Éducation

Bilan de l’année scolaire : Blanquer, un Conducator au petit pied ?

Historien

Députés et sénateurs sont parvenus à un accord sur une version commune du projet de loi sur l’école. Si certaines mesures polémiques, telle que la suppression des allocations en cas d’absentéisme, ont été retirées Jean-Michel Blanquer est parvenu à imposer « en marche forcée » deux mesures inquiétantes pour le corps enseignant : la suppression du CNESCO et l’article sur la « retenue » d’expression dans la sphère publique des personnels de l’École. L’occasion d’un bilan de l’année scolaire écoulée et d’un bulletin de notes pour le ministre-conducator « au petit pied ».

L’année scolaire 2018-2019 se termine ; et c’est l’heure du bilan, mais aussi de la parution rituelle de la « circulaire de rentrée » de l’année scolaire suivante. Jean-Michel Blanquer s’est tout à fait distingué dans cet exercice par ses recommandations pédagogiques autoritaires à propos du « lire, écrire, compter » et de l’école maternelle. On peut noter en particulier les trois pages qu’il a écrites pour « Guider l’apprentissage des gestes graphiques et de l’écriture ». C’est sans précédent et ahurissant pour un ministre de l’Éducation nationale qui s’accorde toute légitimité (en vertu de quelles compétences, quelles capacités ?) pour faire des recommandations détaillées en déniant de fait l’expertise pédagogique des enseignants. Aurait-on un nouveau « génie des Carpates » qui sait tout sur tout rue de Grenelle, un génial « petit père » de la « maternelle » ?

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Il est vrai que la promotion de la « maternelle », ou plutôt d’une « instruction préélémentaire » obligatoire à partir de l’âge de trois ans est l’une des nouveautés (et des surprises) de l’année scolaire 2018-2019. En avril 2019, devant la « Commission de la culture, de l’éducation et de la communication » du Sénat, le ministre de l’Éducation nationale a dûment déclaré qu’il allait « donner le sens » de sa « loi pour une École de la confiance » : « cette loi est profondément sociale […]. C’est d’abord évidemment le cas de la mesure la plus emblématique, celle qui porte la loi, c’est-à-dire l’abaissement de l’âge de l’instruction obligatoire à trois ans ».

Cela est d’autant plus étonnant que « cette mesure la plus emblématique et qui porte la loi » ne figurait d’aucune façon dans le programme d’Emmanuel Macron lors de l’élection présidentielle. Il était simplement dit à « l’objectif 2 » : « Donner la priorité à l’apprentissage des fondamentaux « lire, écrire, compter » dans le pré-scolaire, en maternelle et en primaire […]. Demain : un accompagnement renforcé et une individualisation des apprentissages dès la maternelle afin de donner la possibilité de réussir ». Et pas un mot de plus.

On comprend d’autant mieux la formule évasive employée par Jean-Michel Blanquer lors de son audition (« cette mesure a été portée par différents groupes politiques dans le passé ; nous la faisons ») lorsqu’on saisit que le Chef de l’État actuel avait été le seul des cinq candidats les plus importants à n’envisager aucun abaissement de l’âge de l’instruction obligatoire lors de l’élection présidentielle…

Marine Le Pen et François Fillon avaient en effet proposé d’avancer d’un an l’obligation d’instruction avec surtout l’objectif de séparer les 3 et 4 ans d’une scolarisation réelle, d’affaiblir le recours à l’école maternelle et de favoriser le rôle des familles. De l’autre côté de l’échiquier politique, Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon proposaient d’abaisser l’âge de l’instruction obligatoire à trois ans avant tout pour « sécuriser » au mieux la maternelle.

Mais c’est aussi une « double » surprise parce que Jean-Michel Blanquer avait déclaré urbi et orbi en arrivant à la tête du ministère de l’Éducation nationale : « Il n’y aura pas de “loi Blanquer”, et j’en serai fier » (le 26 mai 2017, au congrès de la Fédération des parents d’élèves de l’enseignement public). Certes, Blanquer faisait alors dans la « modestie ostentatoire » (un oxymore…) en excipant d’une exceptionnalité qui n’a d’ailleurs aucun fondement historique puisque durant toute la cinquième République, seulement sept ministres de l’Éducation nationale (sur les trente-quatre qui se sont succédés) ont donné leur nom à une loi scolaire…

Ce projet de loi est apparu comme étant de bric et de broc, un projet de loi fourre-tout et attrape-tout composé de 25 articles hétéroclites.

Maintenant, en cette fin de l’année scolaire 2018-2019, il en va tout autrement au moment où il apparaît désormais que sa « loi pour une École de la confiance » va être votée (après certes bien des péripéties). Il s’agit donc de mettre par-dessus tout (ou pour recouvrir « le tout »), le symbolique. Et quel symbole : prolonger l’obligation d’instruction en amont de trois ans (comme l’avait fait, en aval, le général de Gaulle, mais seulement de deux ans, lui) et dans la même veine que l’instauration de l’obligation d’instruction due à l’emblématique Jules Ferry ! Une loi « historique » on vous dit ! Même si le seul changement patent est l’obligation faite désormais aux communes de participer au financement des classes préélémentaires des écoles privées sous contrat à hauteur de celles des écoles publiques. Et une éventuelle fréquentation plus régulière de l’école maternelle par les 98% des enfants qui y sont déjà inscrits actuellement dès l’âge de trois ans.

Mais le projet de « loi pour une École de la confiance » ne s’est pas limité à « l’obligation d’instruction à partir de trois ans », loin s’en faut. Et cela a suscité des tohus-bohus multiples, intenses et qui ont duré longtemps, aussi bien chez les enseignants que parmi les élus parlementaires ou locaux. D’autant que ce projet de loi est apparu comme étant de bric et de broc, un projet de loi fourre-tout et attrape-tout composé de 25 articles hétéroclites (les uns apparaissant comme de simples commodités, d’autres pouvant être considérés comme potentiellement lourds de menaces, sans compter certains articles pouvant soigner avant tout la vanité du ministre).

Le manque de « colonne vertébrale » (et de « sens d’ensemble ») du projet de loi « Blanquer » a favorisé la prolifération et la diversité échevelée des amendements déposés. On n’avait jamais vu cela, pour une loi de cet ordre. Et beaucoup de commentateurs l’ont relevé à leur façon. On peut même citer des parlementaires, et non des moindres. Patrick Hetzel, député LR demande le lundi 11 février 2019 au nom de son groupe un retour en commission du projet de loi : « De ses articles émerge un fourre-tout de mesures […]. Un projet de loi, inabouti, inachevé et dangereux ». Et Frédéric Reiss, député LR, surenchérit : « Sur des questions essentielles […] le texte apporte des réponses inadaptées, incomplètes voire contradictoires ».

Jean-Michel Blanquer : un drôle de « Conducator » à l’usage. Non pas un grand navigateur de haut-vol connaissant manifestement le cap à prendre et la façon d’y parvenir, mais un adepte du « cabotage » (joint à un « cabotinage » incessant dans les médias pour faire valoir le moindre de ses mouvements).

Deux articles figurant dans le projet initial ont particulièrement retenu l’attention et ont été (et sont toujours) l’objet de préoccupations qui minent manifestement la « confiance » d’une partie importante des personnels de l’École (une « confiance » pourtant revendiquée symboliquement dans l’intitulé même de la loi). Ces deux articles sont en relation directe avec l’attitude « Conducator » de Jean-Michel Blanquer (même s’il s’agit d’un « Conducator au petit pied », car il n’y a pas de « grand dessein » en vue) : l’article 9 qui supprime le CNESCO (c’est-à-dire un organisme indépendant d’évaluation des politiques scolaires mises en oeuvre) et l’article 1 destiné à la « retenue » d’expression ( le « devoir de réserve ») dans la sphère publique des personnels de l’École. Jean-Michel Blanquer a tenu bon pour l’essentiel en ce qui concerne ces deux articles parce qu’il y tenait au premier chef : ils sont de nature à limiter les mises en cause possibles de sa politique scolaire…

Ce n’est pas sans raison que la « retenue » dans l’expression publique des personnels (et « l’exemplarité ») figure en tête de la loi. Et l’on doit noter que la seule question qui nécessitait vraiment de passer par la loi était celle de la suppression du CNESCO (et de la mise en place d’un autre organisme d’évaluation non pas désormais des politiques scolaires mais…des établissements voire des personnels, avec une composition et un mode de nomination pour l’essentiel à la botte du ministre). On voit ce qui est vraiment important pour le ministre actuel de l’Éducation nationale.

Dans la dernière période, des groupes d’enseignants se sont constitués, multipliant les modes d’action mais sans parvenir à avoir un écho national.

Il faut dire aussi que l’une des nouveautés (voire des surprises) principales advenues durant l’année scolaire 2018-2019 est la montée en puissance de mouvements contestataires (hors syndicats) et leur diversité. Ces nouveaux « réseaux sociaux en mouvement » ont souvent défrayé la chronique ; et ils continuent de le faire en cette toute fin d’année scolaire, y compris au moment même du baccalauréat où ils sont indéniablement à l’initiative même s’ils sont loin d’être tout-puissants et hégémoniques.

Ainsi, dans la dernière période, des groupes d’enseignants se sont constitués, reliés les uns aux autres par un collectif baptisé « La Chaîne des bahuts ». Ils ont échangé sur WhatsApp ou par mail, en multipliant les modes d’action (démission des postes de professeurs principaux, 20/20 à tous les élèves, voire grèves locales prolongées…), mais sans parvenir à avoir un écho national. Jusqu’à ce qu’un autre collectif, les « Stylos rouges » (créé en décembre 2018 à l’instar des « Gilets jaunes », mais loin d’eux) publie le 25 mai dernier un appel à boycotter le baccalauréat. Sans oublier « Pas de vague », lancé à l’automne 2018. C’est d’ailleurs dans ce contexte initial assez nouveau quant aux formes d’expression et d’action que Jean-Michel Blanquer a concocté sa loi…

Il reste à se demander où l’on en est pour ce qui concerne les deux grands axes annoncés par Emmanuel Macron lui-même dès l’élection présidentielle : à savoir la réforme des lycées et des baccalauréats d’une part, la priorité donnée aux REP et à l’apprentissage des savoirs dits fondamentaux d’autre part. C’était une mesure-phare du programme présidentiel d’Emmanuel Macron : « Nous diviserons par deux les effectifs des classes de CP et de CE1 en REP et REP+, mesure la plus importante prise en faveur de l’éducation prioritaire depuis la création des ZEP en 1981 ».

Cette année, lors de sa conférence de presse du 25 avril 2019, le président de la République a annoncé un autre train de mesures en faveur de l’école primaire : dédoublement étendu aux « grandes sections » de maternelle en REP et REP+ ; maxima de 24 élèves par classe pour toutes les « grandes sections » de maternelle, le cours préparatoire et le cours élémentaire première année ; suspension des fermetures d’écoles (sauf demande du maire) jusqu’à la fin du quinquennat.

Durant l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle, le candidat Emmanuel Macron avait déclaré : « mon projet est de concentrer les moyens sur l’école primaire […]. La mère des batailles, c’est l’école primaire ». Le président de la République Emmanuel Macron n’a laissé à personne d’autres le soin d’initier « la mère des batailles » et de décider son amplification. Le ministre de l’Education nationale Jean-Michel Blanquer s’est exécuté dans l’ensemble (non sans retombées collatérales sur l’encadrement d’autres classes du primaire ou d’autres degrés de l’École ; et avec parfois une certaine incapacité à remplir l’objectif, comme en Seine-Saint Denis durant cette année scolaire notamment). Cela risque de devenir encore plus « difficile », dans le cadre en particulier des recrutements actuels de professeurs. On verra.

En revanche les indications du programme présidentiel données à propos de la « réforme du lycée » ont été assez évanescentes. Et le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer a pu s’en donner à cœur joie.

La réforme du lycée en cours a pour originalité de combiner le principe du projet de réforme du baccalauréat de François Fillon en 2005 et le principe foncièrement « modulaire » du projet initial de réforme du lycée de Xavier Darcos de 2008. Il s’agit (et le ministre de l’Éducation nationale actuel le revendique hautement) de rompre avec la logique de différenciation dominante selon des filières qui a été instituée dès les débuts de la cinquième République (juin 1965 : mise en place des filières générales A,B,C,D,E ; et des filières technologiques F, G, H ).

Jean-Michel Blanquer sait qu’il pourrait peut-être ainsi se faire un nom dans l’Histoire de l’éducation. Et il y va « en marche forcée » (y compris par un renouvellement précipité des programmes de lycée), en dépit du fait que cela inquiète même les organisations syndicales qui ne sont pas « vent debout » contre cette réforme. De son côté, un demi-siècle après avoir lancé en février 1965 une grève administrative exceptionnelle (au baccalauréat et au brevet) contre la mise œuvre du système des filières, le SNES a appelé (avec d’autres) à une grève de la surveillance non moins exceptionnelle (au baccalauréat et au brevet) contre son remplacement par un système optionnel dominant.

Le constat est sans appel : Jean-Michel Blanquer n’a pas respecté l’engagement du candidat Emmanuel Macron qui était pourtant sans ambiguïté en faveur du contrôle continu.

La réforme du baccalauréat figurait aussi dans les propositions du candidat Emmanuel Macron pour l’élection présidentielle : Dans une interview parue le 30 mars 2017 dans « L’Étudiant », Emmanuel Macron avait été très clair : « Nous faisons confiance au contrôle continu et au jugement des professeurs pour l’entrée dans les formations sélectives (écoles préparatoires aux grandes écoles, sections de techniciens supérieurs, IUT, écoles post-bacs). Pourquoi en seraient-ils incapables pour le baccalauréat? ». Il s’agissait bien du « contrôle continu » entendu comme l’ensemble des évaluations ordinaires faites au fil des années (en première et terminale) présentes dans les dossiers des postulants examinés. Et on se souvient de sa conclusion : « Je souhaite donc simplifier le baccalauréat. Quatre matières seront passées en contrôle terminal, les autres seront validées en contrôle continu ».

Le constat est sans appel : le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer n’a pas respecté l’engagement du candidat Emmanuel Macron qui était pourtant sans ambiguïté. Dans le nouveau baccalauréat, le contrôle continu compte pour 40% du total des points du bac. Ces 40% se décomposent en « des notes obtenues aux épreuves communes de contrôle continu, pour une part de trente pour cent ; et la prise en compte, pour une part de dix pour cent, de l’évaluation chiffrée annuelle des résultats de l’élève au cours du cycle terminal, attribuée par les professeurs et renseignée dans le livret scolaire ».

Le calendrier du futur baccalauréat vient d’être publié. Et la réaction du SNES a été immédiate : en guise de simplification, le ministère cherche à faire tenir ensemble des enjeux parfaitement contradictoires. Quant au « bachotage », l’organisation proposée consiste à consacrer l’intégralité du troisième trimestre de terminale à passer des épreuves de bac : de fin mars à fin juin, les élèves enchaîneront deux épreuves de spécialité, 4 épreuves d’E3C (épreuves de contrôle continu sur le programme de l’année complète), et enfin une épreuve de philosophie et un grand oral. Un tiers de l’année à passer les examens, voilà un beau progrès.

Moralité : le « Conducator » (« au petit pied ») Jean-Michel Blanquer peut ne pas être à la hauteur et faire défaut à son maître. Mais où va-t-on ?


Claude Lelièvre

Historien, Professeur honoraire d’histoire de l’éducation à la Faculté des Sciences humaines et sociales, Sorbonne - Paris V