« Twin Peaks » ou l’inquiétante étrangeté de l’ordinaire
Le débat s’est éteint de lui-même : la question de savoir si les séries télévisées doivent encore être exclues du champ de la cinéphilie est réglée. Mais aussi bien la confrontation latente qui s’est développée depuis une décennie entre films et séries, ou plutôt entre leurs sectateurs et spécialistes, proclamant l’infériorité essentielle des unes ou la disparition programmée des autres. Dans les deux cas, il s’agit d’abord d’ignorance massive. Jean-Michel Frodon nous démontrait il y a peu, dans les colonnes d’AOC, l’effervescence de la production cinématographique internationale ; quant aux séries, il faut apprendre à les prendre au sérieux comme production esthétique, et c’est bien le cinéma, et notamment le grand cinéma hollywoodien, qui peut nous y éduquer.
Twin Peaks – The Return de Mark Frost et David Lynch, qui reprend le fil de la série culte des années 1990-1991, peut mettre tout le monde d’accord ; c’est clairement une œuvre cinématographique majeure, qu’on y voie une série télévisée, ou un film fleuve de dix-huit heures – car telle est la revendication de David Lynch qui en a réalisé tous les épisodes, oops : les « parties » ; ce qui contraste avec la pluralité remarquable des scénaristes et réalisateurs des deux premières saisons. Dans ce retour qui est bien plus qu’une suite, Lynch articule sans complexe cinéma et TV, comme le démontre, par exemple, le passage vertigineux de la fin de la dix-septième partie où il rejoue à la fois la conclusion du film Fire Walk With Me, quelques instants avant la mort de Laura Palmer ; les premières images du premier épisode de la première saison de Twin Peaks ; et le retour de l’agent du FBI Dale Cooper vers Laura, enfin retrouvée puis perdue de nouveau, plongeant dans la forêt sombre où se joue son destin.
Lynch et Frost avaient inventé la première saison totalement innovante et magnifique de Twin Peaks après la réussite de Blue Velvet, film porté par le même acteur principal, Kyle McLachlan, que l’on retrouve sous di