 2021.

[6] Emmanuel Bonne, Diego Landivar et Alexandre Monnin, Héritage et fermeture une écologie du démantèlement, Éditions Divergences, 2021.

[7] Alexandre Monnin, Héritage et fermeture une écologie du démantèlement.

[8] Il s’agit de B Earth Fund.

[9] « Il est scientifiquement impossible de compenser les gaz à effet de serre émis lorsque ∀ vous vend et vous livre un colis en plantant un arbre. Pourquoi ? ∀ émet instantanément ce qu’un arbre va mettre une dizaine d’années à absorber. Un arbre met 10 ans à absorber environ 100kg de CO2. Pour absorber les 51,17 millions de