Enseignement supérieur

Université, sombre bilan

économiste

Deux ans après le début du mandat, le Premier Ministre a annoncé une « loi de programmation pluriannuelle pour l’enseignement supérieur et la recherche » dont l’information essentielle est… qu’il n’y aura pas d’accroissement majeur des financements de l’université en 2020. Alors que l’effort financier consacré à l’enseignement supérieur est beaucoup plus faible en France qu’il ne l’est en moyenne pour les pays de l’OCDE, les universités françaises seront (de nouveau) les mal-aimées budgétaires pour ce quinquennat.

Depuis des décennies, l’enseignement supérieur partage avec la recherche la joie et le privilège de faire l’objet de déclarations d’amour enflammées de la part de tous les gouvernements et du (ou de la) ministre en charge du secteur, à chaque fois que reviennent les discussions budgétaires. Pourtant, dans un article publié ici, et dédié aux financements de la recherche française (ou à son sous-financement, devrions-nous dire), nous avons montré qu’entre les déclarations d’amour et les preuves d’amour, la distance est immense, concluant ainsi tristement notre texte : « bien sûr, le président de la République, ses Ministres et ses soutiens peuvent toujours trouver des chiffres qui permettent de masquer la triste réalité des laboratoires de recherche et du quotidien des chercheurs (…). Certains peuvent les croire comme d’autres peuvent toujours rêver d’amour, quand ils n’en ont que les promesses… »[1]

Qu’en est-il pour l’université et l’enseignement supérieur ? Sont-ils soumis aux mêmes effrois des promesses sans lendemain ou bénéficient-ils d’un véritable engagement ?

La question est loin d’être anecdotique car, comme pour la recherche, les arguments qui plaident en faveur d’un tel engagement sont multiples et solides, souvent consensuels, tant dans le milieu politique que parmi les économistes. Allons vite, vous les connaissez et vous les avez mille fois entendus. Puisque ce secteur concerne au premier plan la jeunesse, il ne s’agit donc pas moins que de l’avenir de notre pays. Et si certains soulignent qu’assurer la transition écologique et la transformation de notre modèle de consommation et de production nécessite des compétences et des qualifications nouvelles, d’autres notent son rôle majeur dans le dynamisme économique, la compétitivité et l’emploi ou mettent en lumière les conséquences sur le travail de la révolution technologique et la polarisation du marché du travail.

Pour les uns, le rayonnement international de notre pays est en jeu, quand d’autres rappellent que l’enseignement supérieur ne se contente pas d’assurer la formation des futurs salariés, qu’il est et doit être un espace de liberté, d’esprit critique, de savoir et de connaissance, jouant un rôle majeur dans la formation des citoyens et dans leur émancipation, mentionnant aussi son lien intime avec la recherche.

Les uns nous parlent de formation des « élites », quand d’autres insistent sur la nécessité de conduire plus de jeunes à un diplôme de l’enseignement supérieur et des jeunes de tous les milieux sociaux. Les uns nous parlent d’« égalité des chances » et de « mérite », d’autres mettent en lumière le rôle clef de l’enseignement supérieur dans les mécanismes de la reproduction sociale et des inégalités. Quoi qu’il en soit, tous convergent sur la nécessité pour un pays comme le nôtre de faire de l’accroissement de son niveau de qualification et de formation une priorité majeure de l’action politique.

Toutefois, lorsque l’on en vient aux moyens nécessaires pour porter tous ces nobles objectifs, arrive en général, sinon le chantage, du moins les « conditions ». Celles des « indispensables réformes » pour « enfin adapter l’université à l’époque » et la « faire entrer pleinement dans le XXe… [ou XXIe, c’est selon] siècle ».

Relisons par exemple la lettre de mission que Nicolas Sarkozy, à peine élu Président de la République adressait à sa ministre, Valérie Pécresse. « Nous considérons que la mission qui vous incombe est parmi les plus importantes et les plus urgentes pour l’avenir de notre pays. Vous bénéficierez des moyens nécessaires pour la mener à bien, mais nous vous renouvelons notre ferme conviction que l’engagement de moyens supplémentaires ne peut en aucun cas nous dispenser de réformes de fond, ni d’un réexamen des moyens aujourd’hui disponibles. »

Et ce fût la loi « Libertés et responsabilités des universités » (dite loi LRU ou loi d’autonomie des universités) en 2007, bientôt suivie par la loi dite « Fioraso » de juillet 2013, instituant notamment les regroupements d’universités dans des COMUEs (communautés d’universités et d’établissements), avant que n’arrive la loi « Orientation et Réussite des Étudiants » (ORE) de 2018. Ces dernières décennies furent donc riches de réformes « structurelles », même si en réalité, elles ne faisaient que prolonger les décennies antérieures qui s’étaient traduites, elles aussi, par des réformes profondes de l’université et de l’enseignement supérieur. [2]

Plus de dix ans après la LRU, le temps de l’évaluation de cette réforme, que la plupart des commentateurs, y compris ceux qui sont éloignés du secteur, s’entendent à considérer comme l’une des « grandes avancées » du quinquennat de Nicolas Sarkozy, est venu. Il faudra y revenir, et les critères objectifs n’autorisent pas un tel enthousiasme, mais tel n’est pas notre objet ici, où nous cherchons déjà simplement à mesurer la distance éventuelle entre « l’amour et ses preuves »… en termes de financements.

  • « Mais de quoi se plaignent-ils ? »

Si l’on regarde le bilan statistique annuel produit par le Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, chaque année on peut y lire une phrase équivalente à celle que l’on trouve dans le dernier : « En 2016, la collectivité nationale (État, collectivités territoriales, autres administrations publiques, ménages et entreprises) a consacré 30,3 milliards d’euros à l’enseignement supérieur, soit une hausse de 1,0 % par rapport à 2015 (en prix constants). » Mais surtout « Depuis 1980, la dépense pour l’enseignement supérieur a connu une forte croissance de 2,7 % en moyenne annuelle. Son poids dans la dépense intérieure d’éducation (DIE) est passé de 15,1 % en 1980 à 20,2 % en 2016. Sur l’ensemble de la période, la DIE au profit du supérieur a été multipliée par 2,6 en euros constants. »

Et chaque année les rapporteurs des lois budgétaires ou les ministres concernés entonnent le même refrain : « En 2017, la DIE de l’enseignement supérieur atteint 31,4 milliards d’euros, soit 20,3 % de la DIE totale et 1,4 % du PIB. Elle est en hausse de 2 % par rapport à l’année précédente ».

Certes, le Ministère concède toutefois un « ralentissement à partir de 2009 », mais franchement de quoi se plaignent-ils ces universitaires et ces étudiants qui chaque année dénoncent les conditions de l’enseignement supérieur et exigent plus de moyens ? Et comment dès lors expliquer, ce que concède le même rapporteur du budget 2019, comme tous ses homologues le font depuis maintenant plusieurs années : « L’analyse des comptes financiers 2017 montre en effet que 8 universités présentent toujours un résultat déficitaire, contre 10 en 2016. Si le nombre d’établissements concernés est en baisse entre 2016 et 2017, le montant total des déficits cumulés, sur le même périmètre, augmente pour s’établir à 26 millions d’euros (20 millions d’euros en 2016). 15 établissements sont également dans la “grille d’alerte” (…). Parmi ces 15 établissements, 6 présentent une situation très dégradée avec des difficultés financières avérées et un risque d’insoutenabilité à court ou moyen terme. »

Depuis dix ans environ, chaque année une dizaine d’universités connaissent une situation « très dégradée », avec un « risque d’insoutenabilité à court ou moyen terme » pour reprendre les termes de la Cour des Comptes.

On peut certes tenter d’expliquer que la faute en revient aux universitaires, mauvais gestionnaires, mais toutefois entrons un peu plus dans le détail et regardons ce qu’il en est réellement.

Un net décrochage international

Tout d’abord, on le sait, les données économiques n’ont en général de signification que dans les comparatifs internationaux. Or, ces derniers font ici mentir Talleyrand, « quand je me regarde, je me désole, mais quand je me compare je me rassure ». Et ce pour deux raisons. Tout d’abord, cet accroissement de la dépense intérieure d’éducation consacrée à l’enseignement supérieur est beaucoup plus faible qu’il ne l’est en moyenne pour les pays de l’OCDE et signe donc un net décrochage français.

En outre, l’indicateur central qui permet de mesurer et de comparer l’effort financier d’un pays pour son enseignement supérieur est la part de la dépense d’éducation en pourcentage du Produit Intérieur Brut. Les derniers chiffres officiels dont on dispose, ceux de 2015, font apparaître des dépenses totales (publiques, privées et internationales) qui s’élèvent à 1,5 % du PIB. Or, ces chiffres nous mettent ainsi, sous la moyenne des pays de l’OCDE (1,52 %) et en 16ème position ! Très très loin derrière les USA qui font la course en tête (2,6 %). Bien loin de l’objectif de 2 % qui avait été porté à de nombreuses reprises par différents acteurs ces dernières années.

En outre, loin de s’améliorer dans le temps, la situation s’aggrave puisque l’on observe une baisse de cet indicateur entre 2010 et 2015 pour notre pays, quand il augmente en moyenne pour les pays de l’OCDE.

Ils furent heureux et eurent beaucoup d’enfants, mais…

En outre ces chiffres ne reflètent pas un autre phénomène majeur de ces dernières décennies : l’accroissement considérable du nombre d’étudiants. Un tel afflux résulte essentiellement de trois phénomènes distincts qui ont joué simultanément ces dernières années.

D’une part, l’accroissement du pourcentage de bacheliers d’une classe d’âge (les fameux 80% de réussite au Baccalauréat) ; or, le baccalauréat ouvrant la possibilité de poursuivre des études supérieures et notamment de s’inscrire à l’université, un nombre croissant d’entre eux ont alors choisi de le faire.

Ensuite, les caractéristiques du marché du travail, notamment l’importance du chômage des jeunes et en particulier pour les non-diplômés, les y ont fortement incité. [3] Enfin, un phénomène démographique bien identifié a joué pour notre pays, puisqu’à partir de 1994, et jusqu’en 2006, on a en effet assisté à une explosion des naissances en France, suivie par trois années de relative stabilité, avant que les naissances ne retombent brutalement à partir de 2010.

Ainsi tandis que le nombre d’étudiants était de 1,181 millions en 1980, il s’élevait à 2,39 millions en 2008, pour atteindre 2,610 millions en 2016. Les estimations faites par le ministère sont de 2,680 millions pour 2017, 2,735 millions pour 2018 et 2,769 millions pour 2019. La dynamique devrait se poursuivre jusqu’en 2024 pour les primo-arrivants à l’université (ceux qui s’inscrivent pour la première fois) selon les estimations du ministère, pour atteindre 2,860 millions en 2027. Ainsi les effectifs ont-ils plus que doublés depuis 1980 (ils ont été multipliés par 2,3). Et depuis 2008, la hausse a-t-elle été de près de 24 %, soit près de 45 000 étudiants supplémentaires en moyenne chaque année, c’est-à-dire presque l’équivalent de deux universités moyennes supplémentaires par an ! Poussez les murs ! [4]

La conséquence directe d’une telle évolution est un effondrement de l’autre grand indicateur permettant les comparaisons internationales sur les financements de l’enseignement supérieur : la dépense annuelle moyenne par étudiant. En effet, certes la DIE consacrée à l’enseignement supérieur a bien augmenté comme nous l’avons vu, mais cela a été à un rythme nettement inférieur à celui des effectifs étudiants.

Les dépenses d’enseignement supérieur par étudiant hors recherche et développement (R&D) s’élevaient en France en 2015 à 10 638 dollars PPA (en Parité de Pouvoir d’Achat), c’est-à-dire sous la moyenne des pays de l’OCDE qui était de 11 202 dollars, nous plaçant ainsi en 11ème position (la première place étant ici aussi occupée par les États-Unis avec 26 817 dollars). En intégrant les dépenses de R&D pour l’enseignement supérieur, notre situation s’améliore un peu puisque le chiffre s’élève alors à 16 145 dollars PPA, ce qui nous permet de passer au-dessus de la moyenne de l’OCDE qui est de 15 656, mais nous laisse toutefois en 13ème position ! Mais surtout, là encore, nous décrochons.

Comme le reconnaît lui-même le Ministère dans son dernier bilan statistique : « pour l’ensemble des pays de l’OCDE, la dépense moyenne par étudiant progresse de 6 % entre 2010 et 2014. En France, sur la même période, elle est en légère baisse, les dépenses d’éducation évoluant à un rythme légèrement inférieur à celui des effectifs. » Cette baisse qui démarre à partir de 2007, se poursuivant d’ailleurs encore en 2016.

Ainsi par exemple, pour la seule année 2019, même les partisans du gouvernement chiffrent à 400 millions l’augmentation budgétaire qui aurait été nécessaire pour faire face à l’accroissement des étudiants (le double pour les syndicats). Et cela sans même tenir compte du fait que cette dernière a conduit sur les bancs (principalement) des universités, des jeunes venant de milieux moins aisés (d’où la nécessité d’un accroissement des bourses et des aides sociales incluses dans la DIE) et qui pour certains, notamment les bacheliers Professionnels, auraient eu besoin d’un accompagnement plus étroit dans leur poursuite d’études.

Notons également ici que le coût par étudiant est bien différent en fonction des filières de formation. Selon les chiffres du ministère pour 2014, il varie ainsi de 10 210 euros en moyenne par an pour un étudiant à l’université quand il s’élève à 15 110 euros pour un élève de CPGE (les classes préparatoires), le différentiel s’expliquant en grande partie par le taux d’encadrement pédagogique (Est-il nécessaire de rappeler que tant les conditions sociales que les antécédents scolaires des étudiants nécessiteraient que le rapport soit inverse).

Et si à partir du début des années 2000, on avait pu constater un rattrapage au profit de l’université (en raison d’une baisse de la dépense par étudiant pour les CPGE), ce mouvement a été stoppé à partir de 2012, en raison d’une part de la baisse du financement par étudiant à l’université et à l’inverse d’une stabilisation du financement des CPGE ! Un comble !

« Agiles », disent-ils !

Par ailleurs, il faut mentionner trois facteurs qui viennent encore aggraver une situation pourtant déjà bien sombre (pour être complet, nous devrions également intégrer d’autres éléments comme les impératifs de numérisation ou ceux liés à l’immobilier universitaire).

Le premier correspond au fait que les réformes qui ont été menées, en général au nom de la « simplification » et pour mettre fin aux « lourdeurs administratives », se sont traduites à l’inverse par un alourdissement du poids, notamment financier, de l’administration au sein des universités. Discours simpliste et caricatural des opposants (toujours « systématiques ») aux réformes (toujours « pragmatiques » et de « bons sens ») diront certains ?

Pourtant la preuve apparaît très simplement lorsque l’on regarde la « nature des dépenses des producteurs de l’enseignement supérieur » données par le Ministère :  en comparant les chiffres de 2008 et ceux de 2016, on constate que « la part consacrée aux personnels enseignants passe ainsi de 51 % à 42 % des dépenses totales, quand celle consacrée aux personnels non enseignants s’accroît de 21 % à 30 % ». [5]

Notons ici que lorsque l’on sait que l’effectif total des enseignants du supérieur, qui s’était fortement accru au cours des années 1990 (+ 50 % de 1992 à 2002), s’est ensuite stabilisé à partir de la fin des années 2000, augmentant de + 4% de 2007 à 2017 (quand à peu près sur la même période 2008-2018 ceux des effectifs étudiants augmentaient de 22 %), on comprend alors sans difficulté que dans une enquête récente consacrée aux enseignants-chercheurs, 70 % d’entre eux ont le sentiment d’être « souvent ou toujours débordés de travail », 27 % « parfois » et seulement 3 % « jamais » ! Il est donc aisé de constater que le nombre d’enseignants pour 1000 étudiants s’effondre automatiquement.

A ce premier facteur aggravant vient s’ajouter le fait que certaines dépenses qui incombent aux établissements universitaires se sont alourdies et que le budget qui leur est alloué par les gouvernements n’en a pas tenu compte.

C’est notamment le cas des dépenses de personnels (qui, on l’a vu, représentent dans l’enseignement supérieur plus de 70% des dépenses totales) avec le GVT (Glissement vieillissement technicité, cauchemar des responsables d’établissements, qui voit le coût de la masse salariale s’alourdir mécaniquement sous l’effet des promotions et des évolutions de carrières, évalué au minimum à 50 millions par exemple cette année) ou avec l’évolution du CAS pension (50 millions pour 2019), comme avec la mise en place d’un plan d’amélioration des carrières des personnels (Protocole parcours professionnels carrières et rémunérations, PPCR, évalué à 30 millions pour 2019).

Enfin, troisièmement, il convient de mentionner le coût supplémentaire liées aux bourses pour les étudiants. Ainsi, selon les données du Ministère pour 2016, le montant des aides de l’État aux étudiants est de 5,5 milliards d’euros, alors qu’il n’était que de 3,1 milliards en 1995, ce qui, si on tient compte de l’inflation, correspond à une hausse de 34,7 % ; cette augmentation s’élève même à 53,3 % pour les aides directes de l’État.

L’arrivée massive d’étudiants de milieu modeste à l’université et la dégradation de la situation économique de certains ménages, liée à la crise de 2007-2008, l’expliquent en grande part. Elle trouve toutefois également son origine dans deux réformes du système des bourses, qui ont accompagné chacune l’une des lois sur l’enseignement supérieur, celle de 2007 et celle de 2013. De telles mesures, parfaitement nécessaires et bienvenues lorsque l’on connaît la situation de beaucoup d’étudiants et que l’on souhaite une démocratisation de l’enseignement supérieur et l’accroissement de la réussite et du nombre de diplômés, [6] a cependant eu deux conséquences financières majeures. D’une part, elle réduit dans la DIE (étant donné le rythme d’évolution de cette dernière) le reste des dépenses d’éducation pour l’enseignement supérieur. [7] D’autre part, cette charge financière a pesé sur les budgets des établissements d’enseignement supérieur et en particulier sur les universités, car elles n’ont pas été pleinement compensées par l’État.

Le « nouveau monde » … triste copie de l’ancien !

« Nous ne parviendrons à véritablement faire entrer notre pays dans le siècle qui vient et à aller de l’avant qu’en reconnaissant la part que jouent la connaissance, la recherche, l’innovation et l’enseignement au cœur de la promesse de progrès qui est celle de la République. » : c’est par ces mots lyriques d’Emmanuel Macron que la Ministre actuelle de l’enseignement supérieur et de la recherche ouvrait cette année sa préface au bilan statistique annuel de son ministère. Certains pourraient donc imaginer que les difficultés financières de l’enseignement supérieur ont disparu avec « l’ancien monde » et que notre jeune et fringuant Président qui nous a promis les « nouvelles Lumières françaises » a enfin apporté à ce secteur les preuves d’amour qui jusqu’alors lui ont tant manqué. Et ce d’autant que la situation économique de la France s’est notablement redressée depuis 2016. Regardons donc ce qu’il en est.

Le défaut des indicateurs avec lesquels nous raisonnions jusqu’à présent est qu’ils ne sont jamais disponibles dans les toutes dernières années, celles qui, précisément, permettent de mesurer si, derrière les promesses d’un gouvernement, il y a de réelles preuves d’amour. Pour saisir la réalité de la situation financière de l’enseignement supérieur, il faut alors analyser d’autres chiffres – les sommes allouées chaque année dans le budget de l’État à l’enseignement supérieur – et étudier leur variation actuelle par rapport aux années antérieures. Nous sommes remonté de 2008, jusqu’à la dernière loi de finances, celle de 2019. [8]

Or, voici les évolutions que l’on constate. Pour 2017, l’augmentation est de +3,48 % (notons toutefois qu’il s’agit du dernier budget de « l’ancien monde » et que ce dernier rompt avec les années précédentes où les hausses n’avaient été que de +2,27 % en 2012, +2,71 % en 2013, +0,6 % en 2014, 0,24 % en 2015 et +0,6 % en 2016). Mais la suite est nettement moins glorieuse : +1,37 % en 2018 et +0,97 % en 2019. D’autant qu’il faut tenir compte de l’inflation qui redémarre ; on trouve alors les variations suivantes : +2,5 % en 2017, mais une baisse en 2018 de -0,4 %, suivie d’une très légère hausse en 2019 (+0,7%) !

Et si l’on tient compte de l’augmentation du nombre des étudiants, on constate alors que la baisse continue des dépenses par étudiant que l’on observe depuis maintenant 2010, se poursuit, comme inexorablement ! Entre 2010 et 2019, elle a baissé de près de 12 % ! [9] Oui, Thomas Piketty avait raison de parler de « jeunesse sacrifiée » ! [10]

Face à ce tableau bien sombre, on comprend que la tentation ait été forte d’augmenter les frais d’inscription, ce que le gouvernement a commencé à faire pour les étrangers extra-communautaires. Mesure, non seulement profondément inique, mais également inefficace d’un point de vue économique, ainsi que nous l’avons montré dans un texte antérieur.

Certains nous chantent aussi le refrain du « grand chantier des ressources propres » des universités, entonné dès 2007 par le gouvernement Sarkozy. Toutefois (et ce indépendamment même de la question des inégalités territoriales que cela pose, voire de celle d’indépendance de la recherche face aux lobbys), il semble difficile d’imaginer, sauf à croire aux miracles, que la solution viendra de là ; en effet, en 2017, les ressources propres des universités ne représentaient que 2,2 milliards d’euros, (c’est-à-dire 16 % de leur budget de fonctionnement) et surtout elles n’ont augmenté que de 10 millions d’euros par rapport à 2014.

Les partisans de notre jeune et fringant Président nous diront bien sûr que les lendemains chanteront bientôt ; le Premier Ministre n’a-t-il pas en effet annoncé une « loi de programmation pluriannuelle pour l’enseignement supérieur et la recherche » ? Deux ans après le début du mandat, certes, mais mieux vaut tard que jamais. Pourtant, nous l’avions dit au sujet de la recherche, la principale information de cette annonce est en réalité … qu’il n’y aura pas d’accroissement majeur des financements en 2020 et que le gouvernement signera un engagement que ses successeurs pourront défaire.

Alors bien sûr, comme nous le disions au sujet de la recherche, le président de la République, ses Ministres et ses zélateurs zélés peuvent toujours trouver des chiffres qui permettent de masquer la triste réalité des universités, des étudiants et des universitaires. Certains peuvent ici aussi les croire, comme d’autres peuvent à nouveau rêver d’amour, quand ils n’en ont que les promesses… Pour nous, à défaut de preuves d’amour, il nous faut donc tristement nous « contenter » des réformes, qui avaient été présentées comme les « conditions », nous l’avons dit, des engagements financiers qui ne sont jamais venus.

 


[1] Référence à une déclaration de Valérie Pécresse à l’Assemblée nationale, le 10 février 2009, lors du grand mouvement de protestation des universitaires : « Il n’y a pas d’amour sans preuves d’amour et des preuves à la communauté universitaire, nous en donnons tous les jours. »

[2] La loi dite « Edgard Faure » de 1968, celle dite « Savary » de 1984, la Loi sur la recherche de 1999, la réforme LMD de 2004 et la Loi de programmation sur la recherche de 2006.

[3] Un autre facteur a également joué un rôle : l’inscription dans les universités des étudiants en CPGE (les classes préparatoires) renforcée par la loi de 2013, dite loi Fioraso.

[4] Même si la part de l’université décroît, au profit notamment de l’enseignement supérieur privé, elle reste très élevée nous l’avons vu, et subie donc elle aussi, étant donnée son poids, cet accroissement considérable des effectifs étudiants. Ainsi que cela apparaissait dans une note du Ministère de 2017 : « Concentré sur quelques années, l’afflux d’étudiants à l’université a été massif : hors doubles inscriptions en CPGE, les effectifs à l’université ont augmenté de 9,6% en 5 ans – soit 137 700 étudiants supplémentaires – contre +3,8% (soit +52 900 étudiants) durant la période quinquennale précédente. »

[5] Quatre facteurs principaux se sont combinés pour produire une telle évolution : l’autonomie de gestion dévolue aux universités lors de la LRU et qui s’est traduit par un transfert des services du ministère vers les établissements universitaires de certaines tâches administratives, l’apparition de nouvelles institutions (PRES puis COMUEs, mais aussi toutes celles créées par les Investissements d’Avenir : Idex, Labex, Idefi, etc.) qui sont venues se surajouter à celles déjà nombreuses qui caractérisaient le paysage institutionnel français, les modifications du financement de la recherche par un recours systématique aux appels à projet, la dévolution de nouvelles missions aux universités, sans compter la multiplication des stages, des dispositifs d’accompagnement des étudiants (du type tutorat), ceux de recrutement (notamment avec Parcoursup) et d’accueil (les journées portes ouvertes par exemple qui se sont systématisées), mais aussi d’évaluation et de professionnalisation des formations, etc.

[6] Les esprits les plus critiques souligneront que les motivations du gouvernement en 2007 étaient probablement en grande part tout autres et que cette avancée pour les étudiants a opportunément permis au gouvernement de stopper un mouvement de protestation des étudiants contre la LRU.

[7] Et cet effet est loin d’être négligeable puisque nous l’avons dit les bourses en 2016 s’élevaient à 5,5 milliards d’euros pour une DIE enseignement supérieur de 30,3 milliards.

[8] Pour les spécialistes des bleus budgétaires, nous avons pris en compte les deux principaux programmes de ce que l’on appelle la MIRES, le programme 150 « Formation et recherche universitaire » et le programme 231 « Vie étudiante » (en CP, Crédits de Paiement). Nous avons en effet considéré qu’il était important de tenir compte de ce second programme étant donné ce qui a été dit précédemment sur les bourses. Cela différencie nos calculs de ceux faits (jusqu’en 2018) par Thomas Piketty dans un article de 2017. L’intégralité des données est disponible sur la page Facebook de l’auteure.dans un post du 2 juin 2019, ici.

[9] Les chiffres de la dépense par étudiant calculée à partir des lignes 150 et 231 de la MIRES et en tenant compte de l’inflation sont les suivants : 2008 : 6562 ; 2009 : 6566 ; 2010 : 6662 ; 2011 : 6530 ; 2012 : 6470 ; 2013 : 6439 ; 2014 : 6375 ; 2015 : 6187 ; 2016 : 6072 ; 2017 : 6061 ; 2018 : 5915 ; 2019 : 5884. Implacable !

[10] L’une des conséquences les plus préoccupantes de cette situation financière concerne l’emploi. Faute de financement, les universités ne parviennent plus à recruter et on a pu assister ainsi sidérés a une baisse de 35 % sur la période 2008-2016 des recrutement de Maîtres de conférences.

Isabelle This Saint-Jean

économiste, Professeure à l'université Sorbonne Paris-Nord

Notes

[1] Référence à une déclaration de Valérie Pécresse à l’Assemblée nationale, le 10 février 2009, lors du grand mouvement de protestation des universitaires : « Il n’y a pas d’amour sans preuves d’amour et des preuves à la communauté universitaire, nous en donnons tous les jours. »

[2] La loi dite « Edgard Faure » de 1968, celle dite « Savary » de 1984, la Loi sur la recherche de 1999, la réforme LMD de 2004 et la Loi de programmation sur la recherche de 2006.

[3] Un autre facteur a également joué un rôle : l’inscription dans les universités des étudiants en CPGE (les classes préparatoires) renforcée par la loi de 2013, dite loi Fioraso.

[4] Même si la part de l’université décroît, au profit notamment de l’enseignement supérieur privé, elle reste très élevée nous l’avons vu, et subie donc elle aussi, étant donnée son poids, cet accroissement considérable des effectifs étudiants. Ainsi que cela apparaissait dans une note du Ministère de 2017 : « Concentré sur quelques années, l’afflux d’étudiants à l’université a été massif : hors doubles inscriptions en CPGE, les effectifs à l’université ont augmenté de 9,6% en 5 ans – soit 137 700 étudiants supplémentaires – contre +3,8% (soit +52 900 étudiants) durant la période quinquennale précédente. »

[5] Quatre facteurs principaux se sont combinés pour produire une telle évolution : l’autonomie de gestion dévolue aux universités lors de la LRU et qui s’est traduit par un transfert des services du ministère vers les établissements universitaires de certaines tâches administratives, l’apparition de nouvelles institutions (PRES puis COMUEs, mais aussi toutes celles créées par les Investissements d’Avenir : Idex, Labex, Idefi, etc.) qui sont venues se surajouter à celles déjà nombreuses qui caractérisaient le paysage institutionnel français, les modifications du financement de la recherche par un recours systématique aux appels à projet, la dévolution de nouvelles missions aux universités, sans compter la multiplication des stages, des dispositifs d’accompagnement des étudiants (du type tutorat), ceux de recrutement (notamment avec Parcoursup) et d’accueil (les journées portes ouvertes par exemple qui se sont systématisées), mais aussi d’évaluation et de professionnalisation des formations, etc.

[6] Les esprits les plus critiques souligneront que les motivations du gouvernement en 2007 étaient probablement en grande part tout autres et que cette avancée pour les étudiants a opportunément permis au gouvernement de stopper un mouvement de protestation des étudiants contre la LRU.

[7] Et cet effet est loin d’être négligeable puisque nous l’avons dit les bourses en 2016 s’élevaient à 5,5 milliards d’euros pour une DIE enseignement supérieur de 30,3 milliards.

[8] Pour les spécialistes des bleus budgétaires, nous avons pris en compte les deux principaux programmes de ce que l’on appelle la MIRES, le programme 150 « Formation et recherche universitaire » et le programme 231 « Vie étudiante » (en CP, Crédits de Paiement). Nous avons en effet considéré qu’il était important de tenir compte de ce second programme étant donné ce qui a été dit précédemment sur les bourses. Cela différencie nos calculs de ceux faits (jusqu’en 2018) par Thomas Piketty dans un article de 2017. L’intégralité des données est disponible sur la page Facebook de l’auteure.dans un post du 2 juin 2019, ici.

[9] Les chiffres de la dépense par étudiant calculée à partir des lignes 150 et 231 de la MIRES et en tenant compte de l’inflation sont les suivants : 2008 : 6562 ; 2009 : 6566 ; 2010 : 6662 ; 2011 : 6530 ; 2012 : 6470 ; 2013 : 6439 ; 2014 : 6375 ; 2015 : 6187 ; 2016 : 6072 ; 2017 : 6061 ; 2018 : 5915 ; 2019 : 5884. Implacable !

[10] L’une des conséquences les plus préoccupantes de cette situation financière concerne l’emploi. Faute de financement, les universités ne parviennent plus à recruter et on a pu assister ainsi sidérés a une baisse de 35 % sur la période 2008-2016 des recrutement de Maîtres de conférences.