Enseignement supérieur

Enseignant-chercheur, sombre bilan

Politiste

Les récentes et profondes transformations des universités françaises semblent aujourd’hui s’accompagner d’une crise du métier et de la vocation d’universitaire. Bien comprendre ce malaise implique de revenir sur certaines évidences, et notamment sur la prétendue inadaptation des universités, pour mieux saisir les évolutions du métier d’universitaire et le trouble, bien réel, qui affecte ceux qui l’exercent.

D’abord, comme l’ont montré Romuald Bodin et Sophie Orange, l’université française n’est pas à proprement parler « en crise ». D’une certaine manière, elle a même remarquablement résisté aux transformations structurelles qui l’ont bouleversée dans les dernières décennies. Ainsi depuis le début des années 1980, les effectifs des étudiants inscrits à l’université ont doublé (de 800 000 en 1980 à plus d’ 1,6 million en 2016). Actuellement l’université accueille chaque année de 30 000 à 60 000 étudiants supplémentaires. Cette massification des effectifs a conduit dans le supérieur des publics de plus en plus diversifiés du point de vue de leurs origines scolaires et sociales. L’université n’a ainsi cessé d’attirer de nouveaux bacheliers, de former des étudiants qui trouvent un emploi, de diversifier et d’enrichir son offre d’enseignement.

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Les travaux de Romuald Bodin et Sophie Orange, montrent aussi que les taux d’abandon en premier cycle, souvent pointés comme le signe le plus flagrant de « l’échec » du système universitaire, ne sont ni nouveaux, ni spécifiques [1], ni même toujours synonyme d’échec – manifestant plutôt un processus nécessairement long et hasardeux d’orientation. Il est, en outre, difficile de dénoncer l’incapacité de l’université et des universitaires à « s’adapter » à ces mutations, alors qu’ils ont subi dans la dernière décennie de vastes réformes : la loi « Libertés et responsabilités des universités » (LRU) en 2007, la loi « Orientation et Réussite des Étudiants » (ORE) de 2018, les regroupements d’universités dans des COMUE (communautés d’universités et d’établissements), etc. Plutôt que de déplorer la crise de l’université ou l’inadaptation des universitaires, on pourrait plutôt se féliciter que le système universitaire français public continue de fonctionner en accueillant des générations toujours plus nombreuses et à un coût pour les usagers toujours remarquablement faible…

Si le tableau est donc moins noir qu’on pourrait le croire,


[1] Les taux d’abandon dans les classes préparatoires étant par exemple supérieurs, alors qu’un étudiant de « prépa » coûte en moyenne 1,5 fois plus qu’un étudiant d’université.

[2] Alors qu’elle augmente dans les pays de l’OCDE, la dépense moyenne par étudiant a régressé en France depuis 2010, tout comme la part de l’État dans ces dépenses.

[3] Une enquête récente montre que les universitaires travaillent majoritairement au moins 6 jours par semaine (70%) et pour la quasi-totalité (97%) travaillent durant le week-end ou leurs congés.

Éric Agrikoliansky

Politiste, Professeur des universités à Paris Dauphine-PSL et membre de l'IRISSO

Notes

[1] Les taux d’abandon dans les classes préparatoires étant par exemple supérieurs, alors qu’un étudiant de « prépa » coûte en moyenne 1,5 fois plus qu’un étudiant d’université.

[2] Alors qu’elle augmente dans les pays de l’OCDE, la dépense moyenne par étudiant a régressé en France depuis 2010, tout comme la part de l’État dans ces dépenses.

[3] Une enquête récente montre que les universitaires travaillent majoritairement au moins 6 jours par semaine (70%) et pour la quasi-totalité (97%) travaillent durant le week-end ou leurs congés.